Une espèce de finitude / A species of finitude

Répondre à une critique, ce n’est pas réagir dans l’immédiateté de la défense ni se justifier par l’invocation de bonnes intentions, c’est tenter de la prendre au sérieux en souhaitant qu’elle ouvre un espace de discussion, celui où la pensée peut advenir comme événement plutôt que comme simple réaction. Cette tentative de saisissement critique révèle d’emblée une temporalité paradoxale : elle s’origine dans une série d’œuvres qui remontent à 2003 avec Dislocation (https://chatonsky.net/category/corpus/extinction/), puis se prolonge rétroactivement vers 1998 et Incident of the Last Century (https://chatonsky.net/sarajevo), inaugurant ce que nous nommerons ici un procès en pessimisme dont la récurrence même signale l’urgence d’une interrogation. Mais qu’est-ce qui se joue dans cette accusation répétée ?

Cette critique s’ancre dans une perspective psychologisante qui constitue précisément ce qu’il convient de diagnostiquer comme symptôme. Elle consiste à envisager la représentation de la destruction, des ruines, des guerres, de l’extinction comme un trait de caractère, ramenant l’art à être la simple extériorisation d’une intériorité, l’œuvre d’art exprimerait seulement le point de vue d’un individu: le monde come volonté et représentation. Pourtant, ce qui se trouve alors occulté relève d’une évidence épistémologique : le point de vue porte sur quelque chose, et cette chose n’est pas obligatoirement d’ordre psychologique. La psychologisation, terme que nous proposons de définir comme la réduction systématique des phénomènes objectifs à leurs supposées corrélats subjectifs, opère ici une double forclusion : elle évacue la dimension ontologique des processus de destruction tout en absolutisant la figure de la subjectivité comme seul horizon interprétatif possible.

Avec cette approche psychologisante, nous voilà réduits à un choix binaire d’une simplicité confondante : pessimisme ou optimisme, rien de plus. Pas de chose en soi mais seulement pour soi, des choses situées réductibles à “ma” situation, à mon humeur, à mes dispositions affectives du moment. Il va de soi que cette manière de concevoir les choses constitue le symptôme impensé d’une histoire occidentale qui conçoit tout selon la figure de la subjectivité, cette subjectivité dont Heidegger a montré qu’elle culmine dans la volonté de puissance, dernier mot d’un humanisme qui ne peut concevoir le monde qu’à travers le prisme de la domination et de l’appropriation.

Faut-il avoir un esprit pessimiste pour pouvoir envisager la destruction ou faut-il une grande santé? Cette question, apparemment innocente, révèle déjà le piège d’une logique causale simpliste qui fait de l’œuvre d’art la conséquence mécanique d’un état psychologique antérieur. L’œuvre d’art serait-elle responsable de ce sentiment de fin du monde, comme si la représentation détenait un pouvoir magique sur le réel ? Et ne faudrait-il mieux pas qu’elle soit capable de résilience, de résistance, de solution ? N’y a-t-il pas une certaine facilité à toujours représenter le négatif ? Cette dernière interrogation, en particulier, révèle l’inscription spontanée de la critique dans ce que nous pourrions appeler un imaginaire thérapeutique : l’art devrait guérir, consoler, résoudre les contradictions plutôt que les approfondir et les porter à leur point de tension maximale, à leur dégénérescence.

C’est sans doute du fait de cette approche psychologisante qu’on a vu se multiplier une esthétique biomorphique espérant trouver dans la nature, et plus spécifiquement dans le vivant, une solution à la crise actuelle. Il s’agirait de s’inspirer de la vie pour concevoir une technique qui ne serait pas destructrice, un biomimétisme qui retrouverait l’harmonie perdue en imitant les processus vitaux. Cette démarche, si généreuse soit-elle dans ses intentions, repose sur une conception fondamentalement erronée de ce qu’elle désigne par le terme de nature.

