Qu’est-ce que le vectofascisme? / What is Vectofascism?

Comme annoncé par Vilèm Flusser nous sommes entrés dans l’ère post-alphabétique. Les appareils nous programment désormais autant que nous ne les programmons. Dans cet univers techno-imaginal où l’ensemble de nos facultés sont traversées par les technologies, la question du fascisme se pose différemment. Qualifier un phénomène contemporain de “fasciste” n’est ni un simple détournement sémantique ni une exactitude historique. C’est plutôt reconnaître une certaine disposition affective qui traverse le socius, un réarrangement des intensités désirantes sous de nouvelles conditions techniques.

Le second mandat Trump n’est pas un “retour” au fascisme – comme si l’histoire suivait un schéma circulaire – mais une réémergence fracturée dans un champ techno-affectif radicalement distinct. Le préfixe “vecto-” indique précisément cette transformation : nous ne sommes plus dans une politique des masses mais dans une politique des vecteurs, des lignes de force et des intensités directionnelles qui traversent et constituent le corps social algorithmisé.

Même parler de “masses” serait encore nostalgique, un concept résiduel d’une époque où la densité physique manifestait le politique. Aujourd’hui, la densité s’exprime en termes d’attention agrégée, de micro-impulsions synchronisées algorithmiquement en l’absence de toute proximité corporelle. Les corps n’ont plus besoin de se toucher pour former une force politique ; il suffit que leurs données se touchent dans l’espace latent des serveurs. Cette dématérialisation n’est pas une disparition du corps mais sa redistribution dans une nouvelle géographie computationnelle qui reconfigure les coordonnées mêmes du politique. D’ailleurs, quand ces corps se mobilisent physiquement c’est grâce au réseau.

Dans cette recomposition du champ social, les catégories politiques héritées perdent leur efficacité descriptive. Ce n’est pas que les mots “fascisme” ou “démocratie” soient simplement désuets, c’est que les phénomènes qu’ils désignaient ont subi une mutation qui nécessite non pas simplement de nouveaux mots, mais une nouvelle grammaire politique. Le préfixe “vecto-” n’est pas un ornement conceptuel, mais l’indicateur d’une transformation structurelle dans la manière dont le pouvoir se constitue, circule et s’exerce.

Définitions

Fascisme historique : Mouvement politique né dans l’entre-deux-guerres, principalement en Italie et en Allemagne, caractérisé par un nationalisme exacerbé, un culte du chef, un rejet des institutions démocratiques, une mobilisation des masses et une violence politique institutionnalisée.

Néofascisme : Adaptation contemporaine de certaines caractéristiques du fascisme historique à un contexte sociopolitique différent, préservant certains éléments idéologiques fondamentaux tout en les reformulant.

Vectofascisme : Néologisme désignant une forme contemporaine de fascisme qui s’adapte aux moyens de communication et aux structures sociales de l’ère numérique, caractérisée par la vectorisation (direction, intensité, propagation) de l’information et du pouvoir à l’ère de l’IA.

Des masses aux vecteurs

Le fascisme historique appartenait encore à l’univers de l’écriture linéaire et de la première vague industrielle. Les machines fascistes étaient des machines à produire des gestes coordonnés dans l’espace physique. Le corps collectif s’exprimait à travers des parades uniformisées, des bras tendus à l’unisson, un flux énergétique directement observable.

Le vectofascisme appartient à l’univers post-alphabétique des appareils computationnels. Ce n’est plus un système d’inscription mais un système de calcul. Là où le fascisme classique opérait par inscription idéologique sur les corps, le vectofascisme opère par modulation algorithmique des flux d’attention et d’affect. Les appareils qui le constituent ne sont pas des méga-haut-parleurs mais des micro-ciblages.

L’image technique fasciste était monumentale, visible de tous, univoque ; l’image technique vectofasciste est personnalisée, multiple, apparemment unique pour chaque regardeur. Mais cette multiplication des images n’est pas libératrice ; elle est calculée par un méta-programme qui demeure invisible. L’apparence de multiplicité masque l’unité fondamentale du programme.

Cette transformation ne signifie pas simplement une numérisation du fascisme, comme si le numérique n’était qu’un nouveau support pour d’anciennes pratiques politiques. Il s’agit d’une mutation du politique lui-même. Les foules uniformes des rassemblements fascistes opéraient encore dans l’espace euclidien tridimensionnel ; le vectofascisme opère dans un hyperespace de n-dimensions où la notion même de “rassemblement” devient obsolète. Ce qui se rassemble, ce ne sont plus des corps dans un stade mais des données dans un espace vectoriel.

Ce passage d’une politique de la présence physique à une politique de la vectorisation informationnelle transforme également la nature même du pouvoir. Le pouvoir fasciste traditionnel s’exerçait par la disciplinarisation visible des corps, l’imposition d’une orthopédie sociale directement inscrite dans la matérialité des gestes grâce au Parti unique. Le pouvoir vectofasciste s’exerce par la modulation invisible des affects, une orthopédie cognitive qui ne s’applique plus aux muscles mais aux synapses, qui ne vise plus à standardiser les mouvements mais à orienter les impulsions. Le Parti ou toutes formes d’organisation sociale n’ont plus de pertinence.

Dans ce régime, l’ancien binôme fasciste ordre/désordre est remplacé par le binôme signal/bruit. Il ne s’agit plus de produire un ordre visible contre le désordre des masses indisciplinées, mais d’amplifier certains signaux et d’atténuer d’autres, de moduler le rapport signal/bruit dans l’écosystème informationnel global. Ce passage du paradigme disciplinaire au paradigme modulatoire constitue peut-être la rupture fondamentale qui justifie le préfixe “vecto-“.

Analysons 3 caractéristiques permettant de justifier l’usage du mot fasciste dans notre concept:

Le culte du chef

Le fascisme historique a institutionnalisé le culte de la personnalité à un degré sans précédent. Le Duce ou le Führer n’étaient pas simplement des dirigeants, mais des incarnations quasi-mystiques de la volonté nationale. Cette relation entre le chef et ses partisans transcendait la simple adhésion politique pour atteindre une dimension presque religieuse.

Cette caractéristique se manifeste aujourd’hui par la dévotion inconditionnelle de certains partisans envers leur leader, résistant à toute contradiction factuelle. L’attachement émotionnel prime sur l’évaluation rationnelle des politiques. Le slogan “Trump can do no wrong” illustre parfaitement cette suspension du jugement critique au profit d’une confiance absolue.

La démocratie, par essence, suppose une vigilance critique des citoyens envers leurs dirigeants. La défiance par rapport aux dirigeants est un signe du bon fonctionnement de la démocratie en tant que les citoyens restent autonomes. La substitution de cette autonomie par une allégeance inconditionnelle constitue donc une régression anti-démocratique significative.

