La désimplification

Si la technique disparaît derrière son usage, sa matérialité revient nous hanter quand l’arrêt abrupt de l’incident vient révéler sa pesanteur. Un sentiment d’énervement face à ces fils rendus à leur inutilité, à la poussière accumulée derrière les machines, à ce tas inutilisable qui est, encore, comme la projection de notre finitude.

En art, il n’y a, à mes yeux, pas de technique simplement instrumentale dont l’usage répondrait à une finalité fixée à l’avance. La technique n’est pas le moyen de certaines fins mais devient un médium, non pas au sens d’un simple support sur lequel pourrait s’inscrire une volonté, mais comme la relation entre un projet et « sa » réalisation, relation où les places ne cessent de s’échanger selon une boucle rétroactive trouvant sa raison d’être dans l’heuristique.

Si la technique est souvent comprise, dans le champ artistique, comme un instrument, elle peut être valorisée (comme un formidable moyen) ou dévalorisée (comme moyen mécanique et non comme art libéral), mais dans les deux cas elle reste incomprise. Car ce n’est pas seulement que la pratique artistique vient transformer notre relation à la technique, elle en révèle la nature véritable qui n’est habituellement qu’occultée.

Elle fait subir à la technique une désoccultation et une désimplification. Elle ramène la technique à son caractère proprement ontologique, comme configurateur de mondes, et comme relation entre ce qu’on n’ose plus même nommer un « sujet » et un « objet », une « subjectivité » et une « objectivité », au lieu même où la relation entre les deux devient problématiqe en un sens élevé.

On comprendra alors que l’art ne peut se soumettre à l’impératif d’innovation ou de progrès qui dans les deux cas supposent une relation anthropocentrée à la technique, cette dernière n’étant au mieux que le résultat de la matérialisation de nos volontés.

L’art propose une version alternative de la technique comme si celle-ci faisait partie intégrante du monde. Il devient possible d’interagir avec elle en se défaisant radicalement d’une construction causale dont la cause effisciente que nous sommes serait l’origine. Nous en sommes l’origine et à d’autres moments, nous réagissons à ce qui nous est donné. Ainsi, la technique de l’imagination artificielle est nourrie par moi et elle me nourrit, je réagis à elle, reprenant des résultats qui ne se résument pas seulement à ce que je voulais, car rien dans le monde ne saurait se résumer à notre parfaite projection. Nos projections sont toujours décalées car elles contiennent en leur sein non seulement une rencontre égarante avec la matière mais notre propre fissure transcendantale : la pensée de la pensée, la perception de la perception, cette mémoire, sans nous.

L’artiste n’est pas seulement le maître des objets brisés, il peut élaborer des opérations ne sont pas seulement des nouveaux fonctionnements mais qui sont le prétexte à une désimplification qui vient suspendre le régime normal de la société dont les opérations se résument à leur instrumentalité, même si elles restent hantées par des impulsions qu’elles tentent de dissumuler.