Je passe sur les questions d’échelle de ce paradigme—comment l’imitation de processus cellulaires pourrait-elle résoudre les contradictions de l’accumulation capitaliste ?—pour l’approcher comme une conception erronée de la nature qui est ici conçue comme quelque chose de positif d’un point de vue moral. C’est la conception de la nature comme jardinage, comme un environnement réconfortant où l’être humain pourrait retrouver ses origines perdues et réconcilier technique et vie. Mais cette nature n’existe pas. Elle est un concept produit dans le cadre d’une terraformation, processus par lequel l’espèce humaine transforme la planète à son image, consistant à, de façon parallèle, concevoir tout du point de vue de la subjectivité et d’humaniser la planète en y réservant des bulles de “nature” protégée, des parcs nationaux et des réserves qui fonctionnent comme autant d’alibis permettant de poursuivre ailleurs la destruction systématique des équilibres écologiques.

Ce qu’on croit désigner par le concept de nature est infiniment moins agréable, réconfortant et vivant qu’on ne le croit. La nature, c’est d’abord la sélection impitoyable, la prédation, la parasitose, l’extinction des espèces faibles, la contingence absolue des mutations génétiques, l’indifférence radicale aux souffrances individuelles. Cette vérité insupportable explique pourquoi nous préférons nous en tenir à une représentation édulcorée qui nous permettrait de résoudre par l’imitation ce que nous avons créé par la transformation.

Mais allons plus loin, car cette psychologisation de l’œuvre d’art participe d’un refoulement des phénomènes de destruction qui ne sont pas envisagés comme tels mais comme l’expression d’un esprit malade. Cette dénégation de la destruction, mécanisme de défense psychique qui consiste à refuser de reconnaître la réalité d’un processus en cours, trouve sa formulation politique la plus aboutie dans ce que nous nommerons le vectofascisme: terme qui désigne la formation politique contemporaine caractérisée par la vectorisation des affects collectifs à travers le paradigme vectoriel de l’espace latent de l’IA et la promesse d’un dépassement technologique de toutes les contradictions. Cette exclusion de la fin ne pose la fin que pour la dépasser et assurer la survie de l’espèce humaine par tous les moyens nécessaires.

Le vectofascisme se distingue du fascisme historique par sa relation spécifique à la temporalité : là où le fascisme classique promettait un Reich de mille ans, le vectofascisme promet l’immortalité technologique ; là où le premier organisait la mobilisation totale des corps, le second organise la mobilisation totale des données. Mais dans les deux cas, la logique reste identique : conjurer la finitude par la puissance, résoudre l’angoisse de la mort par l’intensification de la domination jusqu’à l’autodestruction.

On voit alors un lien structurel entre la psychologisation et la conjuration de la fin, précisément parce que méthodologiquement, si on considère toute chose comme l’expression d’un sujet, ce sujet humain ne saurait s’arrêter sans que la pensée elle-même s’arrête. C’est là le cercle vicieux de l’anthropocentrisme : incapable de penser sa propre finitude, il la projette sur l’extérieur sous forme de pessimisme psychologique, évacuant ainsi la possibilité même d’une pensée de l’extinction qui ne soit pas réduite à un symptôme dépressif.

Nous avons encore du mal à approcher la part de destruction du vectofascisme et cette difficulté n’est pas accidentelle. Sa relation à la guerre est pour l’instant différente du fascisme du siècle dernier, privilégiant la guerre informationnelle à la guerre cinétique, et nous sommes dans l’incertitude de son autodestruction. Mais ce que nous savons avec certitude, c’est que la fin n’est posée que pour la conjurer et que, par exemple, le posthumanisme n’est nullement un dépassement de l’humanisme : il consiste seulement, comme l’avait détecté Jean-François Lyotard avant l’heure, à transférer le software humain dans un hardware technologique, perpétuant ainsi l’illusion d’une maîtrise absolue de la temporalité.

Le vectofascisme veut continuer coûte que coûte—”drill, baby drill”, selon la formule de Sarah Palin devenue slogan planétaire—précisément parce qu’il est incapable d’affronter la finitude. Et c’est précisément ce que fait le procès en pessimisme de l’art : il refuse d’affronter ce qui, dans l’œuvre, excède la psychologie pour atteindre l’ontologie, c’est-à-dire la question de l’être en tant qu’être-pour-la-fin.

Il est donc question de finitude, mais d’un type de finitude radicalement nouveau et plus précisément d’un changement profond dans la nature même de la finitude, changement qui constitue peut-être la mutation anthropologique majeure de notre époque. Car celle-ci correspondait habituellement à la finitude d’un individu, c’est-à-dire à la fin d’une existence, événement insupportable mais supporté par la transmission culturelle qui pouvait faire espérer une suite, un héritage, une transmission, une connaissance constituée par la mémoire des disparus. La mort individuelle était rachetée par la permanence de l’espèce, la disparition du singulier compensée par la persistance du général.

