L’imaginaire de nouveaux récits pour sauver la Terre / Imagining new tales to save the Earth
L’appel fréquent à l’imagination comme faculté artistique d’élaborer de nouveaux récits afin de transformer notre manière d’habiter la Terre va souvent avec une survalorisation du vivant comme élan vital.
Le vivant devient alors le modèle de toutes nos productions, en particulier techniques, grâce au biomimétisme. Cette naturalisation de la mimèsis qui s’appuie sur une telle fondation a pour principal effet, dans le champ de l’art contemporain, une esthétique du jardinage institutionnel : on place des plantes dans un lieu d’art, estimant par là qu’on fait signe sans doute vers la grande nature qui saura se déployer en elle-même et pour elle-même, offrant par son autonomie organique l’émancipation dont nous rêvons.
Mais on ramène par là ladite « nature » à une vision bucolique, positive, où le vivant serait ce qui se déploierait par soi comme quelque chose de positif. Cette conception n’est pas celle d’une nature hétérogène qui a sa part d’effroi (ceux qui ont pu se rendre à Amazonie le savent bien), mais d’une nature cultivée, jardinée, entreprise. C’est bien la figure du jardin comme nature purifiée qui n’est plus qu’un objet de contemplation esthétique, c’est-à-dire un décor écologique tout autant qu’egologique, .
Ce n’est pas le moindre paradoxe de cet appel à changer nos récits grâce aux imaginaires artistiques que de reproduire sans le savoir ce qu’il croit modifier. En effet, cette imagination, qui n’est pour ainsi dire jamais conceptualisée, est envisagée comme une puissance de la psyché humaine, quelque chose dans la tête qui pourrait bouleverser le monde qui est hors de la tête. Le fait de commander l’extériorité par des processus mentaux relève de la volonté de puissance qui a précisément produit ce que l’on critique, l’exploitation extractiviste qui épuise l’habitation.
Au-delà de l’effet involontairement comique à croire que l’échelle des pratiques artistiques va modifier l’habitation terrestre dans son entiereté, qui est moins quelque chose que l’on forme volontairement que quelque chose dont on hérite, une infrastructure qui est déjà là, considérer qu’une causa mentalis s’exprime dans la causa materialis pour révolutionner l’habitation terrestre est la structure même de la volonté de puissance telle qu’elle s’est développée en Occident. Il y a là une prétention pastorale et théologique de l’art : la force du récit changera la réalité. L’artiste est le fondateur de nouvelles croyances.
On aura par là même évité de conceptualiser l’imagination, non comme quelque chose qu’on décide volontairement, mais comme une structure transcendantale, on aura également conçut le rôle de l’art de la manière la plus naïve et réactionnaire, enfin on aura accordé un rôle de modèle au vivant sans percevoir son conatus monstrueux et sa relation ambiguë à la technique.
L’imaginaire des nouveaux récits pour sauver le monde ne modifie en rien les structures psychiques de l’Occident et son succès s’explique justement par le fait qu’il en poursuit le destin.
The frequent appeal to the imagination as an artistic faculty to elaborate new narratives in order to transform our way of inhabiting the Earth often goes hand in hand with an overvaluation of the living as a vital impulse.
The living then becomes the model for all our productions, especially technical ones, thanks to biomimicry. In the field of contemporary art, this naturalization of mimesis, based on such a foundation, has had the main effect of creating an aesthetic of institutional gardening: plants are placed in a place of art, in the belief that this is a sign towards the great natural world, which will be able to unfold in and for itself, offering through its organic autonomy the emancipation we dream of.
But this reduces “nature” to a bucolic, positive vision, in which the living is what unfolds by itself as something positive. This conception is not that of a heterogeneous nature, which has its share of fears (those who have been to the Amazon know this well), but of a cultivated, gardened, entrepreneurial nature. The garden as purified nature has become nothing more than an object of aesthetic contemplation, in other words, an ecological as well as an egological setting.
Not the least paradox of this call to change our narratives through artistic imagination is that it unwittingly reproduces what it believes it is changing. Indeed, this imagination, which is virtually never conceptualized, is envisaged as a power of the human psyche, something inside the head that could turn the world outside the head upside down. The idea of commanding exteriority through mental processes is part of the will to power that has produced precisely what we’re criticizing, the extractivist exploitation that depletes the dwelling.
Beyond the unintentionally comical effect of believing that the scale of artistic practices will modify the entirety of terrestrial habitation, which is less something voluntarily formed than something inherited, an infrastructure that is already there, to consider that a causa mentalis expresses itself in the causa materialis to revolutionize terrestrial habitation is the very structure of the will to power as it has developed in the West. There’s a pastoral and theological claim to art here: the power of storytelling will change reality. Artists are the founders of new beliefs.
At the same time, we have avoided conceptualizing imagination not as something voluntarily decided, but as a transcendental structure; we have also conceived of the role of art in the most naive and reactionary way; and we have granted a model role to the living without perceiving its monstrous conatus and ambiguous relationship to technology.
The imaginary of new narratives to save the world in no way alters the psychic structures of the West, and its success can be explained precisely by the fact that it continues its destiny.