Entretien de Grégory Chatonsky et Jacques Perconte (retranscription Bamchade Pourvali)
Jacques Perconte : La première chose dont j’aimerais bien parler avec toi, c’est ton rapport au cinéma. D’une façon très générale, quelles ont été tes inspirations, pour aller vers tes désirs, tes envies de faire du cinéma ?
Grégory Chatonsky : J’ai un rapport ambivalent au cinéma. D’un côté, à titre personnel, je suis cinéphile. Le film de mes 18 ans (puisqu’on a tous un film des 18 ans), c’est Nouvelle Vague (1990) de Godard qui a été un moment important dans mon apprentissage artistique ! Je reconnais la puissance narrative du cinéma classique en salle. De l’autre côté, sur le plan artistique, et non personnel, je pourrais dire : « le cinéma, c’est mon ennemi ! ». La force du cinéma, c’est la force du 20e siècle, c’est la capacité du cinéma d’avoir été un art populaire, un art du peuple qui lui raconte sa propre histoire au présent dans sa quotidienneté, et qui accompagne les transformations subies du fait de la révolution industrielle. Je pense que le cinéma a été une structure d’accompagnement : la révolution industrielle a transformé les corps, a poussé les limites du corps humain jusqu’à ce qu’on croyait invivable. Ce qui m’a intéressé à un moment – c’est beaucoup moins le cas aujourd’hui – c’était d’imaginer ce que pouvait être une fiction post-cinématographique au 21e siècle. Il y a une ligne de césure, le cinéma ne pouvait pas continuer comme cela parce que sa structure c’est : un début, un milieu, une fin. On raconte un destin, avec une structure aristotélicienne en trois phases : quelqu’un veut quelque chose, des choses l’en empêchent et on raconte comment il parvient à surmonter les problèmes et à résoudre cette tension. Il me semblait qu’Internet et les structures dites numériques, permettaient de raconter une autre vie qui ne prendrait plus la forme du destin. À titre personnel, je suis un grand consommateur de films, et, en tant qu’artiste, je m’intéresse à ce qui se passe « après le cinéma », pour raconter une autre vie.
J P : Ce que tu as commencé avec le projet de film avec Arte : Sur Terre…
G C : Il y a eu un moment de déconstruction du cinéma qui a commencé en 2002 avec Read Only Memories. Je mettais bout à bout des fragments de films pour recomposer des espaces de tournage, en particulier Hitchcock. Au cinéma la caméra se déplace, donc il y a une différence entre l’espace et le temps : on imagine un espace plus grand que l’espace vu à un moment donné. Cette série fut matricielle. J’ai fait ensuite plusieurs déconstructions de films, en fragmentant automatiquement les plans d’un film et en les jouant aléatoirement, en les faisant jouer sur deux écrans, en spatialisant des films. La fameuse scène du Mépris (1963) où Piccoli et Bardot se disputent dans l’appartement, je l’ai recréé en 3D. Déconstruire le cinéma, c’était déconstruire le temps du cinéma pour retrouver l’espace du tournage. Passer du temps, c’est-à-dire du destin, un temps linéaire, celui du film (même s’il est interprété différemment d’une personne à une autre, il y a : un début, une fin, un milieu, et on voit tous la même chose), et arriver à sortir de ce temps du destin, qui pour moi est un temps de la soumission, et aller du côté de l’espace qui permet une navigation indéterminée. Ça a été assez loin, jusqu’à travailler avec des cinéastes comme Jean-Paul Civeyrac. J’ai repéré dans ses films tous les moments vides, creux, tout ce qui n’était pas narratif, et je lui ai demandé de mémoire de me redessiner la position de la caméra dans l’espace. Ensuite, j’ai extrudé tous ses plans avec un logiciel 3D et j’ai fait une navigation aléatoire dans ces espaces où on passe d’un lieu à un autre de façon fantomatique en replaçant l’image du film exactement dans le bon axe, etc. Ça m’a amené à imaginer et à rêver – tu parlais de mon désir de cinéma – une autre fiction. Ce que j’ai appelé « la fiction sans narration », c’est-à-dire sans narrateur, sans quelqu’un qui parle à la place d’un autre, une fiction incertaine, flottante, beaucoup plus proche de la contingence de l’existence, et qui aurait été effectivement une fiction aléatoire faite de fragments, et surtout une fiction dont on ne verrait jamais le bout, qui ne s’arrêterait jamais, dont on ne pourrait jamais voir la totalité. Ça m’a amené à ce projet avec Arte, Sur Terre, et c’était une fiction avec des millions de documents et des base de données, … Il faut avouer que, concrètement, cette démarche a été un échec. Mais un bel échec, j’espère.