À présent, notre finitude est celle de l’espèce et elle devient alors quelque chose qui nous est commun d’une manière inédite. Elle a ceci de spécifique qu’elle signe l’arrêt probable de la transmission, du transfert de la connaissance d’un corps à un autre corps. La finitude d’espèce, concept que nous définissons comme la conscience collective de l’extinction possible de l’humanité dans son ensemble, c’est la mort de chaque représentant de notre espèce, jusqu’au dernier témoin. Plus de transmission possible, plus d’héritage, plus de mémoire collective, seulement l’interruption pure et simple de la chaîne anthropologique qui reliait les morts aux vivants et les vivants aux non-encore-nés.

Cette perspective pourrait sembler effroyable et l’effroi qu’elle suscite explique largement les résistances qu’elle rencontre. Mais la vérité, c’est qu’elle ne l’est pas moins que la finitude individuelle, et que la rejeter sous prétexte qu’en la représentant on la ferait advenir relève du même ordre de pensée magique que de croire qu’une personne consciente de la mort deviendrait par là même morbide. Cette infection de l’individu par ses représentations constitue une manière fort naïve de considérer la représentation, car la conscience de la finitude individuelle peut bien au contraire ouvrir à un élargissement de ce que nous nommerons l’agentivité existentielle, terme qui désigne la capacité d’un être fini à agir en pleine conscience de sa finitude, non pas malgré elle mais grâce à elle.

Le procès en pessimisme fait de l’extinction un phénomène psychologique alors qu’il constitue une tentative de se confronter à l’irrémédiable, au sans-reste de la fin, à la clôture du témoignage et, par rebond, d’aborder notre présent encore vivant à rebrousse-poil pour lui donner une nouvelle perspective et intensité. Loin de constituer une complaisance morbide, la pensée de l’extinction fonctionne comme un révélateur existentiel : elle fait apparaître l’urgence absolue du présent en même temps qu’elle dévoile l’insignifiance relative de nos préoccupations habituelles.

Ainsi, Télofossiles (2012-2015) consistait en un paysage ahumain où il ne restait que les vestiges de nos activités et de nos productions industrielles, celles-ci ayant accéléré incroyablement la quantité des fossiles que nous léguerons aux géologues du futur, s’il y en a. Il n’y avait là aucune fascination pour les ruines, aucune complaisance esthétique pour la destruction, mais un simple changement de perspective : nos productions industrielles ne sont pas là pour répondre à un besoin, car celui-ci ne préexiste pas à la production qui le crée, mais sont la production de traces dont nous avons conscience qu’elles ne prendront leur sens qu’après nous, qu’après la disparition de l’espèce humaine. Nous produisons déjà pour notre propre archéologie future, nous accumulons les indices de notre passage pour des témoins qui n’existeront peut-être jamais.

Terre seconde (2019) n’était aucunement un récit posthumaniste rêvant au remplacement de l’être humain par une machine plus parfaite, mais l’hypothèse que toutes les données que nous avons accumulées au fil du temps l’ont été pour alimenter une machine qui les mobiliserait une seconde fois lorsque la première fois, celle où nous avons été, aura disparu. Cette œuvre anticipait ainsi sur l’émergence des IA génératives contemporaines, révélant que notre frénésie d’accumulation numérique pourrait bien avoir pour finalité inconsciente la constitution d’une mémoire post-biologique destinée à nous survivre.

La quatrième mémoire (2025) ne consiste aucunement dans le récit égotique de la survie d’un artiste dans la mémoire vectorielle d’une IA, ce qui ne serait qu’une forme sophistiquée d’immortalité narcissique, mais ouvre un tournant décisif : notre résurrection ne serait nullement fondée sur le factuel, sur ce qui est effectivement arrivé, mais sur la facticité entendue dès à présent comme possible, c’est-à-dire sur tout ce qui n’a pas eu lieu, témoignant de l’infondation radicale de l’existence humaine. La facticité, concept emprunté à Quentin Meillassoux, désigne ici la contingence absolue de ce qui est : tout aurait pu être autrement, tout pourrait encore être autrement, et c’est cette contingence même qui constitue la seule nécessité absolue.

