Dislocation IV

Ce sont des plans d’architecte de destruction : une production automatisée des ruines. La vue est isométrique, exprimant le caractère planifié du dessin. Ce que représente le dessin est pourtant contardictoire : une ville détruite, saccagée, fragmentée. Quel architecte aurait planifié une telle destruction? Peut-on même la prévoir, en dessiner chaque morceau, prévoir la manière dont les murs s’effondreront.
Ces dessins sont générés par un programme informatique puis dessinés par la main de l’artiste. Mais cette main est elle-même attachée à une autre machine, un traceur qui pilote l’être humain. Si on perçoit la fatigue du trait, la tension musculaire, l’artiste est comme un zombie et suit le mouvement de la machine.

Ces dessins représentent des plans d’architecte de bâtiments détruits. La main de l’artiste attachée à une imprimante modifiée a dessiné ces plans. Cette destruction est-elle un projet planifié ?

Tout borne l’homme, mais rien ne l’arrête. Il répliqua à la limite par l’enjambée. L’impossible est une frontière toujours reculante.
Une formation géologique qui a à sa base la boue du déluge et à son sommet la neige éternelle est pour l’homme un mur comme un autre, il la perce, et passe outre. Il coupe un isthme, force un volcan, menuise une falaise, évide un gisement, met un promontoire en petits morceaux. Jadis il se donnait toute cette peine pour Xercès ; aujourd’hui, moins bête, il se la donne pour lui-même. Cette diminution de bêtise s’appelle le progrès. L’homme travaille à sa maison, et sa maison c’est la terre. Il dérange, déplace, supprime, abat ; rase, mine, sape, creuse, fouille, casse, pulvérise, efface cela abolit ceci, et reconstruit avec de la destruction. Rien ne le fait hésiter, nulle masse, nul encombrement, nulle autorité de la matière splendide, nulle majesté de la nature. Si les énormités de la création sont à sa portée, il les bat en brèche. Ce côté de Dieu qui peut être ruiné le tente, et il monte à l’assaut de l’immensité, le marteau à la main, L’avenir verra peut-être mettre en démolition les Alpes. Globe, laisse faire la fourmi.
L’enfant, brisant son jouet, a l’air d’en chercher l’âme. L’homme aussi semble chercher l’âme de la terre. Pourtant, ne nous exagérons pas notre puissance, quoi que l’homme fasse, les grandes lignes de la création persistent ; la masse suprême ne dépend point de l’homme. Il peut sur le détail, non sur l’ensemble. Et il est bon que cela soit ainsi. Le Tout est providentiel. Les lois passent au-dessus de nous.


Hugo – Les Travailleurs de la mer Tome I (1891)

These are architectural plans of destruction : automated production of ruins. The view is isometric, expressing the planned character of the drawing. What the drawing represents, however, is contradictory: a destroyed, ransacked, fragmented city. What architect would have planned such a destruction? Can one even foresee it, draw each piece, foresee how the walls will collapse?
These drawings are generated by a computer program and then drawn by the artist’s hand. But this hand is itself attached to another machine, a plotter that drives the human being. If we perceive the fatigue of the line, the muscular tension, the artist is like a zombie and follows the movement of the machine.

Everything limits the man, but nothing stops him. He replied to the limit with the stride. The impossible is an ever retreating frontier.
A geological formation which has at its base the mud of the deluge and at its top the eternal snow is for the man a wall like another, he pierces it, and passes beyond. He cuts an isthmus, forces a volcano, minutia a cliff, evades a deposit, puts a promontory in small pieces. Formerly he took all this trouble for Xercès; today, less stupid, he takes it for himself. This reduction of stupidity is called progress. Man works on his house, and his house is the earth. He disturbs, moves, removes, pulls down; shaves, mines, undermines, digs, breaks, pulverizes, erases this, and rebuilds with destruction. Nothing makes him hesitate, no mass, no encumbrance, no authority of the splendid matter, no majesty of the nature. If the enormities of creation are within his grasp, he beats them to a pulp. This side of God which can be ruined tempts him, and he goes up to the assault of the immensity, the hammer in the hand, The future will see perhaps to put in demolition the Alps. Globe, let the ant do it.
The child, breaking his toy, seems to seek the soul. The man also seems to seek the soul of the earth. However, let us not exaggerate our power, whatever man does, the great lines of creation persist; the supreme mass does not depend on man. He can control the detail, not the whole. And it is good that it is so. The Whole is providential. The laws pass above us.”


Hugo – Les Travailleurs de la mer Volume I (1891)