Who is the artist?

La question qui revient sans cesse concernant les créations en contexte d’imagination artificielle est de savoir ce qui relève de l’être humain et de la machine : qui est l’artiste ? On souhaite déterminer la part de chacun pour en définir les rôles et les relations causales, les influences et les rétroactions. Finalement, on souhaite simultanément savoir ce qui reste à l’être humain et les avancées de l’innovation technologique par un étrange jeu de chevauchement.


Cette question me semble d’autant plus inconsistante que toute ma pratique consiste précisément à élaborer des stratégies de production rendant ce partage si ce n’est impossible tout du moins difficile et ceci en liant structurellement mes facultés d’imagination à l’artificialisation générale de l’imagination, influençant la machine tout autant qu’elle m’influence, allant de l’un à l’autre jusqu’à produire une danse où chaque pas s’efface dans le suivant et en garde des traces.


La complétion est le concept général de ce pas de deux où je suis complété par le logiciel que je complète, l’un cherchant à poursuivre l’autre et renversant ensuite son rôle. Il y a là quelque chose de vertigineux à se perdre ainsi dans des boucles de rétroaction et d’imagination. Cette stratégie n’implique pas une prise de pouvoir de la machine ou une maîtrise humaine sur elle, mais une co-influence.
À la question « Qui est l’artiste ? », je dois avouer n’avoir jamais eu envie d’être un artiste doté d’une intériorité que j’aurais souhaité exprimer, mais simplement de produire de l’art que ce soit avec moi ou sans moi ou à côté de moi, comme décalé de soi. La question de l’identité subjective m’a toujours été étrangère et quand même j’étais un enfant-dessinateur, je savais bien que ce que je dessinais n’exprimait rien de personnel ou d’intérieur, qu’il y avait là un autre monde et une autre personne.


Face au caractère indemne de l’identité qui souhaite s’exprimer et se préserver, je cherchais une aliénation joyeuse : être l’occasion d’autre chose que moi, ne pas rester englué dans mon identité.


Sans doute ai-je trouvé dans le dialogue avec l’espace latent, à mi-chemin entre la bibliothèque de Babel et la compositionnalité faisant de l’héritage culturel une première fois, un écho à ce décalage que je ressens depuis si longtemps. Il y a quelque chose de profondément émotionnel et personnel dans cette relation désajustée au programme. Peut-être ne fais-je qu’essayer de persister dans le mal-être de l’enfance et de l’adolescence, comme si j’avais été capturé de longue date par la promesse de m’y tenir, de ne pas négocier, d’en prendre soin comme le bien le plus précieux, le plus secret, le plus intime et le plus anonyme.


Qui est l’artiste ?
J’ai toujours eu une infinie difficulté à entendre le pathos de certains, la certitude d’éprouver quelque chose d’exceptionnel et de devoir l’exprimer aux yeux du monde selon une logique de l’absolu. J’avais le sentiment qu’on risquait fort d’être dupe de soi-même et que la subjectivité avait une facilité déconcertante à boucler sur elle-même et à s’emballer inutilement dans une autonomie fantasmée. J’ai plutôt eu l’impression d’un ébranlement général comme si quelque chose ne tenait pas en moi, comme une indécision dont je devais tenir le compte, jour après jour, et dont cette fragilité puisse porter témoignage sur quelques supports matériels.


Qui est l’artiste ?
Je ne peux répondre à cette question tant elle suppose des rôles bien répartis, des identités bien déterminées, des intériorités et des expressions de ces intériorités. Il s’agit d’être l’occasion d’autre chose que soi, par exemple de la rencontre avec un espace latent pour que la culture humaine transformée en unités binaires puis en statistiques puisse croiser une existence n’existant que de son doute, que de son absence de statut, que d’une hésitation à être, à ne pas être, comme si la respiration était toujours une expiration.


Qui est l’artiste ?
On pose cette question, on suppose tant et tant de choses par elle. Je me réjouis de son irrésolution et du fait qu’elle est toujours mal posée. Elle restera un tremblement, dans les machines et hors d’elles, à notre épiderme même.