Ces trois exemples montrent les bénéfices sensibles et intellectuels à se confronter à la finitude de l’espèce pour constituer le seul horizon possible du commun politique : c’est au cœur de l’extinction que l’espèce humaine se révèle dans son unité, parce que la fin de tous est la fin de chacun, et pas seulement par logique comptable. Cette révélation de l’unité de l’espèce dans l’imminence de sa disparition constitue ce que nous pourrions appeler un communisme de l’extinction : nous n’aurons jamais été individuellement que le désir d’une survivance des morts dans ceux qui ne sont pas encore nés.

C’est la raison pour laquelle Liminal de Pierre Huyghe, qui représente explicitement la disparition en trois phases (désubjectivation des êtres humains sans visage, extinction quand les machines filment nos squelettes comme un paysage revenu à la Terre, et imagination quand la machine produit de nouvelles formes d’existence) n’est nullement pessimiste mais réaliste au sens le plus fort du terme. Ce n’est pas seulement telle ou telle condition factuelle, telle que le réchauffement climatique, à laquelle on pourrait trouver un remède ponctuel ; c’est la nature même d’une espèce que d’apparaître et de disparaître. L’extinction fait partie de l’essence de toute espèce vivante, et l’espèce humaine n’échappe pas à cette loi de l’évolution.

Cette conscience de la finitude d’espèce est fondamentale parce qu’elle constitue à mes yeux le seul commun envisageable, non pour produire un peuple soumis au destin comme s’il existait un destin préétabli, mais devenant une insurrection de la résurrection dans une posture ambiguë et hautement indécidable. L’insurrection de la résurrection, concept que nous formons ici, désigne le mouvement par lequel une collectivité se soulève contre sa propre finitude non pas pour la nier mais pour l’assumer pleinement, transformant ainsi la conscience de la mort collective en puissance d’affirmation.

Il s’agit dès lors d’écarter la fausse alternative entre pessimisme et optimisme, parce que celle-ci hérite d’une conception métaphysique de la subjectivité et de la volonté, réduisant l’ontologie à une sensibilité restreinte aux variations de l’humeur individuelle. Cette alternative constitue un piège affectif qui nous empêche d’accéder à la dimension proprement ontologique de l’extinction. Que reste-t-il alors, une fois écarté ce dualisme simpliste ? De quel affect sommes-nous encore capables ? S’agit-il d’apathie, d’une insensibilité grise et aristocratique, observant à distance toutes choses jusqu’à sa propre disparition ?

Nous estimons que la prise en compte de la finitude d’espèce pourrait développer, sur le modèle de la finitude individuelle, une passibilité plus intense à la manière d’une blessure. La passibilité, terme que nous empruntons à Emmanuel Levinas tout en lui donnant ici un sens spécifique, désigne la capacité d’être affecté par l’autre jusqu’à en être transformé dans son être même. Cette passibilité ne consiste aucunement à chercher une guérison, car elle sait reconnaître que le vivant que nous sommes est tout aussi bien mort, et que l’ensemble de nos productions visent cette mort, non comme un sacrifice mais comme la factualité même en tant que celle-ci est certaine et incertaine.

Nous savons que nous allons mourir (certitude absolue) mais nous ne connaissons généralement ni le moment ni les conditions de cet événement (incertitude radicale). Et au moment même où nous le saurons, nous ne pourrons pas savoir comment nous pourrons le savoir, car les conditions de la réflexivité sont elles-mêmes incertaines : serai-je encore moi-même, juste avant, juste avant ce moment-là ? Cette aporie de la mort propre, analysée par Heidegger, se trouve démultipliée à l’échelle de l’espèce : nous savons que l’espèce humaine finira par disparaître, mais nous ne savons ni quand ni comment, et nous ne savons pas non plus qui sera le dernier témoin de cette disparition.

C’est précisément à cet endroit que la finitude individuelle et la finitude d’espèce deviennent indissociables dans une indistinction ontologique qui révèle leur essence commune. La mort de chacun préfigure la mort de tous, et la mort de tous donne son sens ultime à la mort de chacun. Cette solidarité ontologique dans la finitude constitue peut-être le fondement le plus solide d’une éthique.