La dissolution du rapport à la vérité

Le rapport du discours fasciste à la vérité constitue un élément particulièrement distinctif. Contrairement à d’autres idéologies qui proposent une vision alternative mais cohérente du monde, le fascisme entretient un rapport instrumental et flexible avec la vérité. La contradiction n’est pas perçue comme un problème logique mais comme une démonstration de puissance.

Le “logos” fasciste vaut moins pour son contenu sémantique que pour son intensité affective et sa capacité à mobiliser les masses. Cette caractéristique se retrouve dans la communication politique contemporaine qualifiée de “post-vérité”, où l’impact émotionnel prime sur la véracité factuelle.

L’incohérence apparente de certains discours politiques actuels n’est pas un défaut mais une fonctionnalité : elle démontre l’affranchissement du leader des contraintes communes de la cohérence et de la vérification factuelle. Le mépris des “fake news” et des “faits alternatifs” participe de cette logique où la puissance d’affirmation l’emporte sur la démonstration rationnelle.

La désignation de boucs émissaires

La troisième caractéristique fondamentale réside dans la désignation systématique d’ennemis intérieurs, généralement issus de minorités, qui sont présentés comme responsables des difficultés nationales.

Cette stratégie remplit une double fonction : elle détourne l’attention des contradictions structurelles du système économique (servant ainsi les intérêts du grand capital) et fournit une explication simple à des problèmes complexes. La stigmatisation des minorités – qu’elles soient ethniques, religieuses ou sexuelles – crée une cohésion nationale négative, fondée sur l’opposition à un “autre” intérieur.

Dans le contexte contemporain, cette logique s’observe dans la rhétorique anti-immigration, la stigmatisation des communautés musulmanes ou certains discours sur les minorités sexuelles présentées comme menaçant l’identité nationale. La création d’un antagonisme artificiel entre un “peuple authentique” et des éléments présentés comme “parasitaires” constitue une continuité frappante avec les fascismes historiques.

L’industrialisation du différend

Le fascisme historique s’inscrivait encore – même perversement – dans le grand récit de l’émancipation moderne. C’était une pathologie de la modernité, mais qui parlait son langage : progrès, renouveau, pureté, accomplissement historique. Le vectofascisme s’épanouit précisément dans la fin des grands récits, dans l’incrédulité et le soupçon.

En l’absence de métarécits, le différend politique devient inexprimable. Comment articuler une résistance quand les règles mêmes du discours sont constamment reconfigurées ? Le vectofascisme n’a pas besoin de nier la légitimité de l’opposition ; il peut simplement la rendre inaudible en recalibrant perpétuellement les conditions même de l’audibilité : c’est une politique à haute fréquence comme quand on parle de spéculation à haute fréquence.

On pourrait définir le vectofascisme comme une machine à produire des différends indécidables – non pas des conflits d’interprétation, mais des situations où les phrases elles-mêmes appartiennent à des régimes hétérogènes dont aucun n’a autorité pour juger les autres. La phrase vectofasciste n’est pas contredite dans son régime, elle crée un régime où la contradiction n’a plus cours.

La notion lyotardienne de différend prend ici une dimension algorithmique. Le différend classique désignait l’impossibilité de trancher entre deux discours relevant de régimes de phrases incommensurables. Le différend algorithmique va plus loin : il produit activement cette incommensurabilité par manipulation ciblée des environnements informationnels. Ce n’est plus simplement qu’aucun tribunal n’existe pour trancher entre deux régimes de phrases ; c’est que les algorithmes créent des régimes de phrases sur mesure pour chaque nœud du réseau, rendant impossible même la conscience de l’existence d’un différend.

Cette fragmentation algorithmique des univers discursifs constitue une rupture radicale avec la sphère publique bourgeoise moderne, qui présupposait au moins théoriquement un espace discursif commun où différentes positions pouvaient s’affronter selon des règles partagées. Le vectofascisme n’a pas besoin de censurer l’opposition ; il lui suffit de s’assurer que les univers discursifs sont suffisamment distincts pour que même l’identification d’une opposition commune devienne impossible.

Cette incapacité à formuler un différend commun empêche la constitution d’un “nous” politique cohérent face au pouvoir. Chaque nœud du réseau perçoit un pouvoir légèrement différent, contre lequel il formule des griefs légèrement différents, qui trouvent écho dans des communautés de résistance légèrement différentes. Cette micro-différenciation des perceptions du pouvoir et des résistances assure une neutralisation effective de toute opposition systémique.

“Je ne suis pas ici”

Le pouvoir ne s’exerce plus principalement à travers les institutions massives de la modernité, mais à travers des systèmes spectraux, impalpables, dont l’existence même peut être niée. Le vectofascisme ressemble à ces entités qui, comme les hauntologies derridiennes, sont simultanément là et pas là. Il opère dans cette zone d’indistinction entre présence et absence.

Ce qui caractérise ce pouvoir spectral, c’est précisément sa capacité à dénier sa propre existence tout en exerçant ses effets. “Ce n’est pas du fascisme”, répète-t-on, tout en mettant en œuvre ses mécanismes fondamentaux sous des noms différents. Cette dénégation fait partie de sa puissance opératoire. Le vectofascisme est d’autant plus efficace qu’il peut toujours dire : “Je ne suis pas ici.”

La spectralité n’est pas seulement une métaphore mais une condition du pouvoir contemporain. Les algorithmes qui constituent l’infrastructure du vectofascisme sont littéralement des spectres : invisibles aux utilisateurs qu’ils modulent, présents seulement par leurs effets, ils hantent l’espace numérique comme des fantômes dans la machine. La formule fishérienne “ils ne savent pas ce qu’ils font, mais ils le font quand même” prend ici un nouveau sens : les utilisateurs ne perçoivent pas les mécanismes qui modulent leurs affects, mais ils produisent néanmoins ces affects avec une précision troublante.

Cette spectralité du pouvoir vectofasciste explique en partie l’inadéquation des modes traditionnels de résistance. Comment s’opposer à ce qui nie sa propre existence ? Comment résister à une forme de domination qui se présente non comme imposition mais comme suggestion personnalisée ? Comment combattre un pouvoir qui se manifeste moins comme prohibition que comme modulation subtile du champ des possibles perçus ?

Le vectofascisme représente ainsi une évolution significative par rapport au biopouvoir foucaldien. Il ne s’agit plus seulement de “faire vivre et laisser mourir” mais de moduler infiniment les micro-conditions de cette vie, de créer des environnements informationnels sur mesure qui constituent autant de “serres ontologiques” où certaines formes de subjectivité peuvent prospérer tandis que d’autres sont étouffées par des conditions défavorables.

