Le bâtiment

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Je suis sorti quelques instants de mon caisson. L’heure est venue d’écrire notre histoire, de faire la comptabilité de nos faits et gestes. Je suis le seul à pouvoir écrire. J’ai été nommé pour cela. Nous ne devons pas faire un mouvement, nous devons éviter de parler et lorsque nous respirons c’est d’un souffle connecté aux respirateurs. Chaque geste pourrait produire de la chaleur et augmenter la saturation du bâtiment. Il faut à tout prix garder une température fixe, sinon nous allons disparaître. Même avec ces règles, l’atmosphère est irrespirable, la peau suinte, nos crânes sont rasés, l’air est comme une masse aqueuse qu’on ne peut pas oublier. Parfois de jeunes enfants veulent sortir, ils sont pris de furie, alors nous les attacherons et nous les endormons.

Chaque semaine nous faisons le compte de la chaleur, elle augmente inévitablement un peu plus chaque jour. Nous ne pouvons plus rien faire, si ce n’est nous terrer et attendre. Chacun est dans un caisson individuel, nous y dormons, nous y vivons dans un demi-sommeil. Nous pouvons encore rêver, mais la chaleur et le manque de nourriture, l’obscurité permanente, éteint nos esprits. Nos pensées sont ralenties, parfois des images, des nuages, une impression, plus grand chose. La fatigue ne s’arrête jamais, elle s’ajoute chaque jour.

Nous sommes sous terre, des machines pompent l’air du dehors, le transforment et l’envoient aux respirateurs et dans la circulation des tuyaux. Nous craignons un écroulement du sol, la terre est devenue instable, des failles s’ouvrent partout, la lave expulse plus encore de chaleur, la terre se vomie. Nous ne comprenons pas très bien le système technique du bâtiment, nous avons perdu les plans. Nous savons simplement que quand les machines tomberont en panne, nous serons tous morts. Nous n’avons plus les machines pour les réparer, pour refaire des pièces. Nous n’avons plus l’esprit pour en comprendre même le fonctionnement. Les machines tomberont en panne, peut-être une toute petite panne, mais qui entraînera tout dans son sillage. Le bâtiment s’éteindra complètement et nous mourrons dans notre demi-sommeil. Nous étoufferons, la chaleur augmentera. Certains vont crier de frayeur, chacun saura que c’est la fin, la chaleur augmentera encore. Notre peau va se décoller, nos yeux vont entrer en fusion, nous ne pourrons plus crier, nous ne serons plus que des corps à vifs, la chair brûlée par l’oxygène, les organes répandus au sol.