J P : Ce n’est pas un échec en soi. Même si le projet en tant que production audiovisuelle l’est peut-être.
G C : C’était une belle tentative qui me rapprochait beaucoup plus de la fiction de type Nouveau Roman, de quelque chose de très flottant, d’assez indéterminé, qui me semblait plus en phase avec notre époque qui est moins une époque du destin qu’une époque des possibles et du soupçon. J’ai abandonné ce projet de la fiction sans narration en 2005. J’y reviendrais peut être un jour. Mon désir n’a jamais été celui du cinéma, mais celui-là. C’est la question que tu me posais je crois à propos de mon désir.
J P : C’est pour cela que je te la pose.
G C : Quand on devient un adulte, on essaie d’être à la hauteur de l’adolescent que l’on a été. Je pense qu’on a une dette par rapport à l’adolescence parce que c’est un moment intense. Je faisais partie d’un petit groupe d’adolescents où tous voulaient faire du cinéma. Par esprit de contradiction, je ne voulais pas, je n’ai jamais voulu faire du cinéma. Ça ne me plaisait pas du tout. Il y avait d’abord cette réaction : je n’aimais pas leur désir.
J P : Ils fantasmaient…
G C : Oui, tout de suite, ils voulaient tourner en 35mm. Moi, à l’époque, je faisais mes petits films de vidéo art avec ma petite H 8, ma V5000, et je disais : « On peut filmer avec ces caméras, si vous avez envie. On n’a besoin de grosses caméras et de rails pour faire des travellings. On a pas besoin d’équipe et de la division du travail où je soumet quelqu’un pour qu’il fasse ce que je veux faire». Je me souviens chez mes camarades d’un désir de matériel qui coûtait cher, qui supposait aussi, ce qui me faisait peur dans le cinéma : un mode de production et de diffusion où on perdait complètement son autonomie. Je ne voulais pas que ma vie d’artiste dépende d’un producteur ou d’un diffuseur. Il y avait un désir de passage à l’acte rapide et c’est vrai qu’avec Internet, j’ai trouvé une réponse à cette grande question de la production cinématographique. J’ai pu m’en passer. Avec Internet, j’ai effectivement découvert un espace où la diffusion entrait directement en contact avec la production matérielle du travail sans production économique. Ça me semblait absolument déterminant. D’ailleurs, ça a tout modifié, on continue encore sur les vestiges de la production classique, mais ce sont des vestiges. Je pense que Godard a eu une influence importante. Je parle du Godard à partir de Sauve qui peut (la vie). même si sa croyance dans le cinéma et dans le réel du cinéma m’horripile : « Le cinéma, c’est le réel, et le réel, c’est le cinéma », je trouve que c’est un argument qui ne tient pas la route. Sa réflexion sur la figure du producteur, dans ses Histoire(s) du cinéma, sur la question de l’analogie dans le montage, cette friction qu’explorait Georges Bataille dans la revue Documents, il y a là quelque chose de très inspirant et d’interminable. Mais je me positionne très clairement, pour ma part, à la fin du cinéma qui, pour moi, représente un régime technico-industriel et politique très particulier.
J P : Je lis tes écrits depuis assez longtemps. Il y a toujours des choses qui m’intriguent et m’intéressent et me conduisent à te poser des questions : tu parles d’une position qui serait « après le cinéma », d’« un cinéma sans fin », qui est aussi pour moi le moment de la déconnexion avec la fiction – pour moi ça a été Crash (1996) de Cronenberg qui était en rupture avec ce qu’on voyait en salle à l’époque et le moment où commençaient à apparaître les films de Philippe Parreno, de Pierre Hugyhe.