Le second mandat Trump

À la lumière de ces éléments théoriques, revenons à la question initiale : est-il légitime de qualifier le second mandat Trump de “fasciste” ?

Plusieurs éléments suggèrent des convergences significatives avec les caractéristiques fondamentales du fascisme :

  1. La personnalisation extrême du pouvoir et le culte de la personnalité
  2. Le rapport instrumental à la vérité factuelle et l’incohérence délibérée du discours
  3. La désignation systématique de boucs émissaires (immigrants, minorités ethniques, “élites cosmopolites”)
  4. La remise en cause des institutions démocratiques (contestation des résultats électoraux, pression sur l’appareil judiciaire)
  5. La mobilisation d’affects collectifs (peur, ressentiment, nostalgie) plutôt que d’arguments rationnels

Dans l’univers des images techniques que devient le chef? Il n’est plus un sujet porteur d’une volonté historique mais une fonction dans un système de feedback. Il n’est ni entièrement un émetteur ni complètement un récepteur, mais un nœud dans un circuit cybernétique de modulation affective.

Le culte du chef vectofasciste n’est plus un culte de la personne mais un culte de l’interface, de la surface d’interaction. Ce qui est adoré n’est pas la profondeur supposée du chef mais sa capacité à fonctionner comme une surface de projection parfaite. Le chef idéal du vectofascisme est celui qui n’offre aucune résistance à la projection des désirs collectifs algorithmiquement modulés.

La grotesquerie devient ainsi non plus un accident mais un opérateur politique essentiel. Si le corps du leader fasciste traditionnel était idéalisé, devant incarner la perfection de la race et de la nation, le corps du leader vectofasciste peut s’affranchir de cette exigence de perfection précisément parce qu’il n’a plus à incarner mais à canaliser. Le caractère manifestement construit, artificiel, même ridicule de l’apparence (la coiffure improbable, le maquillage orange) n’est pas un défaut mais un atout : il signale que nous sommes pleinement entrés dans le régime de l’image technique, où le référent s’efface derrière sa propre représentation.

Cette transformation ontologique du statut du chef modifie également la nature du lien qui l’unit à ses partisans. Là où le lien fasciste traditionnel était fondé sur l’identification (le petit-bourgeois s’identifie au Führer qui incarne ce qu’il aspire à être), le lien vectofasciste fonctionne davantage par résonance algorithmique : le chef et ses partisans sont ajustés l’un à l’autre non par un processus psychologique d’identification mais par un processus technique d’optimisation. Les algorithmes façonnent simultanément l’image du chef et les dispositions affectives des partisans pour maximiser la résonance entre eux.

Ce passage de l’identification à la résonance transforme la temporalité même du lien politique. L’identification fasciste traditionnelle impliquait une temporalité du devenir (devenir comme le chef, participer à son destin historique). La résonance vectofasciste implique une temporalité de l’instantanéité : chaque tweet, chaque déclaration, chaque apparition du chef produit un pic d’intensité affective immédiatement mesurable en termes d’engagement numérique, puis s’efface dans le flux continu du présent perpétuel.

Le rapport vectofasciste à la vérité n’est pas simplement un mensonge ou une falsification. Dans l’univers post-alphabétique, la distinction binaire vrai/faux appartient encore à la pensée alphabétique. Ce qui caractérise le vectofascisme est plutôt la production d’une indécidabilité calculée, d’une zone grise où le statut même de l’énoncé devient indéterminable.

Ce mécanisme ne doit pas être compris comme irrationnel. Au contraire, il est hyper-rationnel dans sa capacité à exploiter les failles des systèmes de vérification. La post-vérité n’est pas l’absence de vérité mais sa submersion dans un flot d’informations contradictoires dont le tri exigerait un effort cognitif dépassant les capacités attentionnelles disponibles.

Le capitalisme a toujours su qu’il était plus efficace de saturer l’espace mental que de le censurer. Le vectofascisme applique cette logique à la vérité elle-même : non pas nier les faits, mais les noyer dans un océan de quasi-faits, de semi-faits, d’hyper-faits jusqu’à ce que la distinction même devienne un luxe cognitif inabordable.

Cette stratégie de saturation cognitive exploite une asymétrie fondamentale : il est toujours plus coûteux en termes de ressources cognitives de vérifier une affirmation que de la produire. Produire un mensonge complexe coûte quelques secondes ; le démystifier peut exiger des heures de recherche. Cette asymétrie, négligeable dans les économies attentionnelles pré-numériques, devient décisive dans l’écosystème informationnel contemporain caractérisé par la surabondance et l’accélération.

Le vectofascisme pousse cette logique jusqu’à transformer la véracité elle-même en une simple variable d’optimisation algorithmique. La question n’est plus “est-ce vrai ?” mais “quel degré de véracité maximisera l’engagement pour ce segment spécifique ?”. Cette instrumentalisation calculée de la vérité peut paradoxalement conduire à une calibration précise du mélange optimal entre faits, demi-vérités et mensonges complets pour chaque micro-public.

Cette modulation fine du rapport à la vérité transforme la nature même du mensonge politique. Le mensonge traditionnel présupposait encore une reconnaissance implicite de la vérité (on ment précisément parce qu’on reconnaît l’importance de la vérité). Le mensonge vectofasciste opère au-delà de cette distinction : il ne s’agit plus de nier une vérité reconnue, mais de créer un environnement informationnel où la distinction même entre vérité et mensonge devient une variable manipulable parmi d’autres.

Les concepts traditionnels de propagande ou de manipulation deviennent ainsi partiellement obsolètes. La propagande classique visait à imposer une vision du monde alternative mais cohérente ; la modulation vectofasciste de la vérité renonce à cette cohérence au profit d’une efficacité localisée et temporaire. Il ne s’agit plus de construire un grand récit alternatif stable, mais de produire des micro-récits contradictoires adaptés à chaque segment de population et à chaque contexte attentionnel.

Là où le fascisme historique désignait des ennemis universels de la nation (le Juif, le communiste, le dégénéré), le vectofascisme calcule des ennemis personnalisés pour chaque nœud du réseau. C’est une haine sur mesure, algorithmiquement optimisée pour maximiser l’engagement affectif de chaque segment de population.

Cette personnalisation n’est pas une atténuation mais une intensification : elle permet d’infiltrer les micropores du tissu social avec une précision chirurgicale. Le système ne propose pas un unique bouc émissaire mais une écologie entière de boucs émissaires potentiels, adaptés aux dispositions affectives préexistantes de chaque utilisateur.

