La technique comme hallucination de la nature / Technology as a hallucination of nature

La technique c’est la nature hallucinée. On peine à la nommer « nature », faisons-le par commodité en reconnaissant d’avance sa construction historique et située. On écartera de la nature tout naturalisme.

La générativité des formes naturelles n’est pas simplement fonctionnelle, elle signe aussi la contingence, le flux des formes et le travail de l’érosion. Car tout est travaillé dans la nature, elle travaille toujours, elle est creusée, comblée, trouée, ravagée, polie, etc. Ce travail nous met en face des temporalités inhumaines, des millions d’années tracées et gravées, présentes partout si l’on y fait attention. Et cette nature au travail appelle le travail de l’autre nature, celle de l’être humain avec sa temporalité et sa finitude, ce temps qui manque et qui est palpitant.

Il faudra inventer un autre travail pour rattraper ou être un peu à la hauteur, à la mesure du travail de la nature, de toutes ces traces laissées par on ne sait qui, on ne sait quoi. On creusera nos tombeaux à peine la pierre pour tenter d’appartenir au temps des pierres. On trace des dessins sur la pierre, car on sait que c’est elle qui gardera le plus longtemps la trace. On suit les courbes minérales, on dérape, on se reprend. On dessine des animaux, la chasse, le pâturage. Puis on fait des troupeaux, on commence à sérialiser et à compter. On montre ainsi sa puissance, son espérance en une sécurité du temps, malgré les aléas, malgré les inondations qui succèdent aux sécheresses comme autant d’inspiration et d’expiration. Ces sérialisations vont céder leur place à l’écriture. Cette dernière va « remplacer » les dessins parce qu’elle est univoque et permet de dire ce qu’on veut signifier.

Les nuages, les pierres et les tempêtes, le sable qui protège et recueille les montagnes dont il est le frère, l’avalant de ses flux, les turbulences et les météores, la nuit, les étoiles aussi dessinent des figures. Partout ça hallucine, ça fait de la pareidolie parce que celle-ci est à l’origine de la production du sens. Il aura fallu voir partout des figures puis des signes, il aura fallu superposer à la nature une autre nature, une contre nature pour que la signification émerge, que les flux deviennent des cycles, que l’ordre céleste cartographie les aléas de l’horizon terrestre et qu’on puisse s’y repérer.

La technique est partout parce que partout ça s’hallucine. La signification est partout parce que partout ça hallucine.


Le désert est le lieu privilégié de la formation des signes dans les traces naturelles : la nuit, on veille sur les siens, on imagine leurs rêves. Les corps célèstes sont là, la régularité de leurs cycles invente la régularité du monde d’en bas, l’horizon se plie. Le sable travaille la pierre, y laisse des formes organiques et insensés. Il faudra entendre la signification du désert, son appel et continuer son travail, poursuivre cette nature contre la nature, cet artifice de toujours.

The technique is the hallucinated nature. We hardly name it “nature”, let us do it by convenience by recognizing in advance its historical and situated construction.

The generativity of the natural forms is not simply functional, it also signs the contingency, the flow of the forms and the work of the erosion. Because everything is worked in the nature, it always works, it is dug, filled, perforated, ravaged, polished, etc. This work puts us in front of inhuman temporalities, millions of years traced and engraved, present everywhere if we pay attention. And this nature at work calls for the work of the other nature, that of the human being with its temporality and its finitude, this time which misses and which is thrilling.

It will be necessary to invent another work to catch up or to be a little at the height, at the measure of the work of nature, of all these traces left by who knows who, who knows what. We will dig our tombs with hardly the stone to try to belong to the time of the stones. We trace drawings on the stone, because we know that it is it which will keep the longest the trace. One follows the mineral curves, one skids, one recovers. We draw animals, hunting, grazing. Then one makes herds, one starts to serialize and to count. One thus shows one’s power, one’s hope in a security of time, in spite of the hazards, in spite of the floods which follow the droughts like so much inspiration and expiration. These serializations will give way to writing. The latter will “replace” the drawings because it is univocal and makes it possible to say what one wants to signify.

The clouds, the stones and the storms, the sand that protects and collects the mountains of which it is the brother, swallowing it of its flows, the turbulences and the meteors, the night, the stars also draw figures. Everywhere it hallucinates, it makes pareidolia because this one is at the origin of the production of the sense. It will have been necessary to see everywhere figures and then signs, it will have been necessary to superimpose on nature another nature, an unnatural nature so that meaning emerges, so that the flows become cycles, so that the celestial order maps the hazards of the terrestrial horizon and so that one can find one’s way.

The technique is everywhere because everywhere it is hallucinated. The meaning is everywhere because everywhere it hallucinates.

The desert is the privileged place of the formation of the signs in the natural traces: the night, one takes care on his own, one imagines their dreams. Celebrated bodies are there, the regularity of their cycles invents the regularity of the world below, the horizon folds. The sand works the stone, leaves there organic and insane forms. It will be necessary to hear the meaning of the desert, its call and to continue its work, to pursue this nature against nature, this artifice of always.