G C : Oui, le post-cinéma.
J P : Et depuis 15 ans, le fait que le cinéma dans l’art contemporain est très représenté avec des références et de la citation.
G C : Sur ce phénomène-là, de cet autre post-cinéma, très différent de la fiction sans narration, c’est vrai que depuis les années 90, il y a une sur-représentation des pratiques de cinéma en art contemporain, et là, je dirais que c’est le « désir de cinéma », c’est-à-dire qu’on a de longs travellings tarkovskiens, où malheureusement Tarkovski est absent et ne reste plus qu’un tic stylistique un peu kitsch. Des images qui sont l’appareillage du cinéma, du travelling de cinéma, mais sans la fiction. Ce qui fait qu’effectivement quand tu vois les jeunes artistes contemporains d’aujourd’hui ils ont quasiment tous envie de faire du cinéma. Très clairement, je me porte à l’étape qui est après ça. Je ne me reconnais pas dans ce post-cinéma qui me semble formellement très académique.
J P : Oui, j’en parle pour situer le post-cinéma comme quelque chose qui termine le cinéma.
G C : Pour moi, le post-cinéma, c’est le fait d’exhiber le désir de cinéma comme tel, de manière très autoréférentielle. J’avais de mon côté le désir d’explorer d’autres façons de faire qui n’étaient pas du tout dans l’esthétique du post-cinéma qui était beaucoup plus dans l’esthétique du téléphone portable, du truc très léger, d’une image basse résolution avec des défauts et du bruit.
J P : Ce post-cinéma de toute façon ne se dirige pas vers le numérique, au contraire…
G C : Techniquement, si, mais pas dans les logiques du numérique. Moi, ce qui m’intéressait, c’était d’abord de contester ce fini formel de l’image cinématographique 35mm que tout le monde désirait et qui est devenu une esthétique par défaut. J’en ai discuté avec pas mal de copains artistes qui font des films et qui, effectivement, disent tout de suite : « On va tourner en 35mm, on va tourner en 4K ou en 8K », et toutes ces images se ressemblent terriblement esthétiquement. Je serais plutôt du côté d’Hito Steyerl pour qui des choses intéressantes se passent dans l’image dégradée parce que cette mauvaise qualité est le signe de sa circulation qui l’excède. Donc, je distinguerais l’appareillage de production technologique de type numérique de sa logique profonde, c’est-à-dire de son medium, que tu connais puisque c’est au cœur de ton travail. Au niveau générationnel, je viens après la génération du post-cinéma, j’appartiens à cette génération qui a tout de suite intégré Internet – qui est venu disloquer le cinéma. C’est le moment, pour moi, de césure qui n’a pas été entendu en France. Cette histoire-là n’a pas été encore racontée. Et je vois dans le champ de l’art contemporain toutes ces installations qui sont des salles de cinéma où il n’y a pas de siège, où il faut être debout, qui sont désagréables, avec des films d’un ennui qui ne produit pas même une certaine qualité de temps, dont les images se ressemblent parce qu’ils ne prennent que des chef-op’ qui travaillent sur des longs métrages parce qu’ils veulent cette patte… Le cinéma est devenu, dans le champ de l’art contemporain, une forme d’académisme ! Il me semblait que déconstruire l’autorité du cinéma qui serait représenté par Godard, les Straub et Serge Daney, c’est-à-dire le cinéma envisagé comme accès au réel, en utilisant les moyens du cinéma et en essayant de faire un peu dériver les manières de faire, cela ne me semblait en fait absolument pas à la mesure de ce qui se passait, et de nouvelles images qui apparaissaient, de nouveaux types d’image, et d’une nouvelle partie du monde qui apparaissait, c’est-à-dire : les chats qui communiquent avec les dauphins, les enlèvements de chiens par des babouins en Éthiopie, toutes ces images que l’on voit sur Youtube et qui nous fascinent. Le cinéma est structurellement nostalgique. C’est un revenant.
J P : Post-moderne ?
G C : Oui, post-moderne dans le sens, non pas où l’a entendu Jean-François Lyotard, mais dont ça a été digéré après.
