Pop art : new wave
Sans doute faut-il comparer le Pop art des années 50-60 et une nouvelle forme que l’on nomme souvent le Postinternet. La distinction entre les deux tiendrait à une transformation sociale du pop(ulaire) ayant pour conséquence une transformation majeure dans la conception même de l’art, tant dans sa production que dans sa présentation, tant dans sa réception que pour le statut de l’artiste.
Le Pop art originaire, dont Warhol est le représentant le plus célèbre, s’inspirait des industries pour questionner le consumérisme, c’est-à-dire la relation inextricable entre les objets et les désirs. Pouvions-nous désirer comme des objets de consommation les oeuvres d’art ? Pouvions-nous désirer ces objets comme des oeuvres ? Dans ce cas les images étaient considérées comme une catégorie d’objets parmi d’autres, ce qui explique la mise en série d’images et d’objets, leur accumulation. Ce Pop art transformait les produits de l’industrie en oeuvres d’art, afin d’en disloquer le cadre instrumental. Les soupes Campbell’s ne sont plus reconnues comme les objets d’une compagnie créée en 1869, mais comme des créations d’Andy Warhol. Ce renversement est une appropriation symbolique.
Depuis cinquante ans, le monde dans lequel nous vivons a profondément changé. Les industries culturelles mettent à contribution les anonymes que nous sommes pour fournir du contenu à leurs supports de diffusion qui inondent nos cerveaux. Cette transformation à laquelle on donna le nom de Web 2.0, ne concerne pas seulement Internet mais notre environnement tant numérique qu’analogique. Ce n’est pas que les industries n’existent plus et on été remplacé par la “sagesse des foules”, c’est que celles-ci se supportent des anonymes pour produire une grande quantité de flux.
La conséquence de cette transformation sociotechnique est que certains artistes ont inventés un nouveau Pop art qui ne se fonde plus seulement sur les industries (fussent-elles actuelles comme Google, Facebook, Twitter et autres participants au Big data), mais sur les interventions multiples des internautes. C’est pourquoi on voit se généraliser l’usage artistique de ces imageries kitsch, chats, licornes, duckfaces et autres appartements chaotiques. C’est aussi la raison pour laquelle de nombreuses oeuvres ont recours à des matériaux faussement précieux tels que le faux marbre, les faux diamants, le faux doré, etc. Ces simulacres témoignent à eux seuls de la transformation de l’appareil de production et de consommation. Internet a été la condition de possibilité de l’apparition de nouvelles images qui se déversent par millions. Internet n’a pas seulement été la généralisation de l’esthétique amateur, car on trouve sur le net une esthétique particulière que l’on peut analyser ainsi : les contributeurs anonymes mettent en scène la vacuité de leur anonymat avec humour et dérision, l’esthétique amateur a atteint un niveau de maturité et de réflexivité, elle fait retour sur soi et de la sorte produit un résultat autoréférentiel qui n’est pas sans rapport avec l’autoréférentialité de la modernité artistique. Elle est déjà représentation, alors que dans le cas du premier Pop art les artistes en reproduisant les objets industriels créaient par là même la première représentation. À présent, le rôle des artistes s’est déplacé. Ils sont des observateurs, parmis des millions d’autres, qui utilisent les canaux particuliers du monde de l’art pour forwarder des contenus déjà existants. Ils peuvent les retravailler et les mettre en scène, montrer que derrière le caractère anodin de leur esthétique plus ou moins volontaire, se cache souvent une profondeur esthétique insoupçonnée. Le pop(ulaire) s’est transformé : dans la première période il y avait peu d’émetteurs et beaucoup de récepteurs, dans la seconde période un récepteur est potentiellement un émetteur, de sorte que l’acte même de faire passer l’information change, tout autant que la relation de l’unité au nombre. C’est sans doute cette transformation du désir consumériste qui explique la profondeur du changement nous faisant passer d’un art pour le populaire à un art du populaire.