Introduction

Cet ouvrage est la retranscription d’un concert et d’une performance de Capture à la Gaîté Lyrique (Paris). Le matériel est ici délivré de façon brute : nulle correction, nul retrait ou ajout. Seul ce texte introductif est le produit d’une action après coup.

Le projet Capture est ramifié, il comporte de nombreuses problématiques tant économiques, culturelles que sociales. Parmi celles-ci la question de la documentation, de l’archive et de la théorisation est essentielle. Habituellement la découpe entre la production artistique et la réflexion est nette : il y a un événement artistique, une exposition, une performance ou tout autre chose pouvant s’inscrire dans une temporalité, et il y a un texte qui après coup vient théoriser cet événement. Le rôle de chacun est nettement défini et la temporalité est chronologique et hiérarchique.

Il n’y a pas lieu ici de développer plus avant la relation entre l’artiste et le théoricien, il faut simplement remarquer la hiérarchisation et l’autorité du discours. Le plus souvent l’artiste est considéré comme un individu dénué de parole qui est incapable de penser ce qu’il fait sans sortir de son rôle et de sa fonction. Avec Capture nous avons souhaité troubler et renverser cet ordre en proposant à des théoriciens de participer en temps réel à l’événement et décrire en même temps que celui-ci rendant ainsi contemporaine leur réflexion et le référent. Cet exercice est bien sûr difficile si ce n’est impossible parce que la mise à distance du présent et du discours ne peut plus s’élaborer et que la théorie ce fait ici descriptive. Cette mise en jeu vient disloquer la normativité du discours théorique et l’immerge dans une atmosphère qui est celle du flux généré par Capture. Il ne faut donc pas juger ces différents textes et ces images qualitativement mais plus exactement comme une expérience, comme une tentative, comme un questionnement face aux relations classiques entre art et théorie.

Deux théoriciens historiens furent donc invités LB et VMD, ils montèrent sur la scène et face au public, ouvrant l’ordinateur, commencèrent à écrire et ceci pendant une durée de 8:00. On peut facilement s’imaginer l’épuisement, la désorientation, car enfin que dire, quand on n’a pas eu le temps de penser c’est-à-dire d’instaurer un moment de silence, de retrait, bref d’instaurer un délai. Ces deux intervenants étaient mêlés au groupe Capture et envoyaient sur un blog ou par e-mail la réflexion, leur description, leur annotation, pendant que d’autres membres de l’équipe prenaient des photographies qu’ils postaient à leur tour sur ce blog. CB récupérait alors tous ces documents pour, au moment même de la performance-concert, les intégrer dans un logiciel de PAO et créer un livre qui fut publié le matin même sur le site d’édition à la demande nommé Lulu. Ce travail de graphiste était retransmis pendant le concert sur un écran produisant des effets de feed-back étonnants : une personne dans le public pris une photo avec son téléphone portable de cet écran et l’envoya sur l’e-mail de la graphiste qui prit un malin plaisir à l’intégrer dans sa mise en page et à la montrer à ce photographe amateur qui avait si gentiment fourni un nouveau document.

Le résultat de cette expérience est étrange est un peu gris, moyen et maussade (goût fraise vanille). On y ressent des moments d’ennui et d’échec, parfois certains éclairs, mais il en va de la ténacité et de l’endurance de la pensée quand elle n’a plus la distance temporelle qui lui permet de construire un discours d’autorité. La pensée devenait elle-même une performance. Nous avons ainsi souhaité expérimenter une coexistence entre ses amis conflictuels que sont l’art et la théorie : partager un même lieu, un atelier ouvert aux yeux du public, travailler côte à côte dans la différence même de chacune des disciplines et communiquer, une écriture qui s’inscrit à propos de, et cette référence qui elle-même peut être alimentée par cette écriture, et ainsi de suite selon une récursivité potentiellement illimitée.

Ce livre ne peut pas être évalué comme un livre, selon les critères qualitatifs qu’on utilise habituellement pour ce type d’objets. C’est une trace, signe d’une temporalité et d’une coexistence nouvelle qui questionne l’hypermnésie contemporaine, cet excès de mémoire qui constitue aussi une amnésie parce que chaque trace mémorielle équivaut à une autre. Cet ouvrage est donc le signe d’une étape, et l’expérience sera répétée, différemment, pour progressivement apprendre à faire coexister la différence de tous ces mondes et défaire enfin les systèmes d’autorités qui occultent un langage par un autre langage.