Le netart est-il un médium?

Le courant qui domine aujourd’hui le netart est plus ou moins consciemment greenbergien et défend la spécificité du médium. C’est pourquoi le code, l’ascii, le glitch, les gifs et le folkore digital du réseau sont devenus omniprésents et que le netart ressemble de plus en plus à du netart. Ces éléments visuels signent chacun à leur manière un désir d’autonomie du médium réseau. Les artistes se concentrent dans cette perspective sur ce qui est spécifiquement Internet, sur ce qui l’identifie et le singularise.

Loin de contester cette conception, je voudrais simplement relever un paradoxe. En effet, la théorie de Greenberg portait comme un de ses enjeux le besoin de définir spécifiquement quelque chose, c’est-à-dire de ne pas se laisser déborder par l’extension des oeuvres et de leur trouver une unité. Celle-ci était le procès infini d’un médium cherchant ses modalités les plus propres dont l’expression la plus radicale était l’abstraction. On voit, sans aller plus avant, que cette théorie est platonicienne (l’extension est soumise à la définition) et dialectique (il existe une structure processuelle qui organise chaque oeuvre sans être contenue dans l’une d’entre elles). Or, si les médiums non numériques pouvaient être considérés comme spécifiques, c’est-à-dire nécessaires, les médiums numériques fonctionnent de manière très différente puisqu’ils peuvent non seulement numériser toutes choses mais ils sont utilisés de manière non spécifique par les artistes, c’est l’ensemble de la société qui en a l’usage. Cette numérisation n’est bien sûr pas neutre, elle transforme ce sur quoi elle opère. Mais cette capacité à tout passer par le filtre du numérique rend contingent cette numérisation, contingence encore accrue par la généralisation sociale de l’usage. En d’autres termes, on peut bien faire quelque chose avec le netart, comme on peut faire tout autre chose. Il n’y a pas de lien de nécessité entre le médium et ses apparitions.

Je ne nie pas que la numérisation opère selon une certaine logique descriptible et que les données se répandent sur Internet selon un certain ordre énonçable, mais il me semble que cette logique n’induit pas une conception moderne du médium comme support dont le procès historique est d’évoluer vers sa singularité, c’est-à-dire vers ce qui le coupe des autres médiums, c’est-à-dire vers son absolu. L’absolu greenbergien est une séparation individuante, qui tend donc vers l’unicité. L’absolu du réseau est une transduction individuante, qui se répand de proche en proche et tend donc vers sa contingence et c’est pourquoi il n’y a aucune nécessité dans le netart, aucun modèle, mais simplement des possibles. Ceci a pour conséquence que les formes récurrentes du netart ne sont pas à approcher comme la vérité du médium internet mais comme une forme d’académisme.