La périodisation

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On l’entend partout, le post-Internet c’est fini ! Il a été mis à mort par les artistes mêmes, par les critiques, par tous les autres. Certains désertent, d’autres sont mécontents de ce « branding ». Dès l’apparition du mot, j’avais annoncé cette mort spectrale parce qu’elle est inscrite dans l’acte même de naissance.

Il y a là une stratégie, peut-être inconsciente, de périodisation consistant à découper en unités discrètes le passé. Ainsi, on scelle le destin d’une génération, on constitue une histoire de l’art, on referme la boîte pour pouvoir, dans cette boîte, compter les pièces précieuses accumulées. En déclarant ainsi la période post-Internet close, on établit une collection qui a une certaine valeur. Et on fait potentiellement redémarrer la machine vers un autre « branding ». Tout s’effectue dans l’anticipation : il faut refermer le mouvement avant les autres, un peu comme quand on joue à la Bourse.

Cette clôture n’est pas sans rappeler celle du net.art (http://www.ljudmila.org/~vuk/books) ou encore de l’art conceptuel (http://www.rae.com.pt/Lippard.pdf) et de tant d’autres mouvements. Il y a là, pour certains artistes, le sentiment de ne pas se retrouver dans les dénominations qu’on utilise pour les désigner, et ce sentiment cache un affect plus profond qui refuse le langage et les déterminations conceptuelles qui tendent à unifier le flux et le divers poétique. N’était-ce pas ce malaise que nous ressentions lorsqu’on nous désignait sous le vocable netart ou art numérique ? Mais l’erreur qui est faite consiste à prendre le mot pour la chose, car le mot, dans l’institution de l’art, vaut pour une chose et à des effets (des expositions, des galeries, des ventes, etc.) Il faudrait distinguer l’esthétique de cette institutionnalisation et la poétique des artistes pour mieux définir une relation possible au langage.

On attend avec impatience la troisième génération (dont nous avons eu peut être un exemple avec Korakrit Arunanondchai) et avec une pointe de scepticisme, car l’institutionnalisation va encore s’emballer, à peine apparue, déclarer aussi vite que possible la mort de ce qui avait été constitué, puis recommencer jusqu’à se dévorer soi-même. Or cette périodisation n’est pas sans rappeler trois phénomènes : la découpe en unités binaires numériques, l’obsolescence programmée du consumérisme et l’innovation permanente. Ceci veut dire que ce métadiscours qui met fin à quelque chose a lui-même une histoire, fait lui-même partie de ce qu’il tente de décréter. C’est aussi pourquoi on fait retour au netart comme on fera retour dans quelques années ou quelques mois (la nostalgie s’accélère elle aussi) au post-Internet.

La première (netart), la seconde (post-Internet), la troisième génération sont des mots. Quelque chose les traversent, de génération en génération, et ceci n’a pas de nom. On peut donc regarder avec une distance amusée cette bataille de vocabulaire. Il y a une autre Histoire que celle construite par la périodisation, par les mises à mort et les actes de naissance, une Histoire plus proche des fantômes de Warburg qui sait détecter les revenances qui traversent les générations, qui ne répond plus à une chronologie simpliste, et qui sait, pour les artistes, créer des communautés entre les morts, les vivants et ceux qui ne sont pas encore nés.