Mouvements anciens

Il y a quelques amusements à voir des artistes tenter de contextualiser désespérément leurs travaux par rapport à des mouvements artistiques passés comme pour se raccrocher à des branches qui sont mortes depuis longtemps. Ce n’est pas qu’il faille passer d’un mouvement à un autre mouvement, d’une mode à une autre et chercher à tout prix à suivre l’esprit du moment. Ce n’est pas qu’il soit inintéressant de revisiter de façon quelque peu postmoderne l’héritage de la modernité. C’est simplement que les mouvements artistiques furent créés à des moments déterminés pour répondre à un contexte précis. Les déplacer d’époque c’est opérer par académisme, c’est chercher à mimer ce dont on est incapable : répondre à une époque, répondre à son temps, à sa pression et ses impasses. De quoi parle-t-on alors, du monde ou de l’art? De quelle nécessité et de quelle contingence est-on porteur?

Par cet académisme, on s’adresse au « monde de l’art », aux autres artistes, aux enseignants, aux curators et aux conservateurs. On parle leur langue, celle de l’histoire de l’art qui est déjà connue, et on oublie le monde, celui qui nous entoure et qui nous met au défie. Il y a quelque chose dans cette autoréférencialité artistique de terriblement sérieux et triste. Il y a en cet académisme exactement l’inverse de la référence visée.

Par exemple l’art conceptuel ou la critique institutionnelle étaient une manière de bouleverser une certaine compréhension commune de l’art. Ils n’avaient de valeur que par rapport à ce contexte. Mais une fois qu’ils deviennent eux-mêmes l’histoire de l’art, qu’ils sont l’histoire officielle, classée, archivée et reconnue, quel intérêt pour un artiste de les refaire, si ce n’est en les défiant et les revisitant radicalement ? De plus en plus d’artistes sont des historiens et ne produisent qu’une documentation du déjà connu. Ils espèrent peut-être rentrer, par de telles références, dans la grande histoire qu’ils admirent. Mais quelle tristesse que de croire que ceux qu’ils admirent auraient aujourd’hui réalisé la même chose qu’il y a 20 ou 30 ans! Quelle illusion que de croire qu’ils font là autre chose que ce que ces maîtres anciens auraient détestés à leur âge! Et ce n’est pas simplement une petite déclinaison qui changera quoi que ce soit, car c’est un académisme qui voit le jour, celui de l’art contemporain et du prestige d’une histoire passée. Peut-être qu’une grande part de l’art contemporain n’est-il qu’un autre nom de l’académisme pompier. D’ailleurs, qu’on ne s’y trompe pas, ces reprises de faible intensité sont formellement médiocres parce qu’elles ne se déplacent pas dans la perception mais dans un récit culturaliste où l’art devient une fin en soi.

Par de telles références, on est un élève, non un artiste, on réagit, on ne créé pas, on répète sans jamais se demander que faire de l’intensité passée dans un contexte, tant artistique que social, qui a changé. Bref, si on se plonge dans le passé c’est pour des raisons opposées à ce que le passé exprime et ce qui en lui ne passe pas : un refus du monde, un désir de s’y plonger, de s’y mouvoir au titre d’une contingence.

L’académisme a toujours à voir avec un passé dont on a retiré l’intensité et la problématicité, dont on a cru faire le tour. On devient héritier alors qu’il faudrait tout remettre à plat, sortir du monde de l’art, entrer dans le monde et revenir au monde de l’art avec quelque chose qui n’est pas encore accepté. Il faut bien comprendre que les mouvements, les tendances, les tonalités artistiques ont une durée de vie limitée parce qu’ils testent les limites institutionnelles, le sens commun, ce qu’on croit acquis. Et ce test n’a lieu que pendant un bref moment d’émergence, après c’est trop tard et cela se déplacera ailleurs, sur un autre point faible, sur une autre tension, sur d’autres possibles. Il ne s’agit pas là de pure anomie, autre procès de la modernité qui n’a cessé de croire en l’interruption esthétique, mais simplement de savoir que l’histoire récente de l’art appliquée à la production artistique pourrait bien constituer l’académisme de notre temps.

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