L’ennemi n’est plus un Autre monolithique mais un ensemble de micro-altérités dont la composition varie selon la position de l’observateur dans le réseau et dont le “wokisme” est le paradigme. Cette modulation fine des antagonismes produit une société simultanément ultra-polarisée et ultra-fragmentée, où chaque bulles informationnelles développe ses propres figures de haine.

Cette fragmentation des figures de l’ennemi ne diminue pas l’intensité de la haine mais la rend plus efficace en l’adaptant précisément aux dispositions psycho-affectives préexistantes de chaque utilisateur. Les algorithmes peuvent identifier quelles caractéristiques spécifiques d’un groupe désigné comme ennemi susciteront la réaction émotionnelle la plus forte chez tel utilisateur particulier, puis accentuer précisément ces caractéristiques dans le flux informationnel qui lui est destiné.

Cependant, cette personnalisation des boucs émissaires ne signifie pas l’absence de coordination. Les algorithmes qui modulent ces haines personnalisées sont eux-mêmes coordonnés au niveau méta, assurant que ces antagonismes apparemment dispersés convergent néanmoins vers des objectifs politiques cohérents. C’est une orchestration de second ordre : non pas l’imposition d’un ennemi unique, mais la coordination algorithmique d’inimitiés multiples.

Cette distribution algorithmique de la haine transforme également la temporalité des antagonismes. Le fascisme traditionnel désignait des ennemis stables, permanents, essentialisés (le Juif éternel, le communiste international). Le vectofascisme peut faire varier les figures de l’ennemi selon les nécessités tactiques du moment, produisant des pics d’intensité haineuse temporaires mais intenses, puis réorientant cette énergie vers de nouvelles cibles lorsque l’engagement faiblit. “Mes amis il n’y a point d’amis” résonne aujourd’hui très étrangement.

Cette souplesse tactique dans la désignation des ennemis permet de maintenir une mobilisation affective constante tout en évitant la saturation qui résulterait d’une focalisation trop prolongée sur un même bouc émissaire. La haine devient ainsi une ressource attentionnelle renouvelable, dont l’extraction est optimisée par des algorithmes qui surveillent constamment les signes de désengagement et recalibrent les cibles en conséquence.

Le contrôle vectoriel

Le fascisme historique fonctionnait dans l’espace disciplinaire foucaldien : quadrillage des corps, visibilité panoptique, normalisation par l’extérieur. Le vectofascisme opère dans un espace latent de n-dimensions qui ne peut même pas être visualisé directement par l’esprit humain.

Cet espace latent n’est pas un lieu métaphorique mais un espace mathématique concret dans lequel les réseaux de neurones artificiels génèrent des représentations compressées des données humaines. Ce n’est pas un espace de représentation mais de modulation : les transformations qui s’y produisent ne représentent pas une réalité préexistante mais génèrent de nouvelles réalités.

La géographie politique traditionnelle (centre/périphérie, haut/bas, droite/gauche) devient inopérante. Les coordonnées politiques sont remplacées par des vecteurs d’intensité, des gradients de polarisation, des champs d’attention dont les propriétés ne correspondent à aucune cartographie politique antérieure.

Cette transformation de la géographie du pouvoir n’est pas une simple métaphore mais une réalité technique concrète. Les grands modèles de langage contemporains, par exemple, n’opèrent pas primitivement dans l’espace des mots mais dans un espace latent de haute dimensionnalité où chaque concept est représenté comme un vecteur possédant des centaines ou des milliers de dimensions. Dans cet espace, la “distance” entre deux concepts n’est plus mesurée en termes spatiaux traditionnels mais en termes de similarité cosinus entre vecteurs.

Cette reconfiguration de l’espace conceptuel transforme fondamentalement les conditions de possibilité du politique. Les catégories politiques traditionnelles (gauche/droite, conservateur/progressiste) deviennent des projections simplifiées et appauvries d’un espace multidimensionnel plus complexe. Les algorithmes, eux, opèrent directement dans cet espace latent, capable de manipuler des dimensions politiques que nous ne pouvons même pas nommer car elles émergent statistiquement de l’analyse des données sans correspondre à aucune catégorie préexistante dans notre vocabulaire politique.

Le pouvoir qui s’exerce dans cet espace latent échappe ainsi partiellement à notre capacité même de le conceptualiser. Comment critiquer ce que nous ne pouvons pas représenter ? Comment résister à ce qui opère dans des dimensions que nous ne pouvons pas percevoir directement et qui permet de passer de n’importe quel point à n’importe quel autre? Cette invisibilité constitutive n’est pas accidentelle mais structurelle : elle découle directement de la nature même des espaces vectoriels de haute dimensionnalité qui constituent l’infrastructure mathématique du vectofascisme.

Cette invisibilité est renforcée par le caractère propriétaire des algorithmes qui opèrent ces transformations. Les modèles qui modulent nos environnements informationnels sont généralement protégés par le secret commercial, leurs paramètres précis inaccessibles non seulement aux utilisateurs mais souvent même aux développeurs qui les déploient. Cette opacité n’est pas un bug mais une feature : elle permet précisément l’exercice d’un pouvoir qui peut toujours nier sa propre existence.

De la facticité

Le vectofascisme ne se contente pas de manipuler les représentations du monde existant ; il génère activement des mondes contrefactuels qui concurrencent le monde factuel dans l’espace attentionnel. Ces mondes ne sont pas simplement “faux” – qualification qui appartient encore au régime alphabétique de vérité – mais alternatifs, parallèles, adjacents.

La puissance des modèles prédictifs contemporains réside précisément dans leur capacité à produire des contrefactuels convaincants, des simulations de ce qui aurait pu être qui acquièrent une force d’attraction affective équivalente ou supérieure à ce qui est effectivement advenu.

Cette prolifération des contrefactuels n’est pas un bug mais une autre feature du système : elle permet de maintenir ouvertes des potentialités contradictoires, de suspendre indéfiniment la clôture épistémique du monde qu’exigerait une délibération démocratique rationnelle.

La modélisation contrefactuelle n’est pas en soi une innovation du vectofascisme ; elle constitue en fait une capacité cognitive fondamentale de l’être humain et un outil épistémologique essentiel de la science moderne. Ce qui caractérise spécifiquement le vectofascisme est l’industrialisation de cette production contrefactuelle, son insertion systématique dans les flux informationnels quotidiens, et son optimisation algorithmique pour maximiser l’engagement affectif plutôt que la véracité ou la cohérence.

Les grands modèles de langage constituent à cet égard des machines à contrefactualité d’une puissance sans précédent. Entraînés sur la quasi-totalité du web, ils peuvent générer des versions alternatives de n’importe quel événement avec un degré de plausibilité linguistique troublant. Ces contrefactuels ne se contentent pas d’exister comme possibilités abstraites ; ils sont insérés directement dans les flux informationnels quotidiens, concurrençant les descriptions factuelles dans l’économie de l’attention.

