Des mondes séparés
Est-ce la faute du langage si les mots, quoi qu’on y fasse, renvoient la séparation des mondes comme négativité, lacune et manque? Est-ce les mots eux-mêmes, leur structure profonde qui produisent ce creux? Faut-il ce drame de la communication pour que le langage touche au pathos et à la question des mondes? Est-ce dans une séparation antérieure propre aux mots, origine impure indiquant qu’ils ont une autre provenance qu’eux-mêmes, que l’utopie d’un autre que la séparation (la réunion? l’identité?) voit le jour?
A peine un mot utilisé et voilà tout un monde qui advient. Un monde qui ne dépend pas de nous, puisque nous en héritons et qu’il est justement cette antériorité qui nous structure. A peine un mot prononcé et voilà le souffle (pneuma) qui s’interrompt, s’ajuste à autre chose, à ce langage, à cette prononciation.
Et les images, dans leurs relations différentielles aux mots (il n’y a pas d’image seule), séparent-elles les mondes de la même façon? Cette séparation des mondes, sans qu’on puisse dire tranquillement « ton monde », « mon monde », « ce monde », « le monde », cette irréductibilité là, comment se joue-t-elle dans le montage des images, dans ces frictions, image contre image, dont Bataille parlait dans la revue Documents? Comment les images prononcent-elles (mais est-ce véritablement quelque chose de prononcé, plutôt murmuré, chuchoté?) cette différence de « nos » mondes? Et quand ces images sont un flux continuel, interrompent-elles pour autant cette séparation, c’est-à-dire cette discontinuité? Comment, là encore, penser cette continuité (des images et du flux) et cette discontinuité des mondes?
Lorsque je vois un film, une peinture, une installation je ne cherche pas à me retrouver dans ce qui ne serait alors qu’une projection. Dans ces images je cherche une différence, la répétition différée du décalage du sens intime, à cet endroit, juste à cet endroit, où le continu et le discontinu ne s’opposent plus.