Formulons une espérance sans borne, expression paradoxale qui dit à la fois l’illimité de l’espoir et son absence de fondement rationnel : au moment où la finitude d’un.e seul.e sera celle de tou.te.s, alors peut-être nous serons enfin humains. Cette proposition, qui clôt notre développement, mérite explication. Elle suggère que l’humanité n’existe pas encore comme réalité accomplie mais comme possibilité à venir, et que cette possibilité ne s’actualisera peut-être qu’à l’extrême limite de sa disparition. L’humanité comme espèce biologique existe depuis des millénaires, mais l’humanité comme communauté consciente de sa finitude commune reste largement à inventer.

Cette invention de l’humain par la conscience de sa finitude commune constitue l’enjeu politique majeur de notre époque. Elle implique un dépassement de l’individualisme qui a caractérisé la modernité occidentale, non pas au profit d’un collectivisme qui dissoudrait les singularités, mais au profit d’une singularité plurielle où chaque existence individuelle ne prendrait sens qu’à travers sa participation à un destin commun. Cette participation ne relève pas de la fusion mystique mais de la reconnaissance lucide que nous partageons tous la même condition ontologique fondamentale : être des êtres-pour-la-mort dans un monde fini.

L’art contemporain qui se confronte à l’extinction ne fait donc pas œuvre de pessimisme psychologique mais de réalisme ontologique. Il nous aide à penser ce que signifie exister comme espèce mortelle dans un univers indifférent, et il nous aide à imaginer ce que pourrait être une existence humaine authentique une fois abandonnées les illusions de l’immortalité technologique, humaniste ou théologique, et de la maîtrise absolue de la nature.

Cette éducation à la finitude ne vise pas à nous résigner à notre sort mais à nous libérer des fantasmes de toute-puissance qui nous empêchent d’habiter pleinement notre condition mortelle. Elle nous apprend que la conscience de la fin, loin de paralyser l’action, peut au contraire lui donner une intensité et une urgence nouvelles. Car si tout doit finir, alors chaque instant compte ; si l’espèce elle-même est mortelle, alors chaque geste humain prend une valeur inestimable ; si la transmission n’est pas garantie, alors la création devient un acte de résistance absolue contre l’entropie universelle.

L’œuvre d’art qui se confronte à l’extinction ne nous console pas de notre finitude, elle nous y éveille. La critique qui reproche à une part de l’art contemporain son pessimisme révèle surtout son incapacité à distinguer la lucidité de la complaisance, la conscience tragique de la dépression clinique, la pensée de la fin de l’obsession morbide. Cette confusion révèle à son tour l’emprise de ce que nous avons appelé l’imaginaire thérapeutique : cette croyance selon laquelle l’art devrait nous guérir de la condition humaine plutôt que nous aider à l’assumer pleinement.


Responding to criticism is not about reacting in the immediacy of defense nor justifying oneself by invoking good intentions; it is about attempting to take it seriously while hoping it opens a space for discussion—one where thought can emerge as an event rather than as a mere reaction. This attempt at critical engagement immediately reveals a paradoxical temporality: it originates in a series of works dating back to 2003 with Dislocation, then extends retroactively toward 1998 and Incident of the Last Century, inaugurating what we shall call here a trial for pessimism whose very recurrence signals the urgency of an interrogation. But what is at stake in this repeated accusation?

This criticism is anchored in a psychologizing perspective that constitutes precisely what should be diagnosed as a symptom. It consists of viewing the representation of destruction, ruins, wars, extinction as a character trait, reducing art to being the simple externalization of an interiority—the artwork would merely express an individual’s point of view. Yet what is thereby concealed pertains to an epistemological obviousness: the point of view bears upon something, and this something is not necessarily of a psychological order. Psychologization, a term we propose to define as the systematic reduction of objective phenomena to their supposed subjective correlates, operates here a double foreclosure: it evacuates the ontological dimension of destruction processes while absolutizing the figure of subjectivity as the only possible interpretive horizon.