Cette concurrence entre factualité et contrefactualité est fondamentalement asymétrique. La description factuelle d’un événement est contrainte par ce qui s’est effectivement produit ; les descriptions contrefactuelles peuvent explorer un espace des possibles virtuellement infini, choisissant précisément les versions qui maximiseront l’engagement émotionnel des différents segments d’audience. Cette asymétrie fondamentale explique en partie le succès du vectofascisme dans l’économie attentionnelle contemporaine : la contrefactualité optimisée pour l’engagement l’emportera presque toujours sur la factualité dans un système où l’attention est la ressource principale.

Cette prolifération contrefactuelle transforme également notre rapport au temps politique. La politique démocratique moderne présupposait un certain ordonnancement temporel : des événements se produisent, sont rapportés factuellement, puis font l’objet d’interprétations diverses dans un débat public structuré. Le vectofascisme court-circuite cet ordonnancement : l’interprétation précède l’événement, les contrefactuels saturent l’espace attentionnel avant même que les faits ne soient établis, et le débat ne porte plus sur l’interprétation de faits communs mais sur la nature même de la réalité.

En finir

Nous assistons moins à une reproduction à l’identique du fascisme historique qu’à l’émergence d’une forme hybride, adaptée au contexte contemporain, que l’on pourrait qualifier d’autoritarisme populiste à tendance fascisante.

L’emploi du terme “fascisme” pour qualifier des phénomènes politiques contemporains nécessite à la fois rigueur conceptuelle et lucidité politique. Si toute forme d’autoritarisme n’est pas nécessairement fasciste, les convergences identifiées entre certaines tendances actuelles et les caractéristiques fondamentales du fascisme historique ne peuvent être négligées.

Le fascisme, dans son essence, représente une subversion de la démocratie par l’exploitation de ses vulnérabilités. Sa capacité à se métamorphoser selon les contextes constitue précisément l’un de ses dangers. Reconnaître ces mutations sans tomber dans l’inflation terminologique constitue un défi intellectuel majeur.

Le vectofascisme contemporain ne reproduit pas à l’identique l’expérience historique des années 1930, mais il partage avec celle-ci des mécanismes fondamentaux.

On peut proposer cette définition synthétique à retravailler:

Le vectofascisme désigne une forme politique contemporaine qui adapte les mécanismes fondamentaux du fascisme historique aux structures technologiques, communicationnelles et sociales de l’ère numérique. Il se définit précisément comme un système politique caractérisé par l’instrumentalisation algorithmique des flux d’information et des espaces numériques pour produire et orienter des affects collectifs, principalement la peur et le ressentiment, au service d’un projet de pouvoir autoritaire. Il se distingue par (1) l’exploitation stratégique des propriétés vectorielles de l’information numérique (direction, magnitude, propagation) ; (2) la manipulation systématique de l’espace des possibles et des contrefactuels pour fragmenter la réalité commune ; (3) la production statistiquement optimisée de polarisations sociales et identitaires ; et (4) la personnalisation algorithmique des trajectoires de radicalisation dans des espaces latents de haute dimensionnalité.

Contrairement au fascisme historique, centré sur la mobilisation physique des masses et l’occupation matérielle de l’espace public, le vectofascisme opère principalement par la reconfiguration de l’architecture informationnelle et attentionnelle. Cependant, il repose fondamentalement sur une mobilisation matérielle d’un autre ordre : l’extraction intensive de ressources énergétiques et minérales (terres rares, lithium, cobalt, etc.) nécessaires au fonctionnement des infrastructures numériques qui le soutiennent. Cette extraction, souvent délocalisée et invisibilisée, constitue la base matérielle indispensable de la superstructure informationnelle, liant le vectofascisme à des formes spécifiques d’exploitation environnementale et géopolitique qui alimentent les machines computationnelles au cœur de son fonctionnement.


As announced by Vilém Flusser, we have entered the post-alphabetic era. Apparatuses now program us as much as we program them. In this techno-imaginal universe where all our faculties are traversed by technologies, the question of fascism poses itself differently. Qualifying a contemporary phenomenon as “fascist” is neither a simple semantic detour nor historical accuracy. It is rather recognizing a certain affective disposition that traverses the socius, a rearrangement of desiring intensities under new technical conditions.

Trump’s second mandate is not a “return” to fascism—as if history followed a circular schema—but a fractured re-emergence in a radically distinct techno-affective field. The prefix “vecto-” indicates precisely this transformation: we are no longer in a politics of masses but in a politics of vectors, of lines of force and directional intensities that traverse and constitute the algorithmized social body.

Even speaking of “masses” would still be nostalgic, a residual concept from an era when physical density manifested the political. Today, density is expressed in terms of aggregated attention, of micro-impulses algorithmically synchronized in the absence of any bodily proximity. Bodies no longer need to touch each other to form a political force; it suffices that their data touch in the latent space of servers. This dematerialization is not a disappearance of the body but its redistribution in a new computational geography that reconfigures the very coordinates of the political. Moreover, when these bodies mobilize physically, it is thanks to the network.

In this recomposition of the social field, inherited political categories lose their descriptive efficacy. It is not that the words “fascism” or “democracy” are simply obsolete, it is that the phenomena they designated have undergone a mutation that necessitates not simply new words, but a new political grammar. The prefix “vecto-” is not a conceptual ornament, but the indicator of a structural transformation in the way power is constituted, circulates, and is exercised.

Definitions

Historical fascism: Political movement born in the interwar period, primarily in Italy and Germany, characterized by exacerbated nationalism, cult of the leader, rejection of democratic institutions, mass mobilization, and institutionalized political violence.

Neofascism: Contemporary adaptation of certain characteristics of historical fascism to a different sociopolitical context, preserving certain fundamental ideological elements while reformulating them.

Vectofascism: Neologism designating a contemporary form of fascism that adapts to the communication means and social structures of the digital era, characterized by the vectorization (direction, intensity, propagation) of information and power in the AI era.

From Masses to Vectors

Historical fascism still belonged to the universe of linear writing and the first industrial wave. Fascist machines were machines for producing coordinated gestures in physical space. The collective body expressed itself through uniformed parades, arms extended in unison, a directly observable energetic flux.

Vectofascism belongs to the post-alphabetic universe of computational apparatuses. It is no longer an inscription system but a calculation system. Where classical fascism operated by ideological inscription on bodies, vectofascism operates by algorithmic modulation of attention and affect flows. The apparatuses that constitute it are not mega-loudspeakers but micro-targetings.

