La conjuration

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Le discours de l’innovation instrumentale, dont la Singularité et le transhumanisme sont la radicalisation, semble pour le moins critiquable parce qu’il se soumet sans réflexion à la domination d’un modèle homogène. Toutefois, la réaction à ce discours semble tout aussi naïve. On dénonce la domination au nom de l’humanisme. On brandit un danger sans précédent. En croyant résister, on agite encore des spectres.

Il s’agit de concevoir la solidarité profonde entre l’enthousiasme de l’innovation et la conjuration de la critique, et de pouvoir ainsi analyser un petit théâtre où chaque partisan prend sa place. La domination n’a jamais été aussi homogène, d’un point de vue idéologique, qu’on le pense. Elle a toujours élaboré parallèlement un contre-discours pour scénariser son autodiscours.

Le concept d’enthousiasme conjuratoire, élaboré par Jacques Derrida, semble pouvoir s’appliquer aux idéologies technologiques où les pros et les antis s’alimentent les uns les autres. Les pros intègrent une partie du discours critique comme garantie de leur réflexivité, tandis que les antis s’enthousiasment de la catastrophe qu’ils prédisent. Le récit d’un tel danger leur accorde l’autorité d’être les guérisseurs selon une logique ambivalente du pharmakon, tout à la fois poison et remède. C’est pourquoi les dénonciateurs jouissent de la catastrophe qu’ils prédisent et qui fait gagner en consistance leur discours. Que resterait-il sans la perspective d’une catastrophe que la civilisation n’a eue de cesse de prédire ?

La véritable question est de défaire l’autorité du discours, car c’est précisément cette autorité (que celle-ci soit pro ou anti, elle est l’emphase d’une autoaffection) qui est problématique, et pour cela de réfléchir aux conditions de vérité du discours, d’en douter en exhibant la solidarité fonctionnelle de l’enthousiasme et de la conjuration technologiques qui évoquent ce qu’ils désirent révoquer. Sans doute ne sort-on jamais de la conjuration. Sans doute est-ce encore conjurer que d’y réfléchir tel un jeu. Sans doute faut-il accepter de ne pas être en dehors du jeu et ce qui est déconstruit revient toujours d’une façon ou d’une autre.