Le secret des écrans de veille

1013508_10151570523891429_1846119756_n

Un écran de veille est un programme informatique dont le but originel était de préserver la qualité d’image des écrans d’ordinateurs de type cathodique qui conservaient “l’empreinte” des fenêtres de logiciels, en stoppant l’affichage de l’écran (écran noir), ou en changeant les couleurs affichées sur chaque pixel (motifs et animations). Le mot anglais pour les désigner est screensaver, qui littéralement signifie « économiseur d’écran ».

En 2009, la plupart des écrans d’ordinateur qui sont fabriqués reposent sur des technologies récentes telles que l’affichage à cristaux liquides (écrans plats). Elles tendent à remplacer progressivement celle du tube cathodique qui était jusqu’à présent la principale technologie utilisée pour les moniteurs et les postes de télévision. Les écrans de veille perdent alors leur fonction instrumentale mais continuent à être installés par défaut sur les OS. On pourrait penser qu’ils passent de l’instrumentalité au divertissement esthétique.

Une autre analyse consiste à concevoir les écrans de veille comme des fonctions autonomes des ordinateurs, fonctions qui continuent même en l’absence d’utilisation. D’ailleurs, habituellement quand on touche sa souris, l’écran disparaît, et il faut une certaine durée d’inactivité pour que l’écran de veille démarre. L’absence de l’utilisateur peut prendre deux formes : il est concrètement absent de l’espace ou est l’écran, il est présent dans cet espace mais n’agit pas sur une des interfaces d’entrée. L’autonomie du programme n’a alors pas la même signification, d’un côté il est bel et bien autonome (on imagine les ordinateurs dans des bureaux vides le soir), de l’autre il est corrélé à une perception qui peut provoquer une impression esthétique.

Les écrans de veille sont donc des logiciels visibles sur un écran (à la différence de logiciels en “tâche de fond”) qui anticipent la possibilité d’une absence anthropologique. L’ordinateur est parfois sans corrélation, il est isolé. Il ne s’agit pas simplement là du fantasme d’une autonomisation technologique que la fiction a explorée, il s’agit d’un phénomène quotidien. Que deviennent les machines lors que nous ne sommes pas là ? Et que devenons-nous sans elles ? Prolégomènes à une esthétique ahumaine.

Si le concept d’économiseur d’écran désigne la fonction instrumentale, il me semble que celle d’écran de veille indique une autre interprétation que la lecture du livre 24/7 de Jonathan Crary rend plus encore nécessaire : tout se passe comme si le fait de rester en veille avait comme miroir le sommeil des êtres humains, ce sommeil organisé par le capitalisme avancé. Nous ne sommes pas devant nos ordinateurs quand nous dormons. La planète, selon le fuseau horaire considéré, est hantée par des humains qui dorment et des machines qui veillent. Veiller comme veiller sur, prendre garde de, protéger. Mais protéger quoi au juste ? Sans doute les machines protègent-elles (et attaquent-elles) le sommeil des hommes. Celui qui veille n’économise pas, il n’effectue pas un calcul car il reste éveillé aussi longtemps que reste endormi celui dont il a la charge. C’est sans doute pourquoi les écrans de veille, malgré leur obsolescence fonctionnelle, reste un paradigme qui dépasse largement les économiseurs d’écran. Les écrans de veille signifient dans cette nouvelle définition les processus informatiques qui sont en oeuvre quand personne n’est là ni pour les piloter ni pour les vérifier ni pour les commander. Ils signifient notre absence.