The fascist technical image was monumental, visible to all, univocal; the vectofascist technical image is personalized, multiple, apparently unique for each viewer. But this multiplication of images is not liberating; it is calculated by a meta-program that remains invisible. The appearance of multiplicity masks the fundamental unity of the program.

This transformation does not simply signify a digitization of fascism, as if the digital were merely a new support for old political practices. It involves a mutation of the political itself. The uniform crowds of fascist rallies still operated in three-dimensional Euclidean space; vectofascism operates in an n-dimensional hyperspace where the very notion of “rally” becomes obsolete. What assembles are no longer bodies in a stadium but data in a vector space.

This passage from a politics of physical presence to a politics of informational vectorization also transforms the very nature of power. Traditional fascist power was exercised through visible disciplinarization of bodies, the imposition of a social orthopedy directly inscribed in the materiality of gestures thanks to the single Party. Vectofascist power is exercised through invisible modulation of affects, a cognitive orthopedy that no longer applies to muscles but to synapses, that no longer aims to standardize movements but to orient impulses. The Party or any forms of social organization no longer have relevance.

In this regime, the old fascist binome order/disorder is replaced by the binome signal/noise. It is no longer about producing a visible order against the disorder of undisciplined masses, but about amplifying certain signals and attenuating others, modulating the signal/noise ratio in the global informational ecosystem. This passage from the disciplinary paradigm to the modulatory paradigm perhaps constitutes the fundamental rupture that justifies the prefix “vecto-“.

Let us analyze 3 characteristics that justify the use of the word fascist in our concept:

The Cult of the Leader

Historical fascism institutionalized the cult of personality to an unprecedented degree. The Duce or the Führer were not simply leaders, but quasi-mystical incarnations of the national will. This relationship between the leader and his partisans transcended simple political adherence to reach an almost religious dimension.

This characteristic manifests today through the unconditional devotion of certain partisans toward their leader, resisting any factual contradiction. Emotional attachment takes precedence over rational evaluation of policies. The slogan “Trump can do no wrong” perfectly illustrates this suspension of critical judgment in favor of absolute confidence.

Democracy, by essence, supposes critical vigilance of citizens toward their leaders. Defiance toward leaders is a sign of democracy’s proper functioning insofar as citizens remain autonomous. The substitution of this autonomy by unconditional allegiance therefore constitutes a significant anti-democratic regression.

The Dissolution of the Relationship to Truth

The relationship of fascist discourse to truth constitutes a particularly distinctive element. Unlike other ideologies that propose an alternative but coherent vision of the world, fascism maintains an instrumental and flexible relationship with truth. Contradiction is not perceived as a logical problem but as a demonstration of power.

The fascist “logos” is worth less for its semantic content than for its affective intensity and its capacity to mobilize masses. This characteristic is found in contemporary political communication qualified as “post-truth,” where emotional impact takes precedence over factual veracity.

The apparent incoherence of certain current political discourses is not a defect but a functionality: it demonstrates the leader’s emancipation from common constraints of coherence and factual verification. The contempt for “fake news” and “alternative facts” participates in this logic where the power of affirmation prevails over rational demonstration.

The Designation of Scapegoats

The third fundamental characteristic resides in the systematic designation of interior enemies, generally from minorities, who are presented as responsible for national difficulties.

This strategy fulfills a double function: it diverts attention from structural contradictions of the economic system (thus serving the interests of big capital) and provides a simple explanation for complex problems. The stigmatization of minorities—whether ethnic, religious, or sexual—creates a negative national cohesion, founded on opposition to an interior “other.”

In the contemporary context, this logic is observed in anti-immigration rhetoric, stigmatization of Muslim communities, or certain discourses on sexual minorities presented as threatening national identity. The creation of an artificial antagonism between an “authentic people” and elements presented as “parasitic” constitutes a striking continuity with historical fascisms.

The Industrialization of the Differend

Historical fascism still inscribed itself—even perversely—in the grand narrative of modern emancipation. It was a pathology of modernity, but one that spoke its language: progress, renewal, purity, historical accomplishment. Vectofascism flourishes precisely in the end of grand narratives, in incredulity and suspicion.

In the absence of metanarratives, political differend becomes inexpressible. How to articulate resistance when the very rules of discourse are constantly reconfigured? Vectofascism does not need to deny the legitimacy of opposition; it can simply render it inaudible by perpetually recalibrating the very conditions of audibility: it is a high-frequency politics like when we speak of high-frequency speculation.

We could define vectofascism as a machine for producing undecidable differends—not conflicts of interpretation, but situations where the phrases themselves belong to heterogeneous regimes of which none has authority to judge the others. The vectofascist phrase is not contradicted in its regime; it creates a regime where contradiction no longer has currency.

The Lyotardian notion of differend takes on an algorithmic dimension here. The classical differend designated the impossibility of deciding between two discourses pertaining to incommensurable phrase regimes. The algorithmic differend goes further: it actively produces this incommensurability through targeted manipulation of informational environments. It is no longer simply that no tribunal exists to decide between two phrase regimes; it is that algorithms create tailor-made phrase regimes for each node of the network, making impossible even consciousness of the existence of a differend.

This algorithmic fragmentation of discursive universes constitutes a radical rupture with the modern bourgeois public sphere, which at least theoretically presupposed a common discursive space where different positions could confront each other according to shared rules. Vectofascism does not need to censor opposition; it suffices to ensure that discursive universes are sufficiently distinct so that even the identification of a common opposition becomes impossible.

This incapacity to formulate a common differend prevents the constitution of a coherent political “we” in the face of power. Each node of the network perceives a slightly different power, against which it formulates slightly different grievances, which find echo in slightly different resistance communities. This micro-differentiation of perceptions of power and resistances ensures effective neutralization of any systemic opposition.

“I Am Not Here”

Power is no longer exercised primarily through the massive institutions of modernity, but through spectral, impalpable systems whose very existence can be denied. Vectofascism resembles those entities that, like Derridean hauntologies, are simultaneously there and not there. It operates in this zone of indistinction between presence and absence.

What characterizes this spectral power is precisely its capacity to deny its own existence while exercising its effects. “This is not fascism,” one repeats, while implementing its fundamental mechanisms under different names. This denegation is part of its operative power. Vectofascism is all the more effective because it can always say: “I am not here.”

Spectrality is not only a metaphor but a condition of contemporary power. The algorithms that constitute the infrastructure of vectofascism are literally specters: invisible to the users they modulate, present only through their effects, they haunt digital space like ghosts in the machine. The Fisherian formula “they do not know what they are doing, but they do it anyway” takes on new meaning here: users do not perceive the mechanisms that modulate their affects, but they nonetheless produce these affects with troubling precision.