J P : Reprendre des étalons…
G C : Une forme d’académisme, finalement : l’omniprésence des travellings (je ne mettrais pas Pierre Hugyhe dans le même paquet tout de même). Je pense à Parreno, à Dominique Gonzalez-Foerster, ces travellings à n’en plus finir, inspirés de plein de films, par simple plaisir de l’image, de fascination par rapport à l’image, ne prenant absolument pas en compte cette question d’Internet qui dans le régime visuel est venu tout bouleverser, parce qu’on a vu apparaître des choses qui n’apparaissaient pas, des modes d’images tout à fait différents, des usages sociaux absolument singuliers. J’avais fait un projet qui s’appelait Dance with me.J’avais repéré sur Internet des vidéos de Youtube avec des jeunes filles qui un peu partout aux États-Unis faisaient la même chorégraphie sur un morceau RnB, des jeunes filles très jeunes, 14-15 ans, avec des danses un peu trop lascives pour leur âge. J’en avais repéré 157 que j’avais récupérées, toujours avec le même décor, une chambre ou un garage. Je me disais que ces jeunes filles, si elles avaient voulu, dans les années 50, diffuser leurs images, elles auraient dû connaître un producteur, et, là, elles diffusent ces images elles-mêmes, directement, grâce à Youtube, au plus grand nombre, puisque c’était des centaines des milliers de vues ! Je me disais que dans ce rapport de médiation plus humain que la production cinématographique courante, il y avait un changement fondamental qui signifie un changement d’époque.
J P : Oui, on l’a senti tout de suite dès qu’on a eu Internet…
G C : Sauf qu’il a fallu près de 15 ans pour que les institutions en art commence à se dire : « Tiens, là, il se passe quelque chose ! » qui n’est pas juste un phénomène technique mais un phénomène social et ontologique, un phénomène dans la manière de fabriquer les images, de les diffuser, du mode de production, du type de qualité d’image, etc.
J P : Ce que tu dis m’amène à deux questions : celle de la surproduction, du dépassement du possible visible, et celle de ton rapport à une culture qui essaie de maintenir quelque chose dans le cinéma, une tentative d’un rapport aux outils.
G C : C’est-à-dire ?
J P : Par exemple, je pense aux caméras sur les smartphones dont les capacités physiques sont réduites de plus en plus avec de très mauvaises optiques et énormément de calculs pour produire une image que l’on croirait naturelle. Devant cette situation, on trouve dans le cinéma, une résistance des chefs opérateurs et des industriels pour maintenir un équipement spécifique où il y aurait une espèce de transparence de la boîte noire avec l’idée d’une image chimique-électrique…
G C : Ce sont deux questions très différentes. Pour la deuxième, celle que tu viens d’énoncer, je pense que l’idée de conserver le broadca st(on va l’appeler comme ça), et de le distinguer du matériel grand public et amateur, concerne des enjeux économiques, de la préservation d’une autorité de métier, et de la division du travail. L’autre fil, c’est la question de la qualité. Pourquoi ils veulent à tout prix préserver et faire une course après la qualité ? Comme si la qualité (la définition de l’image) était une garantie d’accès au réel.
J P : Oui, une qualité « mimétique ».
