Spectre

« Qu’est-ce qu’un spectre ? Un mort dont nous n’avons pas fait le deuil, qui nous hante, nous malmène, refusant de passer sur l’autre rive : là où les défunts nous accompagnent d’assez loin pour que nous puissions vivre notre propre vie sans les oublier, mais aussi sans mourir leur propre mort –sans être les captifs recommencés de leurs derniers instants. Qu’est-ce qu’un spectre devenu spectre essentiel, spectre par excellence ? Un mort dont la mort fut telle que nous ne pouvons en faire le deuil. C’est-à-dire : un mort sur lequel le travail du deuil, le passage du temps, n’a pas suffisamment prise pour qu’un lien apaisé entre lui et les vivants puisse être envisagé. Un mort qui clame l’horreur de sa mort non pas seulement à ses proches, à ses intimes, mais à tous ceux qui croisent la route de son histoire. »

« Deuil à venir, Dieu à venir », in Critique, n° 704-705 : Dieu, Paris, Éditions de Minuit, 2006. p. 105