This spectrality of vectofascist power partly explains the inadequacy of traditional modes of resistance. How to oppose what denies its own existence? How to resist a form of domination that presents itself not as imposition but as personalized suggestion? How to combat a power that manifests itself less as prohibition than as subtle modulation of the field of perceived possibilities?

Vectofascism thus represents a significant evolution compared to Foucauldian biopower. It is no longer simply about “making live and letting die” but infinitely modulating the micro-conditions of this life, creating tailor-made informational environments that constitute so many “ontological greenhouses” where certain forms of subjectivity can prosper while others are suffocated by unfavorable conditions.

Trump’s Second Mandate

In light of these theoretical elements, let us return to the initial question: is it legitimate to qualify Trump’s second mandate as “fascist”?

Several elements suggest significant convergences with fundamental characteristics of fascism:

  • Extreme personalization of power and cult of personality
  • Instrumental relationship to factual truth and deliberate incoherence of discourse
  • Systematic designation of scapegoats (immigrants, ethnic minorities, “cosmopolitan elites”)
  • Questioning of democratic institutions (contesting electoral results, pressure on judicial apparatus)
  • Mobilization of collective affects (fear, resentment, nostalgia) rather than rational arguments

In the universe of technical images, what does the leader become? He is no longer a subject bearing historical will but a function in a feedback system. He is neither entirely a transmitter nor completely a receiver, but a node in a cybernetic circuit of affective modulation.

The cult of the vectofascist leader is no longer a cult of the person but a cult of the interface, of the interaction surface. What is adored is not the supposed depth of the leader but his capacity to function as a perfect projection surface. The ideal leader of vectofascism is one who offers no resistance to the projection of algorithmically modulated collective desires.

Grotesquerie thus becomes no longer an accident but an essential political operator. If the body of the traditional fascist leader was idealized, having to embody the perfection of race and nation, the body of the vectofascist leader can emancipate itself from this requirement of perfection precisely because it no longer has to embody but to channel. The manifestly constructed, artificial, even ridiculous character of appearance (the improbable hairstyle, orange makeup) is not a defect but an asset: it signals that we have fully entered the regime of the technical image, where the referent effaces itself behind its own representation.

This ontological transformation of the leader’s status also modifies the nature of the link that unites him to his partisans. Where the traditional fascist link was founded on identification (the petit-bourgeois identifies with the Führer who embodies what he aspires to be), the vectofascist link functions more through algorithmic resonance: the leader and his partisans are adjusted to each other not through a psychological process of identification but through a technical process of optimization. Algorithms simultaneously shape the leader’s image and the affective dispositions of partisans to maximize resonance between them.

This passage from identification to resonance transforms the very temporality of the political link. Traditional fascist identification implied a temporality of becoming (becoming like the leader, participating in his historical destiny). Vectofascist resonance implies a temporality of instantaneity: each tweet, each declaration, each appearance of the leader produces a peak of affective intensity immediately measurable in terms of digital engagement, then effaces itself in the continuous flow of perpetual present.

The vectofascist relationship to truth is not simply a lie or falsification. In the post-alphabetic universe, the binary distinction true/false still belongs to alphabetic thought. What characterizes vectofascism is rather the production of calculated undecidability, of a gray zone where the very status of the statement becomes indeterminable.

This mechanism must not be understood as irrational. On the contrary, it is hyper-rational in its capacity to exploit the flaws of verification systems. Post-truth is not the absence of truth but its submersion in a flow of contradictory information whose sorting would require cognitive effort exceeding available attentional capacities.

Capitalism has always known that it was more effective to saturate mental space than to censor it. Vectofascism applies this logic to truth itself: not denying facts, but drowning them in an ocean of quasi-facts, semi-facts, hyper-facts until the distinction itself becomes an unaffordable cognitive luxury.

This cognitive saturation strategy exploits a fundamental asymmetry: it is always more costly in terms of cognitive resources to verify an assertion than to produce it. Producing a complex lie costs a few seconds; demystifying it can require hours of research. This asymmetry, negligible in pre-digital attentional economies, becomes decisive in the contemporary informational ecosystem characterized by superabundance and acceleration.

Vectofascism pushes this logic to the point of transforming veracity itself into a simple variable of algorithmic optimization. The question is no longer “is this true?” but “what degree of veracity will maximize engagement for this specific segment?”. This calculated instrumentalization of truth can paradoxically lead to precise calibration of the optimal mixture between facts, half-truths, and complete lies for each micro-public.

This fine modulation of the relationship to truth transforms the very nature of political lying. Traditional lying still presupposed implicit recognition of truth (one lies precisely because one recognizes the importance of truth). Vectofascist lying operates beyond this distinction: it is no longer about denying a recognized truth, but creating an informational environment where the distinction itself between truth and lie becomes a manipulable variable among others.

Traditional concepts of propaganda or manipulation thus become partially obsolete. Classical propaganda aimed to impose an alternative but coherent worldview; vectofascist modulation of truth renounces this coherence in favor of localized and temporary efficacy. It is no longer about constructing a stable alternative grand narrative, but producing contradictory micro-narratives adapted to each population segment and each attentional context.

Where historical fascism designated universal enemies of the nation (the Jew, the communist, the degenerate), vectofascism calculates personalized enemies for each node of the network. It is tailor-made hatred, algorithmically optimized to maximize affective engagement of each population segment.

This personalization is not an attenuation but an intensification: it allows infiltrating the micropores of social fabric with surgical precision. The system does not propose a single scapegoat but an entire ecology of potential scapegoats, adapted to the pre-existing affective dispositions of each user.

The enemy is no longer a monolithic Other but a set of micro-alterities whose composition varies according to the observer’s position in the network and of which “wokism” is the paradigm. This fine modulation of antagonisms produces a society simultaneously ultra-polarized and ultra-fragmented, where each informational bubble develops its own figures of hatred.

This fragmentation of enemy figures does not diminish the intensity of hatred but makes it more efficient by adapting it precisely to the pre-existing psycho-affective dispositions of each user. Algorithms can identify which specific characteristics of a group designated as enemy will provoke the strongest emotional reaction in a particular user, then accentuate precisely these characteristics in the informational flow destined for them.

However, this personalization of scapegoats does not signify the absence of coordination. The algorithms that modulate these personalized hatreds are themselves coordinated at the meta level, ensuring that these apparently dispersed antagonisms nonetheless converge toward coherent political objectives. It is a second-order orchestration: not the imposition of a single enemy, but algorithmic coordination of multiple enmities.