With this psychologizing approach, we are reduced to a binary choice of confounding simplicity: pessimism or optimism, nothing more. No thing-in-itself but only for-itself, situated things reducible to “my” situation, to my mood, to my affective dispositions of the moment. It goes without saying that this way of conceiving things constitutes the unthought symptom of a Western history that conceives everything according to the figure of subjectivity—this subjectivity which Heidegger showed culminates in the will to power, the last word of a humanism that can only conceive the world through the prism of domination and appropriation.

Must one have a pessimistic mind to be able to envisage destruction, or does it require great health? This apparently innocent question already reveals the trap of a simplistic causal logic that makes the artwork the mechanical consequence of a prior psychological state. Would the artwork be responsible for this feeling of the end of the world, as if representation held magical power over the real? And wouldn’t it be better if it were capable of resilience, resistance, solution? Isn’t there a certain ease in always representing the negative? This last interrogation, in particular, reveals the spontaneous inscription of criticism in what we could call a therapeutic imaginary: art should heal, console, resolve contradictions rather than deepen them and bring them to their maximum point of tension, to their degeneration.

It is undoubtedly due to this psychologizing approach that we have seen the multiplication of a biomorphic aesthetic hoping to find in nature, and more specifically in the living, a solution to the current crisis. It would be a matter of drawing inspiration from life to conceive a technique that would not be destructive, a biomimicry that would rediscover lost harmony by imitating vital processes. This approach, however generous its intentions, rests on a fundamentally erroneous conception of what it designates by the term nature.

I skip over the scale questions of this paradigm—how could the imitation of cellular processes resolve the contradictions of capitalist accumulation?—to approach it as an erroneous conception of nature that is here conceived as something positive from a moral point of view. This is the conception of nature as gardening, as a comforting environment where human beings could rediscover their lost origins and reconcile technique and life. But this nature does not exist. It is a concept produced within the framework of terraformation, a process by which the human species transforms the planet in its image, consisting in conceiving everything from the point of view of subjectivity while humanizing the planet by reserving bubbles of protected “nature”—national parks and reserves that function as alibis allowing the systematic destruction of ecological balances to continue elsewhere.

What we believe we designate by the concept of nature is infinitely less pleasant, comforting, and living than we think. Nature is first of all merciless selection, predation, parasitosis, extinction of weak species, absolute contingency of genetic mutations, radical indifference to individual sufferings. This unbearable truth explains why we prefer to stick to a sanitized representation that would allow us to resolve through imitation what we have created through transformation.

But let us go further, for this psychologization of the artwork participates in a repression of destruction phenomena that are not envisaged as such but as the expression of a sick mind. This denial of destruction, a psychic defense mechanism that consists in refusing to recognize the reality of an ongoing process, finds its most accomplished political formulation in what we shall call vectorfascism: a term that designates the contemporary political formation characterized by the vectorization of collective affects through the vectorial paradigm of AI’s latent space and the promise of a technological overcoming of all contradictions. This exclusion of the end poses the end only to overcome it and ensure the survival of the human species by all necessary means.

Vectorfascism is distinguished from historical fascism by its specific relation to temporality: where classical fascism promised a thousand-year Reich, vectorfascism promises technological immortality; where the first organized total mobilization of bodies, the second organizes total mobilization of data. But in both cases, the logic remains identical: to ward off finitude through power, to resolve death anxiety through the intensification of domination to the point of self-destruction.

We then see a structural link between psychologization and the warding off of the end, precisely because methodologically, if we consider everything as the expression of a subject, this human subject could not stop without thought itself stopping. This is the vicious circle of anthropocentrism: incapable of thinking its own finitude, it projects it onto the exterior in the form of psychological pessimism, thus evacuating the very possibility of a thought of extinction that would not be reduced to a depressive symptom.

We still have difficulty approaching the destructive aspect of vectorfascism, and this difficulty is not accidental. Its relation to war is for now different from last century’s fascism, privileging informational war over kinetic war, and we are uncertain about its self-destruction. But what we know with certainty is that the end is posed only to ward it off and that, for example, posthumanism is by no means an overcoming of humanism: it consists only, as Jean-François Lyotard detected ahead of time, in transferring human software into technological hardware, thus perpetuating the illusion of absolute mastery of temporality.

Vectorfascism wants to continue at all costs—”drill, baby drill,” according to Sarah Palin’s formula that became a planetary slogan—precisely because it is incapable of confronting finitude. And this is precisely what the trial for pessimism of art does: it refuses to confront what, in the work, exceeds psychology to reach ontology, that is, the question of being as being-toward-the-end.

