Depuis ce qui n’est pas

Si le concept de spéculation fait l’objet de débat quant à sa définition et reste polysémique selon ses contextes d’utilisation, il semble produire dans certains d’entre eux un véritable engouement pour la tripartition entre ce qui est, ce qui pourrait être et ce qui n’est pas. Celle-ci ne trébuche-t-elle pas sur les illusions déjà critiquées par Aristote lorsque nous mélangeons, par le langage et l’enthousiasme de la pensée, ce qui est et ce qui n’est pas, nous menant à réfléchir sur des non-objets?

Toutefois, notre époque modifie profondément la relation entre les étants, les possibles et les non-étants, non du fait de quelques raisons intellectuelles, mais du fait de profonds changements d’infrastructures matérielles. En effet, les technologies reconfigurent et synthétisent, de sorte qu’elles permettent de produire de nouveaux étants, et ceux-ci peuvent être même biologiques, effondant par là même la position même du prétendu sujet humain.

Cette ontoformation bouleverse radicalement nos cartographies ontologiques et par ce fait même nos structures logiques. Si ce qui n’est pas peut être parce que nous pouvons le synthétiser, nous devons non seulement considérer ce qui pourrait être, mais nous ouvrir également à l’inanticipable monstrueux de ce qui n’est pas. Le passage à l’acte n’est pas une virtualité conditionnée par la causalité et la technique, il est toujours suspendu et inconnaissable de sorte que le possible devient une catégorie ontique qui n’a pas même à appartenir à une structure logique pour devoir être considéré.

Dès lors comment faire la distinction entre le pensable et l’impensable? De quelle façon ne pas retomber dans la fascination pour le non-être? C’est sans doute qu’il faut, après avoir considéré la capacité de production ontique des technologies, redéfinir le néant et la différence ontologique en soustrayant l’Être aux étants afin de les penser sans lui. Il s’agit également d’envisager parallèlement l’onticité du possible et les conditions de domination qui donnent forment et limitent cette production effondée des étants.