This algorithmic distribution of hatred also transforms the temporality of antagonisms. Traditional fascism designated stable, permanent, essentialized enemies (the eternal Jew, the international communist). Vectofascism can vary enemy figures according to tactical necessities of the moment, producing temporary but intense peaks of hateful intensity, then reorienting this energy toward new targets when engagement weakens. “My friends there are no friends” resonates very strangely today.

This tactical flexibility in enemy designation allows maintaining constant affective mobilization while avoiding the saturation that would result from too prolonged focus on the same scapegoat. Hatred thus becomes a renewable attentional resource, whose extraction is optimized by algorithms that constantly monitor signs of disengagement and recalibrate targets accordingly.

Vectorial Control

Historical fascism functioned in Foucauldian disciplinary space: gridding of bodies, panoptic visibility, normalization from the outside. Vectofascism operates in a latent space of n-dimensions that cannot even be directly visualized by the human mind.

This latent space is not a metaphorical place but a concrete mathematical space in which artificial neural networks generate compressed representations of human data. It is not a space of representation but of modulation: the transformations that occur there do not represent a pre-existing reality but generate new realities.

Traditional political geography (center/periphery, high/low, right/left) becomes inoperative. Political coordinates are replaced by intensity vectors, polarization gradients, attention fields whose properties correspond to no anterior political cartography.

This transformation of power’s geography is not a simple metaphor but a concrete technical reality. Contemporary large language models, for example, do not operate primitively in the space of words but in a high-dimensional latent space where each concept is represented as a vector possessing hundreds or thousands of dimensions. In this space, the “distance” between two concepts is no longer measured in traditional spatial terms but in terms of cosine similarity between vectors.

This reconfiguration of conceptual space fundamentally transforms the conditions of possibility of the political. Traditional political categories (left/right, conservative/progressive) become simplified and impoverished projections of a more complex multidimensional space. Algorithms, for their part, operate directly in this latent space, capable of manipulating political dimensions that we cannot even name because they emerge statistically from data analysis without corresponding to any pre-existing category in our political vocabulary.

The power exercised in this latent space thus partially escapes our very capacity to conceptualize it. How to criticize what we cannot represent? How to resist what operates in dimensions we cannot directly perceive and which allows passage from any point to any other? This constitutive invisibility is not accidental but structural: it flows directly from the very nature of high-dimensional vector spaces that constitute the mathematical infrastructure of vectofascism.

This invisibility is reinforced by the proprietary character of algorithms that operate these transformations. The models that modulate our informational environments are generally protected by commercial secrecy, their precise parameters inaccessible not only to users but often even to the developers who deploy them. This opacity is not a bug but a feature: it precisely allows the exercise of power that can always deny its own existence.

On Facticity

Vectofascism does not merely manipulate representations of the existing world; it actively generates counterfactual worlds that compete with the factual world in attentional space. These worlds are not simply “false”—a qualification that still belongs to the alphabetic regime of truth—but alternative, parallel, adjacent.

The power of contemporary predictive models resides precisely in their capacity to produce convincing counterfactuals, simulations of what could have been that acquire an affective force of attraction equivalent or superior to what has effectively occurred.

This proliferation of counterfactuals is not a bug but another feature of the system: it allows keeping open contradictory potentialities, indefinitely suspending the epistemic closure of the world that rational democratic deliberation would require.

Counterfactual modeling is not in itself an innovation of vectofascism; it actually constitutes a fundamental cognitive capacity of human beings and an essential epistemological tool of modern science. What specifically characterizes vectofascism is the industrialization of this counterfactual production, its systematic insertion into daily informational flows, and its algorithmic optimization to maximize affective engagement rather than veracity or coherence.

Large language models constitute in this regard counterfactuality machines of unprecedented power. Trained on the quasi-totality of the web, they can generate alternative versions of any event with a troubling degree of linguistic plausibility. These counterfactuals do not merely exist as abstract possibilities; they are inserted directly into daily informational flows, competing with factual descriptions in the attention economy.

This competition between factuality and counterfactuality is fundamentally asymmetric. Factual description of an event is constrained by what has effectively occurred; counterfactual descriptions can explore a virtually infinite space of possibilities, choosing precisely the versions that will maximize emotional engagement of different audience segments. This fundamental asymmetry partly explains vectofascism’s success in the contemporary attentional economy: counterfactuality optimized for engagement will almost always prevail over factuality in a system where attention is the principal resource.

This counterfactual proliferation also transforms our relationship to political time. Modern democratic politics presupposed a certain temporal ordering: events occur, are factually reported, then become the object of diverse interpretations in a structured public debate. Vectofascism short-circuits this ordering: interpretation precedes the event, counterfactuals saturate attentional space before facts are even established, and debate no longer concerns interpretation of common facts but the very nature of reality.

Conclusion

We are witnessing less an identical reproduction of historical fascism than the emergence of a hybrid form, adapted to the contemporary context, which could be qualified as populist authoritarianism with fascistic tendencies.

The use of the term “fascism” to qualify contemporary political phenomena necessitates both conceptual rigor and political lucidity. If not every form of authoritarianism is necessarily fascist, the convergences identified between certain current tendencies and fundamental characteristics of historical fascism cannot be neglected.

Fascism, in its essence, represents a subversion of democracy through exploitation of its vulnerabilities. Its capacity to metamorphose according to contexts precisely constitutes one of its dangers. Recognizing these mutations without falling into terminological inflation constitutes a major intellectual challenge.

Contemporary vectofascism does not identically reproduce the historical experience of the 1930s, but it shares with it fundamental mechanisms.

We can propose this synthetic definition to be reworked:

Vectofascism designates a contemporary political form that adapts the fundamental mechanisms of historical fascism to the technological, communicational, and social structures of the digital era. It is defined precisely as a political system characterized by the algorithmic instrumentalization of information flows and digital spaces to produce and orient collective affects, primarily fear and resentment, in service of an authoritarian power project. It is distinguished by (1) strategic exploitation of vectorial properties of digital information (direction, magnitude, propagation); (2) systematic manipulation of the space of possibilities and counterfactuals to fragment common reality; (3) statistically optimized production of social and identity polarizations; and (4) algorithmic personalization of radicalization trajectories in high-dimensional latent spaces.

Unlike historical fascism, centered on physical mobilization of masses and material occupation of public space, vectofascism operates primarily through reconfiguration of informational and attentional architecture. However, it fundamentally rests on material mobilization of another order: intensive extraction of energetic and mineral resources (rare earths, lithium, cobalt, etc.) necessary for the functioning of digital infrastructures that support it. This extraction, often delocalized and invisibilized, constitutes the indispensable material base of the informational superstructure, linking vectofascism to specific forms of environmental and geopolitical exploitation that fuel the computational machines at the heart of its functioning.