La question du public

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J’ai depuis longtemps le sentiment que l’évaluation du public dans le domaine artistique loin de prendre en compte celui-ci, constitue une supercherie et qu’elle est non seulement le signe du mépris le plus grand qui soit par rapport aux visiteurs, mais aussi le symptôme d’une méconnaissance de la manière dont notre époque capture les existences.

En les rangeant ainsi dans des catégories, et quelque soit le niveau de finesse de celles-ci, on les arraisonne, on les réduit à être l’expression d’un concept et par là même on occulte leur irréductible singularité. Devant une oeuvre, je suis non seulement irréductible à la prise d’un concept, c’est-à-dire à la subsumation du singulier vers le général, mais aussi irréductible à moi-même, au même du moi qui est comme clivé. La perception est décalée, chute et montée d’intensité, elle ne se ressemble pas.

Le fait même d’évaluer des attentes (préalables) et un dispositif me semble désigner l’arrogance de celui qui croit que l’esthétique est une visée chronologique, un jeu d’actions et de réactions linéaire, d’offre et de demande. La seule manière de respecter les visiteurs est sans doute de les oublier, de les ignorer et de ne penser que le dispositif, ce qu’on aura à offrir, afin de les laisser, chacun d’entre eux, être ce qu’ils sont dans le secret de leur anonymat, avec eux-mêmes.

Cette évaluation des publics méconnaît tout aussi bien le dispositif de capture des existences qui depuis la sociologie, les sondages jusqu’au web 2.0 et au-delà fait de cette transformation des individus en quantités évaluables l’objet d’un commerce. Qu’on puisse croire pouvoir ainsi manier cette évaluation de manière neutre sans être immédiatement impliqué dans l’exigence de quantification et de rentabilité c’est décidément oublier un contexte qui s’impose à chacun et qui disparaît du fait même de son omniprésence.