Le retour du spectre

Jamie Czerniak, left, shows Russ Schildan, of Portland, Ore., the Budweiser virtual reality mask at the Food Marketing Institute?s International Supermarket Industry Convention and Educational Expostion in Chicago on Sunday, May 9, 1993. The Anheuser-Busch company?s display featured a virtual reality game for three players. The convention runs through May 12. (AP Photo/Mike Fisher)
Jamie Czerniak, left, shows Russ Schildan, of Portland, Ore., the Budweiser virtual reality mask at the Food Marketing Institute’s International Supermarket Industry Convention and Educational Expostion in Chicago on Sunday, May 9, 1993.

Le retour de la réalité virtuelle (RV) dans le champ social et médiatique me fascine. J’avais travaillé, il y a plus de 20 ans, sur ce complexe technologique en appliquant l’enthousiasme conjuratoire, une méthode d’analyse derridienne. Que la RV revienne, tel un fantôme, est de l’ordre du symptôme. Et elle revient, selon le schème marxiste, comme la caricature de sa première fois.

Si dans les années 80 et 90, la RV était principalement traitée d’un point de vue emphatique et philosophique, que ce soit dans les ouvrages académiques et journalistiques, elle semble maintenant abordée d’un point de vue strictement économique : sur les réseaux sociaux, ceux qui diffusent la bonne parole relaient en général des communiqués de presse d’entreprises. Telle technologie, tel accord, tel projet, etc. Tout se passe comme si la diffusion des communiqués de presse et des pseudo-articles pouvaient avoir comme vertu de comprendre ce qui arrive…

Ce passage d’une analyse théorique à une approche commerciale (et du mot d’ordre puisqu’on n’est qu’un relai de l’autorité) signale, à mon sens, un discours sous-jacent : « Nous avons compris les errements métaphysiques de la première période de la RV, nous nous attachons à présent à du concret ! » Que ce dernier relève du réalisme capitaliste (rien n’est réel si ce n’est ce qui peut faire l’objet d’une économie, d’une valeur, d’un échange commercial, d’un investissement avenir) témoigne d’un changement d’époque et de la domination du discours libéral. Il n’y a pas lieu là pour moi de défendre une prétendue posture de résistance qui se placerait à l’extérieur du marché, mais de souligner qu’on peut investir cette question de façon passive en étant le relai des communiqués ou actives en se demandant d’où on parle et à partir de quelle hyperstructure.

D’un point de vue théorique, à part certains matérialistes et accélérationnistes qui me semblent un peu plus compétents tant ils comprennent l’influence de l’hyperstition technique, la même logorrhée recommence. Les « théoriciens » agitent promesses et menaces, ils manient de grands concepts non maîtrisés, de l’immersion à la réalité. Bref, ils mettent en scène leur discours pour, dans un second temps, se calmer avec le réalisme du marché : tout cela deviendra réel puisque les grandes entreprises américaines investissent, c’est bien le signe que quelque chose arrive.

La RV continue à nous hanter. Elle met en scène l’histoire de l’Occident en ce que celle-ci ne passe pas : le désir d’une fusion métaphysique qui est aussi une volonté de séparation et d’expulsion. Le complexe technologique de la RV est ambivalent parce qu’il est le symptôme d’une ambivalence qui structure l’historialité, c’est-à-dire notre destin.