Mashup ou la maintenance des flots / Mashup or flow maintenance

 

Cette réflexion fait suite à la création de Ceux qui vont mourir. Les mashups, qui affichent des données ailleurs que dans leur affichage habituel, sont une forme de création entraînant une dépendance très forte par rapport à des systèmes externes. Rappelons qu’un mashup est l’utilisation d’un flux du Web 2.0 rendu en général disponible par une API ou un détournement permettant d’aller chercher dynamiquement les informations. C’est le cas de Flickr, Google maps ou Yahoo maps encore.

Si le service externe change son API ou son système, le mashup ne peut plus lire les informations et devient alors inopérant. Ceci reviendrait-il à dire qu’il faut faire une maintenance régulière pour mettre à jour ses travaux artistiques? Il me semble qu’en ce domaine le pragmatique doit prendre le dessus sur le désir idéal de conservation des oeuvres, idéalité fortement criticable dans sa relation à notre contemporanéité parce qu’elle constitue l’illusion d’un présent perpétuel.

Il faut considérer que cette maintenance est irréalisable à long terme pour des raisons économiques et temporelles. On risquerait de prendre plus de moyens pour « maintenir à flots » (concept désignant à notre sens cette mise à niveau technique perpétuelle) que pour produire de nouveaux projets, paradoxe de la mémoire que Borges dans « Funes et la mémoire » avait déjà décrit. C’est aussi le cas pour nombreuses oeuvres qui peuvent être exposées dans des lieux d’art classique (galerie, musée ou centre culturel). Le plus souvent, le Web ne fonctionne pas de façon continue entraînant un dysfonctionnement fort désagréable pour le visiteur qui s’est rendu jusque là.

De plus, le caractère temporaire et transitoire de ces mashups n’est en rien un élément négatif, il fait parti de la structure même du flux dont la mutabilité est le moteur. Ceci veut dire que des travaux apparaissent et disparaissent. La négativité est considérée comme telle seulement du point de vue d’une plénitude de la conservation muséale qui peut être aussi celle d’un fonctionnement instrumental.

En terme de conservation, on peut donc effectuer des enregistrements audiovisuels de ces mashups pour donner à voir un instantané du flux et porter témoignage de ce que le réseau, et donc les êtres humains le nourrisant d’informations, a été à un moment donné. Il y a une sorte d’archéologie du réseau qui est en train de se mettre en oeuvre. Cet enregistrement matériel (DVI2USB par exemple) ou logiciel (Captivate) devra être d’une durée relativement longue afin que l’expérience, aussi différée soit-elle, soit proche du flux: d’infimes différences et répétitions au fil du réseau. 

Suivant les recommandations du groupe de recherche Variable Media, j’utilise souvent ces enregistrements vidéos de longue durée lors de mes expositions pour assurer un fonctionnement des oeuvres indépendamment des aléas du réseau. En ce domaine, la durée de ces enregistrements garantie que le spectateur ne voit pas deux fois la même chose et garde donc l’unité de l’expérience esthétique. Il importe peu, à mes yeux, que la machine fonctionne pour “de vrai” ou pas, du moment qu’elle garde la trace du flux. Ce sera l’un des objets de ma thèse de doctorat que de prouver que le concept de flux, qui s’applique à tant de domaines, mais dont le Web constitue pour des raisons historiques, la forme pour ainsi dire achevée, n’est en rien un écoulement continu, mais une discontinuité tumultueuse, avec des immédiatetés et des enregistrements, des sensations et des mémoires, dont l’érosion pourrait être l’image la plus proche.

This reflection follows the creation of Ceux qui vont mourir. Mashups, which display data in ways other than the usual way, are a form of creation that involves a high degree of dependency on external systems. As a reminder, a mashup is the use of a Web 2.0 feed, generally made available through an API or a detour that enables information to be fetched dynamically. This is the case with Flickr, Google maps or Yahoo maps.

If the external service changes its API or system, the mashup can no longer read the information and becomes inoperative. Does this mean that you need to perform regular maintenance to keep your artwork up to date? It seems to me that in this area, pragmatism should take precedence over the ideal desire to preserve works of art, an ideality that is highly critical in its relationship to our contemporaneity, because it constitutes the illusion of a perpetual present.

For economic and temporal reasons, such maintenance is unfeasible in the long term. We run the risk of using more resources to “keep things afloat” (in our view, this concept refers to perpetual technical upgrading) than to produce new projects – a paradox of memory that Borges had already described in “Funes and Memory”. This is also the case for many works that can be exhibited in classical art venues (galleries, museums or cultural centers). More often than not, the web doesn’t function continuously, resulting in a highly unpleasant malfunction for the visitor who has made it there in the first place.

What’s more, the temporary and transitory nature of these mashups is by no means a negative element; it’s part of the very structure of the flow, which is driven by mutability. This means that works appear and disappear. Negativity is considered as such only from the point of view of the fullness of museum conservation, which can also be that of instrumental functioning.

In terms of conservation, we can therefore make audiovisual recordings of these mashups to provide a snapshot of the flow and bear witness to what the network, and therefore the human beings feeding it with information, was at a given moment. There’s a kind of network archaeology in the making. This hardware (DVI2USB, for example) or software (Captivate) recording should be of relatively long duration, so that the experience, however delayed, is close to the flow: minute differences and repetitions as the network moves along.

I often use these long-lasting video recordings at my exhibitions to ensure that the works continue to function independently of the vagaries of the network. In this respect, the duration of these recordings guarantees that the viewer does not see the same thing twice, and thus maintains the unity of the aesthetic experience. To my mind, it doesn’t really matter whether the machine works for real or not, as long as it keeps track of the flow. It will be one of the aims of my doctoral thesis to prove that the concept of flow – which applies to so many fields, but of which the Web is, for historical reasons, the almost completed form – is by no means a continuous flow, but a tumultuous discontinuity, with immediacies and recordings, sensations and memories, of which erosion could be the closest image.