G C : Il y a cette idée effectivement. C’est très paradoxal. Je suis frappé par l’argument d’autorité de certains théoriciens quand ils parlent de la relation directe entre le cinéma et le réel. Ça m’a toujours beaucoup amusé parce que, d’un point de vue philosophique, ça ne tient pas la route. Et chaque fois, ça ressort. La fameuse phrase de Daney, à la suite du célèbre article de Rivette, sur Kapo, l’éthique de la position de la caméra – et de la lumière – qui donnerait l’accès au réel. Ce qui est très bizarre concernant cette qualité « mimétique », c’est qu’on trouve ce discours d’autorité et, de l’autre côté, une réalité sociale qui est profondément différente : « l’effet de réel » aujourd’hui, c’est la mauvaise qualité de l’image ! La mauvaise qualité de l’image est le signe et l’indice du réel, l’indice documentaire. D’ailleurs, ça a été repris dans les séries américaines depuis 24h Chrono : la caméra à l’épaule, une image qui bouge, pas sur pied, très instable, qui n’est pas sur travelling, etc. Donc, je dirais que le cinéma est un peu dépassé par la société tout simplement. Ensuite, effectivement, cette question technique, des optiques, de la manière dont ça se réparti entre le broadcastet l’amateur à travers une image de plus en plus post-produite de manière automatique. L’automatisation de la post-production est une vraie question ! Il y a le « boitier arsenal » pour APL qui est un système qui scrute ta photo et la compare à différentes photos sur Internet et te fait tous tes réglages en IA, avec la normalisation que ça suppose. Il y a quelque chose qui vient se greffer sur la lumière, une entité un peu extra-terrestre, qui me semble intéressante. J’en viens à ta première question sur l’infini et la quantité, car je pense qu’elle est liée. Pourquoi j’avais cet intérêt pour la quantité ? Mon intuition était qu’on parle beaucoup de qualité. Par pure esprit de contradiction, je ne voulais pas valoriser la qualité mais la quantité, parce que, sous les apparences de la plus grande production, le néo-libéralisme (pas le capitalisme, dont je crois nous sommes sortis) prétend produire de la quantité, répondre à notre désir, et je pense qu’il organise en fait la pénurie. Cette organisation de la pénurie, je l’ai vue lors des sorties d’iPhones, de playstations, où il y a la queue.
J P : À très court terme.
G C : Tout à fait, à très court terme ! C’est très intéressant d’ailleurs : pourquoi les gens attendent alors que c’est pour avoir la même chose 3-4 jours avant les autres ? C’est bien une organisation de la pénurie, surtout que tous les objets se ressemblent beaucoup aujourd’hui, les films se ressemblent incroyablement. Il y avait un débat politique sur la décroissance. Moi, je suis plutôt « accélérationniste ». Contester la domination des industries culturelles en place en produisant plus que ce qu’on peut ingérer ! Ce qui fait qu’il y a toujours un reste, du non-vu et du non-entendu. Ça partait d’une réflexion sur ces industries culturelles, depuis 15 ans, qui n’arrêtent pas d’annoncer leur disparition du fait que les gens, le peuple, les multitudes, viennent télécharger des musiques, des films, etc. Je me disais, essayons d’imaginer un système qui est tellement productif – c’était le cœur du projet Capture, mon groupe de rock – qu’on a beau voler autant de MP3 que l’on veut on ne rattrapera jamais la production. Il y avait aussi chez moi une vraie attirance, à un moment, pour le fait de faire des images infinies qui me semblaient beaucoup plus proches de l’existence. J’avais l’impression que ce qui m’insupportait dans la narration, c’est-à-dire dans le fait que quelqu’un raconte une histoire, c’est qu’il s’agit d’une résolution de l’existence, ça se termine bien ! Alors que pour nous, ça se termine mal, très mal même.
J P : Ça se termine « normalement ».
G C : Tout à fait, parce que ça se termine ! Et ce que je trouvais impressionnant dans le cinéma, c’était le caractère extrêmement répétitif de la structure de l’histoire. Je me disais qu’une histoire qui est sans fin, est une histoire qui est sans résolution, donc il n’y a pas de point d’identification. Ça me semblait beaucoup plus proche de la littérature que j’aimais, c’est-à-dire du Nouveau Roman, Pierre Guyotat, James Joyce, Fernando Pessoa, etc., qui sont sans solution, plutôt que ces grands récits dramaturgiques. Surtout, c’était beaucoup plus proche des expériences de récits d’Internet où il y a toujours quelque chose d’autre, qu’on peut aller voir, en passant d’une image à une autre. Donc, ça a été une tentation de l’infini ! Pour revenir sur la notion de broadcast, je pense que c’est lié au fait qu’il y a beaucoup de cinéastes qui n’ont pour ainsi dire aucun rapport au medium. Les cinéastes qui ont un rapport au medium, c’est-à-dire des gens qui savent ce qu’est une pellicule, qui sont des techniciens, au sens fort, comme Godard, il y en a peu. La plupart des cinéastes disent à leur chef op’ : « Vas-y ! ». C’est l’histoire triste de la non-rencontre entre l’art contemporain et le cinéma. Ce que le cinéma aurait pu apprendre de l’art contemporain est un rapport au medium moderniste. Libérer l’art, c’est travailler sur le medium comme le disait Clement Greenberg. Or, dans les faits, ce qu’a fait l’art contemporain, c’est de mimer le cinéma ! Il a fait l’inverse de ce qu’il aurait fallu faire ! La contamination n’est pas allée du cinéma vers l’art contemporain, c’est l’art contemporain qui a été contaminé par le cinéma !
