Notes sur la ville et l’IA / Notes on the city and AI

Si certains parlent de la “ville intelligente” c’est en supposant une certaine transparente, intelligibilité ou réflexivité de l’intelligence qui pourrait se comprendre et se saisir elle-même. La “ville intelligente” a souvent pour objectif d’optimiser et de rendre plus efficace, c-à-d. plus instrumental, la ville. Avec “La ville qui n’existait pas”, la relation entre la ville et l’IA est travaillée par un décalage qui est au coeur du projet urbain : la promesse infinie d’un espace artificiel.

Lorsque Gaël Charbau m’a proposé de participer à un Été au Havre, il n’a pas été question de réaliser une exposition monographique reprenant des travaux passés, mais d’investir l’espace urbain avec un travail spécifique. Cela faisait en effet plusieurs années que j’avais le désir de sortir du White cube de l’institution muséale, que j’apprécie dans sa cérémonialité, mais qui introduit une césure par rapport au monde quotidien. Un Été au Havre était l’occasion d’essayer d’autres modes d’exposition par lesquels le public ne va pas vers l’œuvre, mais où celle-ci se retrouve dans un espace extérieur qui ne lui est pas destiné. La seconde question qui stimulait mon intérêt était celle de la pérennité, car quand on est habitué à des dispositifs numériques, on peine à leur garantir une persistance temporelle. N’appréciant pas le caractère spectaculaire et énergivore des vidéoprojections urbaines (mapping), je souhaitais reprendre le fil conducteur d’une tradition nommée fresque.

Le Havre, comme ville qui avait été détruite et reconstruite selon l’architecture utopique et moderniste de Perret, me semblait un terrain propice à cette expérimentation. J’ai décidé de plonger la ville dans l’espace latent des statistiques qu’on nomme habituellement « intelligence artificielle » puis de sortir des fragments choisis de cet océan de possibles pour les réintégrer dans la ville réelle. Ce processus a été étrangement représenté dans une série d’images sous la forme de sculptures violettes.

25 fresques sont disséminées dans la ville et constituent des fenêtres sur cet autre monde. La fresque, cette image murale, a une certaine qualité visuelle qui met en relation le tout et les parties. Il s’agit qu’elle puisse être vue en totalité dans son intégration au paysage et, qu’en se rapprochant, on puisse y analyser des détails qui sont autant de micronarrations. Elle est donc des images contenues dans une image, cette dernière étant ici une fenêtre donnant sur l’espace latent de l’IA. Ces images ont été réalisées à partir du fonds d’archives de la ville du Havre qui a été complétée par une IA, imaginant le hors champ et la suite de l’image. Elles racontent, dans la période allant de 1895-1944, une révolution industrielle alternative où la technique, le déchet et le naturel se seraient imbriqués les uns dans les autres.

25 000 cartes postales uniques et numérotées seront distribuées dans différents points de la ville et se concentrent sur la reconstruction de 1945 à 1970. Ces images font émerger un univers complet où la vie sociale s’organise autour de sculptures violettes et de la paresse, lecture et danse. Ces images disséminent une fiction non plus seulement dans l’espace urbain, mais parmi les habitants, d’où leur unicité, faisant de chacun d’entre eux le dépositaire d’une partie du projet.

D’un certain point de vue, la ville est un espace latent, c’est-à-dire un espace de possibles et de probabilités. Une histoire s’y sédimente, répétant parfois certaines formes et usages appartenant au passé, les réitérant et les transformant. En tant qu’espace artificiel, la ville défie le factuel pour réaliser ce qui n”est pas encore. Peut être est-ce pour cette raison que l’espace de l’IA semble capable de raconter une ville, le Havre, en tant qu’elle est autre qu’elle-même, en tant qu’elle est aliénée et toujours différée. On trouvera en ce point une articulation entre l’espace latent du calcul statistique et l’espace latent du simulacre technique qui ouvrirait une architecture des possibles.

When some people talk about the “intelligent city”, it’s by assuming a certain transparency, intelligibility or reflexivity of intelligence that could understand and grasp itself. The “intelligent city” often aims to optimize the city and make it more efficient, i.e. more instrumental. With “La ville qui n’existait pas”, the relationship between the city and AI is shaped by a discrepancy that lies at the heart of the urban project: the infinite promise of artificial space.

When Gaël Charbau asked me to take part in Été au Havre, it wasn’t a question of staging a monographic exhibition of past work, but of investing the urban space with a specific work. For several years now, I’d been wanting to get away from the White cube of the museum institution, which I appreciate for its ceremoniality, but which introduces a break with the everyday world. Un Été au Havre was an opportunity to try out other modes of exhibition in which the public doesn’t go to the work, but finds itself in an external space not intended for it. The second question that stimulated my interest was that of durability, because when you’re used to digital devices, it’s hard to guarantee them temporal persistence. Not appreciating the spectacular, energy-hungry nature of urban video projections (mapping), I wanted to pick up the thread of a tradition called fresco.

Le Havre, as a city that had been destroyed and rebuilt according to Perret’s utopian and modernist architecture, seemed to me to be a suitable terrain for this experiment. I decided to plunge the city into the latent space of statistics usually referred to as “artificial intelligence”, and then pull selected fragments out of this ocean of possibilities to reintegrate them into the real city. This process has been strangely represented in a series of images in the form of purple sculptures.

25 frescoes are scattered around the city, providing windows onto this other world. The fresco, this mural image, has a certain visual quality that brings together the whole and the parts. It has to be able to be seen in its entirety as part of the landscape, and to be able to analyze details that are so many micronarratives. It is therefore images contained within an image, the latter here being a window onto the latent space of AI. These images were taken from the archives of the city of Le Havre, which were supplemented by an AI, imagining the off-screen and the rest of the image. Between 1895 and 1944, they tell the story of an alternative industrial revolution in which technology, waste and nature were interwoven.

25,000 unique, numbered postcards will be distributed throughout the city, focusing on reconstruction from 1945 to 1970. These images reveal a complete universe where social life is organized around purple sculptures and laziness, reading and dancing. These images disseminate a fiction not only in the urban space, but among the inhabitants, hence their uniqueness, making each of them the custodian of a part of the project.