It is therefore a question of finitude, but of a radically new type of finitude and more precisely of a profound change in the very nature of finitude, a change that perhaps constitutes the major anthropological mutation of our epoch. For this usually corresponded to the finitude of an individual, that is, to the end of an existence, an unbearable but bearable event supported by cultural transmission that could give hope for a sequel, an inheritance, a transmission, knowledge constituted by the memory of the departed. Individual death was redeemed by the permanence of the species, the disappearance of the singular compensated by the persistence of the general.

Now, our finitude is that of the species and it thus becomes something that is common to us in an unprecedented way. It has this specificity that it signals the probable halt of transmission, of the transfer of knowledge from one body to another body. Species finitude, a concept we define as the collective consciousness of the possible extinction of humanity as a whole, is the death of each representative of our species, down to the last witness. No more possible transmission, no more inheritance, no more collective memory, only the pure and simple interruption of the anthropological chain that linked the dead to the living and the living to the not-yet-born.

This perspective might seem terrifying and the terror it arouses largely explains the resistance it encounters. But the truth is that it is no less so than individual finitude, and rejecting it under the pretext that by representing it we would make it happen pertains to the same order of magical thinking as believing that a person conscious of death would thereby become morbid. This infection of the individual by his representations constitutes a very naive way of considering representation, for consciousness of individual finitude can on the contrary open to an enlargement of what we shall call existential agency, a term that designates the capacity of a finite being to act in full consciousness of its finitude, not despite it but thanks to it.

The trial for pessimism makes extinction a psychological phenomenon whereas it constitutes an attempt to confront the irremediable, the without-remainder of the end, the closure of testimony and, by rebound, to approach our still-living present against the grain to give it new perspective and intensity. Far from constituting morbid complacency, the thought of extinction functions as an existential revealer: it makes the absolute urgency of the present appear while unveiling the relative insignificance of our habitual preoccupations.

Thus, Télofossiles (2012-2015) consisted of an ahuman landscape where only the vestiges of our activities and industrial productions remained, these having incredibly accelerated the quantity of fossils we will bequeath to future geologists, if there are any. There was no fascination with ruins, no aesthetic complacency for destruction, but a simple change of perspective: our industrial productions are not there to respond to a need, for this does not preexist the production that creates it, but are the production of traces of which we are aware that they will only take their meaning after us, after the disappearance of the human species. We already produce for our own future archaeology, we accumulate indices of our passage for witnesses who may never exist.

Terre seconde (2019) was by no means a posthumanist narrative dreaming of replacing the human being with a more perfect machine, but the hypothesis that all the data we have accumulated over time has been to feed a machine that would mobilize them a second time when the first time, the one where we existed, has disappeared. This work thus anticipated the emergence of contemporary generative AIs, revealing that our digital accumulation frenzy might well have as its unconscious finality the constitution of a post-biological memory destined to survive us.

La quatrième mémoire (2025) by no means consists in the egoistic narrative of an artist’s survival in the vectorial memory of an AI, which would only be a sophisticated form of narcissistic immortality, but opens a decisive turn: our resurrection would by no means be founded on the factual, on what effectively happened, but on facticity understood henceforth as possible, that is, on everything that did not take place, testifying to the radical groundlessness of human existence. Facticity, a concept borrowed from Quentin Meillassoux, here designates the absolute contingency of what is: everything could have been otherwise, everything could still be otherwise, and it is this contingency itself that constitutes the only absolute necessity.

These three examples show the sensible and intellectual benefits of confronting species finitude to constitute the only possible horizon of the political common: it is at the heart of extinction that the human species reveals itself in its unity, because the end of all is the end of each, and not only by accounting logic. This revelation of the unity of the species in the imminence of its disappearance constitutes what we could call a communism of extinction: we will never have been individually anything but the desire for a survival of the dead in those who are not yet born.

This is why Pierre Huyghe’s Liminal, which explicitly represents disappearance in three phases (desubjectivation of human beings without faces, extinction when machines film our skeletons like a landscape returned to Earth, and imagination when the machine produces new forms of existence) is by no means pessimistic but realistic in the strongest sense of the term. It is not only this or that factual condition, such as global warming, to which we could find a punctual remedy; it is the very nature of a species to appear and disappear. Extinction is part of the essence of every living species, and the human species does not escape this law of evolution.

