Art et stéréotype de la machine

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Cela en est enfin fini de la croyance en l’art. Nous avions eu beau contester, critiquer, remplacer, la croyance immodérée en l’art n’avait pas pour autant cessé. Elle avait continué, souveraine. Duchamp, et tant d’autres à sa suite, n’avait eu finalement que peu d’influence sur l’hyperstructure de l’art, sans doute n’avaient-ils pas fait ce qu’ils avaient cru. On en tenait compte tout en gardant un fond d’espérance : l’art c’était, on ne le savait pas, mais c’était tout de même plus grand que nous, c’était le secret de l’humanité, sa part de transcendance, l’infinité de son salut une fois que dieu a disparu. La démesure entre cette hyperstructure et la banalité de son infrastructure, ses guerres de pouvoir, ses relations médiocres, ses intelligences réduites, entraînaient un surinvestissement. Les gens du « milieu » s’énervaient, adoptaient des postures d’autorité et désignaient ceux qui en étaient ou n’en étaient pas. Si on leur demandait pourquoi, ils éclataient de rire portant en eux une colère rentrée.

Mais les œuvres étaient des données comme les autres, numérisables, synthétisables comme n’importe quoi d’autre. Il n’y avait aucune transcendance du génie humain. Et elles suivaient la pente des autres données, car elles n’en étaient qu’une infime part. Le Web avait mis à contribution chaque être humain pour l’alimenter d’images, de textes, de sons, œuvres comprises. Ces données pouvaient être vectorisées et, sans rapport à cette prétendue transcendance et monde du sens, produire de nouvelles données, ressemblantes pour être cohérentes à l’a priori de la perception, différentes pour être singulières et sortir la ressemblance de la simple reproduction à l’identique.

Ce n’est pas de l’œuvre dont nous nous débarrassons, mais simplement de sa croyance. Comme tout effondrement de ce type certains seront blessés et ne feront que réagir, parce qu’ils savent que tout cela a déjà eu lieu, bien avant eux, bien avant nous.

Vous ne diviniserez la machine que si vous aviez divinisé l’être humain et que vous vouliez changer simplement l’objet de projection de vos croyances.