Infinitude

 L’infinitude est l’ensemble des procédures qui, au sein de la finitude, produise une limite qui l’excède. On a vite fait de concevoir la finitude sur le mode d’une subjectivité enfermée sur elle-même (le corrélationnisme fort et faible étant une forme de cet encapsulement), plutôt que d’observer comment elle produit quelque chose d’excessif qui trouble les frontières entre un intérieur et un extérieur.

La forme la plus fréquente de l’infinitude est sans doute les technologies, car si elles sont bien le produit de l’activité humaine qui extrait et modèle des matériaux qui lui préexistent, ses effets sont non seulement incommensurables aux intentions de cette humanité, mais affectent de surcroît cette humanité et en transforme les conditions de possibilité.

L’infinitude permet d’analyser comment les structures transcendantales ne sont pas a priori, mais sont modifiées par certaines procédures, en particulier techniques, et de quelle façon elles bouclent rétroactivement sur leurs causes.

L’infinitude est donc postsubjective. Elle ne considère pas le sujet et le monde comme deux entités séparées (ou liées), mais elle envisage la production de rétroactions excessives qui travaille chacune des parties et qui en rend la distinction malaisée.

L’infinitude permet d’analyser les technologies comme ce qui est fait et ce qui fait, comme effet tout autant que comme cause, et permet d’élaborer une politique accélérationniste (nommons-la ainsi) qui n’est pas l’expression d’une volonté de puissance, d’un prométhéisme ou d’une version plus ou moins subtile de l’instrumentalité, mais le fruit d’une aliénation réciproque où la technique s’humanise et où l’humanité se technicise. Cette aliénation n’est pas celle d’entités autonomes qui intègreraient des caractéristiques de l’autre entité, mais d’une réciprocité continue : ainsi la technique s’humanise parce que nous l’anthropomorphisons et l’humain se technicise parce que la technique le quantifie, et nous anthropomorphisons parce que nous sommes quantifiés, et ceci à perte de vue.

Dans le cas de l’IA, qui est symptomatique à plus d’un titre, la faculté d’intelligence est le fruit d’une attribution (on estime que telle ou telle chose est intelligente ou ne l’est pas) en vue d’une autoattribution (si je peux dire que cette chose est intelligence c’est que je le suis moi-même sans avoir à le démontrer). Cette attribution est le versant affectif de l’infinitude structurelle. Elle tente de combler le trouble dont elle est le fruit.

Le Web est un autre cas intéressant, car il témoigne de la capacité à produire des techniques qui nous excèdent et dans lesquelles nous vivons, de sorte que vivre (au sens d’être au monde) est bouleversé d’une manière qui n’est pas contenue dans les prémisses instrumentales.


Infinitude is the set of procedures which, within finitude, produce a limit that exceeds it. We are quick to conceive of finitude in terms of a self-enclosed subjectivity (strong and weak correlationism being one form of this encapsulation), rather than observing how it produces something excessive that blurs the boundaries between inside and outside.

The most frequent form of infinitude is undoubtedly technology, for if it is indeed the product of human activity that extracts and shapes pre-existing materials, its effects are not only incommensurable with the intentions of this humanity, but also affect this humanity and transform its conditions of possibility.

Infinitude makes it possible to analyze how transcendental structures are not a priori, but are modified by certain procedures, particularly technical ones, and how they retroactively loop back on their causes.

Infinity is therefore postsubjective. It does not consider the subject and the world as two separate (or linked) entities, but it does consider the production of excessive feedbacks that work on each of the parts, making it difficult to distinguish between them.

Infinitude makes it possible to analyze technologies as what is done and what is done, as effect as well as cause, and enables us to elaborate an accelerationist politics (let’s call it that) that is not the expression of a will to “do”.