Le cercle de l’ennui

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Dire d’un objet, par exemple artistique, qu’il est ennuyeux, c’est évaluer la qualité de celui-ci en vertu d’un sentiment humain et c’est donc supposer que la destination d’un objet est l’être humain. C’est par là même réduire toute chose à nous et ne jamais les concevoir en dehors d’un cercle esthétique et herméneutique. Dans le cas de l’objet d’art on pourrait penser qu’un tel cercle est justifié par la provenance humaine de l’objet. Mais au-delà même du fait de savoir si une oeuvre d’art est uniquement réductible à l’activité d’un être humain ou d’un groupe d’humains, s’il n’y a pas dans ces oeuvres parfois l’intervention d’autres phénomènes dont la causalité est difficilement retraçable parce qu’elle est un monde, on voit mal pourquoi la provenance implique l’identification d’une destination. L’objet artistique en tant qu’objet ne serait qu’un détour instrumental de nous vers nous-mêmes. La domination de cette subjectivité est aujourd’hui déconstruite tant elle produit des effets détruisant le monde.

Derrière la réfutation d’une oeuvre d’art du fait de l’ennui qu’elle provoque (et est-ce elle qui provoque l’ennui, ou n’est-il pas le produit d’une certaine disposition, d’un ensemble d’événements arrivant au sujet ?), réfutation qui est la plus courante et la plus acceptée de toutes, se cache non seulement une forme de domination tant ce refus de l’ennui est commune aux industries culturelles et à certains critiques d’art, mais aussi une certaine conception de l’objet en tant qu’objet, conception qui le réduit à nous. Il y a là une contradiction interne, car si j’évalue le perceptible à ce que je perçois, alors ai-je encore accès à ce perceptible ? N’est-il pas d’avance réduit à n’être que moi ? N’est-ce pas là une manière de l’oublier ? Quand je juge l’oeuvre à notre ennui, j’obstrue d’avance l’accès à cette oeuvre. Il faut respecter le fait que l’objet d’art ne m’est pas destiné, n’est pas pour moi, n’est pas conditionné par ma perception, n’est pas l’objet d’un plaisir ou même d’une évaluation. Ou plutôt pourrait ne pas être… le possible avant l’être. Il faut laisser une part d’autonomie, de différend entre l’oeuvre d’art et la perception : il se pourrait bien que les grandes oeuvres soient muettes ou, pour préciser, il s’agirait d’être sensible à l’insensible.

  • Je regardais la machine travailler et déverser sur le serveur les fichiers. Je ne pouvais rien faire. Le déversement absorbait 60% du CPU. À la moindre action extérieure, la machine pouvait s’arrêter. Il faudrait alors tout reprendre du début. Je regardais ce que le logiciel voulait bien me laisser voir, quelques signes, quelques traces de processus si complexes qu’aucun système nerveux n’aurait été capable d’en suivre le rythme.