This consciousness of species finitude is fundamental because it constitutes in my view the only conceivable common, not to produce a people subjected to destiny as if a pre-established destiny existed, but becoming an insurrection of resurrection in an ambiguous and highly undecidable posture. The insurrection of resurrection, a concept we form here, designates the movement by which a collectivity rises up against its own finitude not to deny it but to fully assume it, thus transforming consciousness of collective death into a power of affirmation.

It is therefore a matter of setting aside the false alternative between pessimism and optimism, because this inherits from a metaphysical conception of subjectivity and will, reducing ontology to a sensibility restricted to variations of individual mood. This alternative constitutes an affective trap that prevents us from accessing the properly ontological dimension of extinction. What remains then, once this simplistic dualism is set aside? Of what affect are we still capable? Is it a matter of apathy, of a gray and aristocratic insensitivity, observing from a distance all things up to its own disappearance?

We believe that taking species finitude into account could develop, on the model of individual finitude, a more intense passibility in the manner of a wound. Passibility, a term we borrow from Emmanuel Levinas while giving it a specific meaning here, designates the capacity to be affected by the other to the point of being transformed in one’s very being. This passibility by no means consists in seeking a cure, for it knows how to recognize that the living that we are is just as much dead, and that all our productions aim at this death, not as a sacrifice but as factuality itself insofar as it is certain and uncertain.

We know that we are going to die (absolute certainty) but we generally know neither the moment nor the conditions of this event (radical uncertainty). And at the very moment when we know it, we cannot know how we will be able to know it, for the conditions of reflexivity are themselves uncertain: will I still be myself, just before, just before that moment? This aporia of one’s own death, analyzed by Heidegger, is multiplied at the scale of the species: we know that the human species will eventually disappear, but we know neither when nor how, and we also do not know who will be the last witness of this disappearance.

It is precisely at this place that individual finitude and species finitude become indissociable in an ontological indistinction that reveals their common essence. The death of each prefigures the death of all, and the death of all gives its ultimate meaning to the death of each. This ontological solidarity in finitude perhaps constitutes the most solid foundation of an ethics.

Let us formulate a boundless hope, a paradoxical expression that says both the unlimited nature of hope and its absence of rational foundation: at the moment when the finitude of one alone will be that of all, then perhaps we will finally be human. This proposition, which closes our development, deserves explanation. It suggests that humanity does not yet exist as an accomplished reality but as a possibility to come, and that this possibility will perhaps only be actualized at the extreme limit of its disappearance. Humanity as a biological species has existed for millennia, but humanity as a community conscious of its common finitude remains largely to be invented.

This invention of the human through consciousness of its common finitude constitutes the major political stake of our epoch. It implies an overcoming of the individualism that has characterized Western modernity, not in favor of a collectivism that would dissolve singularities, but in favor of a plural singularity where each individual existence would only take meaning through its participation in a common destiny. This participation does not pertain to mystical fusion but to the lucid recognition that we all share the same fundamental ontological condition: being beings-toward-death in a finite world.

Contemporary art that confronts extinction therefore does not work as psychological pessimism but as ontological realism. It helps us think what it means to exist as a mortal species in an indifferent universe, and it helps us imagine what an authentic human existence could be once the illusions of technological, humanist, or theological immortality and absolute mastery of nature are abandoned.

This education in finitude does not aim to resign us to our fate but to free us from fantasies of omnipotence that prevent us from fully inhabiting our mortal condition. It teaches us that consciousness of the end, far from paralyzing action, can on the contrary give it new intensity and urgency. For if everything must end, then each instant counts; if the species itself is mortal, then each human gesture takes on inestimable value; if transmission is not guaranteed, then creation becomes an act of absolute resistance against universal entropy.

The artwork that confronts extinction does not console us for our finitude, it awakens us to it. The criticism that reproaches a part of contemporary art for its pessimism mainly reveals its inability to distinguish lucidity from complacency, tragic consciousness from clinical depression, thought of the end from morbid obsession. This confusion in turn reveals the grip of what we have called the therapeutic imaginary: this belief according to which art should cure us of the human condition rather than help us fully assume it.