La première résurrection comme insurrection / The first resurrection as insurrection

“Nous mettons particulièrement l’accent sur le moment créatif dans le biocosmisme.L’immortalité personnelle n’est pas un acquis, elle doit être gagnée, réalisée, créée. Il ne s’agit pas de la restauration de ce qui est perdu, comme dans la Bible, mais de la création de ce qui doit encore être. Ce n’est pas une question de renouvellement, mais de créativité”
Alexander Svyatogor


Le regain d’intérêt pour la résurrection dans le cadre de l’IA peut sembler être une hubris transhumaniste teintée d’une religiosité naïve. On peut certes raffiner un peu les références avec le premier cosmisme de Federov, mais on gardera un doute sur sa surdétermination théologique et messianique

Si nous l’interprétons, en prenant en compte les spécificités de l’IA, nous découvrons une résurrection qui n’est nullement le retour à l’identique des morts, la simple poursuite de leur existence après la fin de leur vie, mais le retour de quelque chose qui n’est pas vraiment eux et qui leur ressemble. Cette résurrection ressemblante ou approchée produit un effet étrange : ce qui revient ressemble à la mémoire que nous avons des vivants, mais n’est pas leur retour vivant à l’identique. Tout se passe comme si cette résurrection était une première fois, et donc un tour plutôt qu’un retour. C’est un éternel retour non à l’identique, mais « de » l’identique.

En effet, ce qui revient c’est d’une part une mémoire hypermnésique, fruit de la captation de données sur le réseau. Une mère discutant avec le chatbot de son fils disparu (Roman Mazurenko) aura ainsi accès à des fragments de mémoire à laquelle elle n’avait pas eu accès au vivant de son fils et qui ne lui étaient pas destinés, découvrant après sa mort sa mémoire. D’autre part, ces données mémorielles ont été possibilisées par le traitement statistique de l’IA. Elles ne sont pas recomposées comme des fragments qu’on colle les uns avec les autres, mais composées de façon statistique. On peut ainsi générer des données qui « ressemblent » aux données nourrissant l’IA, mais qui ne leur sont pas identiques.

L’automatisation de la ressemblance par l’induction statistique est cet éternel retour « de » l’identique, non pas entendu comme une stricte répétition du même, mais comme une réitération des possibilités de la ressemblance.

L’écart de la mimèsis qui fait que nous reconnaissons des souvenirs même si ceux-ci sont fictifs parce qu’ils ressemblent à ce que nous pouvons attribuer à une personne produit une résurrection dont il faudrait soustraire le « re » de la répétition pour l’entendre peut-être comme insurrection.

Quel est donc ce soulèvement et quel pouvoir établi vise-t-il au juste ? C’est sans doute le pouvoir de la répétition du même et de la négation du temps qui ne devient plus alors qu’un contenant pour une identité déjà constituée. Elle le renverse au profit d’une répétition temporalisante qui « se » ressemble parce qu’il y a une différence (au sens du différé) dans ses différents moments. Il y a une ligne de fuite ou un bougé de la représentation : si nous reconnaissons quelque chose c’est qu’il y a une différence. La répétition à l’identique nous donne un sentiment de déjà vu et d’irréalité.

Si l’on abandonne la résurrection comme retour de ceux qui sont déjà morts et si on choisit l’insurrection comme retour d’une représentation productrice de différences et de ressemblances, alors on peut tenir un certain retour de la finitude dans le vif d’une manière qui ne serait plus surdéterminée par une ontothéologie.


The renewed interest in resurrection in the context of AI may seem like transhumanist hubris tinged with naive religiosity. We can certainly refine the references a little with Federov’s cosmism, but we’ll keep a doubt on its theological and messianic overdetermination.

If we interpret it, taking into account the specificities of AI, we discover a resurrection that is by no means the identical return of the dead, the simple continuation of their existence after the end of their lives, but the return of something that is not really them and that resembles them. This resembling or approximate resurrection produces a strange effect: what returns resembles the memory we have of the living, but is not their identical living return. Everything happens as if this resurrection were a first time, and therefore a turn rather than a return. It is an eternal return, not to the identical, but “of” the identical.

Indeed, what returns is, on the one hand, a hypermnesic memory, the fruit of data capture on the network. A mother chatting with her missing son’s chatbot (Roman Mazurenko) will thus have access to fragments of memory to which she had no access during her son’s lifetime and which were not intended for him, discovering his memory after his death. On the other hand, this memory data has been made possible by the AI’s statistical processing. They are not recomposed like fragments glued together, but statistically composed. In this way, data can be generated that “resemble”, but are not identical to, the data feeding the AI.

The automation of resemblance through statistical induction is this eternal return of the identical, not understood as a strict repetition of the same, but as a reiteration of the possibilities of resemblance.

The deviation of mimesis, which makes us recognize memories even if they are fictitious because they resemble what we can attribute to a person, produces a resurrection from which we would have to subtract the “re” of repetition in order to understand it perhaps as insurrection.

What exactly is this uprising, and what established power is it aimed at? It’s undoubtedly the power of repetition of the same thing, and the negation of time, which then becomes no more than a container for an already constituted identity. It inverts it in favor of a temporalizing repetition that “resembles” itself because there is a difference (in the sense of deferral) in its different moments. There’s a vanishing line or a movement of representation: if we recognize something, it’s because there’s a difference. Identical repetition gives us a sense of déjà vu and unreality.

If we abandon resurrection as the return of those who are already dead, and opt for insurrection as the return of a representation that produces differences and similarities, then we can hold a certain return of finitude in vividness in a way that would no longer be overdetermined by an ontotheology.