L’art contre l’oeuvre

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Est-ce Godard qui disait qu’il y a ceux qui veulent faire des films et d’autres du cinéma? J’ai toujours eu le sentiment que faire du cinéma avait quelque chose de ridicule.

C’est une vieille histoire que celle du conflit entre l’art et l’oeuvre. On le voit chaque jour dans les comportements, dans les non-dits et les stratégies de nos confrères. Tout se passe comme si certains artistes voulaient faire de l’art, non des oeuvres, pour entrer dans un certain milieu social. Ils miment des oeuvres passées, s’y réfèrent, sans doute espèrent-ils se placer ainsi dans l’ombre des étoiles filantes et croient-ils appartenir par là à la grande histoire au côté de leurs aînés. Ils s’inspirent de livres selon la mode du moment, tente de coller à l’actualité en espérant sans doute qu’on s’intéressera à leurs tentatives. Combien de projets reprenant Duchamp, Warhol ou un autre grand nom par un artiste quelconque qui remet en circulation un code préexistant avec sa petite part de singularité herméneutique? On aura beau jeu de dire que c’est là une faiblesse et pour tout dire un académisme. Combien de projets sur la situation d’un musée, sur le White Cube, sur une histoire parallèle dont les seuls destinataires semblent être les commissaires et conservateurs qui sont effectivement les décideurs (ce pourquoi il n’est pas absurde de s’adresser à eux selon leurs codes, fut-ce à titre critique)?

Pourtant c’est une histoire infiniment plus complexe, car qui pourrait nier qu’il y a un intérêt à questionner l’art même, son histoire et ses présupposés, son idéologie et ses codes? Qui pourrait refuser une analyse institutionnelle à l’heure des réseaux et des protocoles? Qui pourrait ainsi opposer de façon binaire l’art et l’oeuvre? Alors existe-t-il un critère pour distinguer la reprise simplement académique de celle qui est problématique?

Sans doute faut-il regarder cette situation avec circonspection car l’heure est à l’infini ressassement de la modernité et à un jeu académique qui se mêle sans vergogne à la critique. Mais celle-ci, nous le savons, est intégrée d’avance, car le système trouve plus économe d’intégrer la critique que de la laisser au dehors.

Malgré l’intérêt de l’exposition de l’exposition, il nous faut prendre parti, ressentir la nécessité de notre époque et dire nos adieux à cette interminable reprise. Elle a été déjà largement développée. Cela suffit. Rejeter toute idée d’art, c’est-à-dire toute définition, et ne voir que l’extension infinie et singulière des oeuvres, c’est lutter contre l’autorité du langage qui met en place une définition préalable à l’exploration du sensible. Mais il nous faut aborder celui-ci par son propre détour, selon l’aperception.

L’objet lui-même a ses exigences que l’artiste tente de suivre. Ce n’est pas la virtualité de la forme derrière la matière, car des formes il y en a trop et elles sont déjà en un nombre immense qui hante nos esprits. C’est plutôt l’arrachement à une histoire qui a été répétée pour laisser émerger le possible, c’est-à-dire ce qui ne devrait pas avoir lieu et qui en tout état de cause défi le programme de l’art, que celui-ci soit un milieu, des autorités ou autres choses.