Divergences

Notre appréhension de l’art est fonction de la différence entre le concept au singulier de l’art et les expériences singulières des oeuvres d’art. Chaque personne a une certaine idée de l’art qui préexiste et coexiste à l’expérience que nous faisons de dispositifs particuliers. Lorsque nous discutons des oeuvres, nous ne cessons en fait de nous confronter à cette précompréhension qui est le fruit de préjugés, de normes, de stratifications historiques inconscientes, etc. Le plus souvent le concept d’art est sans rapport avec les singularités artistiques parce que l’art en Occident a été structuré au fil de l’histoire par la différence entre arts mécaniques et libéraux qui entretenaient une relation hiérarchique plus ou moins importante avec l’idéalité. C’était celle-ci qui fixait la vérité des oeuvres, de sorte que celles-ci ne s’autosuffisaient pas pour être. Lorsque les individus parlent de l’art en général, ils veulent en fait parler de la relation entre les concepts et les expériences.

Nous avons alors affaire à la divergence irréductible entre le singulier et les singuliers.

Cette impossibilité de l’adéquation entre le concept et l’expérience ne relève pas du sublime.

On peut soit éprouver la mélancolie d’un objet perdu (l’oeuvre d’art singulière n’est jamais à la hauteur du concept qu’on s’en fait et elle peine à appartenir à la grande catégorie “art”, c’est la position théorique la plus courante), soit disloquer le concept “art” et déconstruire jusqu’à la possibilité même d’un concept comme adéquation identique à elle-même. Remettre donc en cause le principe d’identité (A=A) au profit d’une “logique” comme différence de différence (A différent de A+n parce que la formule comprenant les A est elle-même temporalisée et donc différentielle), comme différence intensive.

Paradoxe: la singularité des oeuvres n’est pas locale, elle affecte le fonctionnement transcendental lu-même et notre capacité à articuler concept et percept.