Le démontage

Georges Didi-Huberman en problématisant la question du montage dialectique des images dans la revue Documents (La ressemblance informe ou le gai savoir visuel selon Georges Bataille), met en scène un concept de dialectique non-synthétisable, qui ne tend pas fut-ce idéalement vers sa résolution et sa synthèse. L’esthétique dialectique devient une puissance mettant en jeu des tensions entre des images. Les insularités visuelles sont montées à la mesure de leur dialectique propre qui s’entrechoque à d’autres dialectiques, et ainsi de suite.

Mettant en relation l’art du montage bataillien et eisensteinien, Didi-Huberman montre combien l’entrelac des images, par jeux subtils de différenciation, de tension et de vacuité, peut faire surgir une dynamique visuelle singulière. Mais que devient cet art du montage dans le contexte du réseau et des flux électroniques? Les flux prennent la place des insularités visuelles. Une image est déjà en réseau, produit qu’elle est d’une recherche (sur Google par exemple), c’est-à-dire d’une action qui met en relation. Ce que nous voulons dire par là, à titre de simple proposition plutôt que d’affirmation, c’est qu’une image sur Internet n’existe pas en dehors du mouvement du corps de l’internaute qui de ses mains la fait surgir. Elle est bien sûr là physiquement sur le disque dur d’un serveur distant, mais son apparition est son ontologie même, et l’acte d’apparaître est dépendant d’une motion pour la faire surgir. Cette motion est une visée, une intentionnalité, et le fait que l’image ne subsiste pas en elle, mais dans l’acte de cliquer, de pianoter au clavier, modifie la présence de l’image.

Il y a sans doute un art du démontage émergent. Prenant appui sur des montages déjà existants, des flux qui sont autant de contextes complexes impossibles à réduire à des atomes simples, cet art les met en relation et change ainsi leurs contextes respectifs. C’est un montage de situation(s), qui en montant démonte le contexte donné et produit un in situ autoperformatif. Le croisement de Flickr et de Google, par exemple, offre la possibilité d’un démontage inoui, illustrant littéralement les mots. Et cette automatisme machinique de la traduction, faisant passer d’un média à un autre, est un élément nouveau par rapport à l’art du montage que la photographie et le cinéma avaient élaborés.

C’est ce nouvel art du démontage, le dé- comme puissance positive qui performe la sédimentation des flux, que La révolution a eu lieu à New York met en jeu.