Qui est l’artiste ?
On me pose cette question (avec un petit frisson « Et si c’était la machine ! ») et on revient le plus souvent à une conception réactionnaire de l’artiste et de l’œuvre. On croit que le premier s’exprime dans la seconde par l’intermédiaire de moyens techniques, mais si ces derniers étaient une certaine histoire de la matière et si les organismes nerveux que nous sommes n’étaient que l’occasion pour cette histoire matérielle de produire une nouvelle étape de complexité et finalement un certain niveau de récurrence, disons presque de réflexivité. Et si nous n’étions pas au centre de la scène, pas même celle de « notre » conscience ?


The question that arises again and again in connection with creations in the context of artificial imagination is what belongs to the human being and what to the machine: who is the artist? We want to determine each party’s part in order to define their roles, causal relationships, influences and feedbacks. Finally, we want to know simultaneously what is left to the human being and the advances of technological innovation, in a strange game of overlap.


This question seems to me all the more inconsistent in that my entire practice consists precisely in elaborating production strategies that make this sharing, if not impossible at least difficult, by structurally linking my imaginative faculties to the general artificiality of the imagination, influencing the machine as much as it influences me, going from one to the other until I produce a dance in which each step fades into the next and retains traces of it.


Completion is the general concept of this pas de deux in which I am completed by the software I complete, one seeking to pursue the other and then reversing its role. There’s something dizzying about getting lost in feedback loops and imagination. This strategy does not imply a takeover of the machine or human mastery over it, but a co-influence.


To the question “Who is the artist?”, I have to confess that I’ve never wanted to be an artist with an interiority that I would have liked to express, but simply to produce art, whether with me or without me, or beside me, as if displaced from myself. The question of subjective identity has always been foreign to me, and even when I was a child artist, I knew that what I was drawing expressed nothing personal or interior, that there was another world and another person there.


Faced with an identity that wishes to express and preserve itself, I was looking for a joyful alienation: to be the occasion for something other than myself, not to remain stuck in my identity.


No doubt in the dialogue with latent space, halfway between the Library of Babel and compositionality making cultural heritage a first time, I found an echo of this gap I’ve felt for so long. There’s something deeply emotional and personal in this misaligned relationship with the program. Perhaps I’m just trying to persist in the malaise of childhood and adolescence, as if I’d long been captured by the promise to stick with it, not to negotiate, to care for it like the most precious, secret, intimate and anonymous possession.
Who is the artist?


I’ve always had an infinite difficulty hearing the pathos of some people, the certainty of experiencing something exceptional and having to express it to the world according to a logic of the absolute. I had the feeling that we were in danger of being fooled by ourselves, and that subjectivity had a disconcerting ease of closing in on itself and wrapping itself up uselessly in a fantasized autonomy. Instead, I had the impression of a general shaking, as if something wasn’t right inside me, like an indecision that I had to keep track of, day after day, and to which this fragility could bear witness on some material support.
Who is the artist?


I can’t answer this question, as it presupposes clearly defined roles, identities, interiorities and expressions of these interiorities. It’s a question of being the occasion of something other than oneself, for example, of encountering a latent space so that human culture, transformed into binary units and then into statistics, can intersect with an existence that exists only in its doubt, only in its lack of status, only in a hesitation to be or not to be, as if breathing were always an exhalation.


Who is the artist?
This question is asked, and so many things are assumed through it. I’m delighted by its irresolution, and by the fact that it’s always badly put. It will remain a tremor, in and out of machines, in our very epidermis.


Who is the artist?
People ask me this question (with a little shudder, “And if it were the machine!”), and most often they revert to a reactionary conception of the artist and the work. We believe that the former expresses itself in the latter through technical means, but what if the latter were a certain history of matter, and what if the nervous organisms that we are were merely the occasion for this material history to produce a new stage of complexity and ultimately a certain level of recurrence, let’s say almost of reflexivity. And what if we weren’t at the center of the stage, not even that of “our” consciousness?