J P : Ça se sent dans ton travail. Il y a quand même beaucoup de choses qui, esthétiquement, dans ta façon de poser les textes sur les images, plastiquement, il y a un lien qui s’inscrit dans la continuité avec le cinéma.
G C : J’aime la fiction au cinéma mais je déteste sa narration ! J’aime les individus qu’on rencontre dans les films mais je déteste la manière de raconter du cinéma ! Donc, effectivement, je garde des tricks cinématographiques mais clairement si demain on me demanderait de faire un film en salle, je ne serais pas intéressé. Je dirais : non. Sincèrement, ça ne me fait pas du tout fantasmer ! Pourtant quelle machine à fantasmes ! Disons que le cinéma est passé d’une machine à fantasmes pour le public à une machine à fantasmes pour les réalisateurs ! J’étais très marqué quand j’ai découvert à 17 ans le dialogue avec Serge Daney. La teneur du propos et le caractère autoritaire, assez religieux et pastoral, sur l’éthique du regard. J’ai vu chez beaucoup de cinéastes une vraie croyance dans le cinéma. Je l’ai vu au Fresnoy où j’ai pu donner un cours avec Bruno Dumont. C’est quelqu’un avec qui j’ai souvent discuté sur cette question du destin cinématographique versus ce que j’essayais de faire émerger avec l’ordinateur qui était une histoire sans fin, sans destin, sans identification possible. On discutait d’autant plus fortement que j’ai un immense respect pour son travail. Dans le cinéma français, je trouve que ce qu’il fait, et la manière dont aujourd’hui il évolue, est tout à fait intéressant. Mais il reste du côté du destin grec. Finalement, le dialogue avec les gens de cinéma m’intéresse mais comme un dialogue d’outre-tombe. C’est bien de parler avec les revenants ! C’est les tables tournantes pour moi !
J P : En ce qui me concerne, je pense qu’il y a quelque chose dans le cinéma qui, à un moment donné, m’a arrêté. Je n’étais pas cinéphile. Je voulais faire de la fiction. J’étais très engagé. J’ai poussé beaucoup de gens à le faire. Et à un moment donné, j’ai été arrêté nette dans cette envie-là, et je me suis rendu compte qu’il y avait une impossibilité pour moi, qui ne vient pas du même endroit que toi, qui suis beaucoup plus plastique, qu’il y avait une impossibilité pour moi d’arriver à faire des images suffisamment fortes pour que quelque chose puisse se passer. Et que tout ce qui existait là, même si je l’aimais, ça n’était pas juste par rapport à ce qu’on était en train de vivre. Mais, par contre, je reste persuadé qu’il y a quelque chose à ouvrir. Même s’il y a quelque chose d’outre-tombe et je suis tout à fait d’accord avec toi. La façon dont je le dis, moi, est qu’il y a beaucoup de films qui ne sont absolument pas nécessaires et que l’on continue à faire, qui ne servent à rien et qui ne font que citer ce qui a été fait juste avant et ainsi de suite, mais, il y aplein de films qui n’ont jamais été faits. Et il y a encore, je pense, pour un certain temps, une persistance d’une forme de cinéma qui reste là.
G C : Je comprends ce que tu veux dire. Je suis d’accord avec toi : il y a encore quelque chose. Le cadavre n’est pas mort. C’est ce que j’appelle le cinéma-zombie. Surtout que, par ailleurs, le cinéma n’est pas si naïf, il n’a cessé de raconter sa fin. Peter Szendy a écrit un beau livre sur le cinéma et la fin du monde : la fin du monde, c’est la fin du cinéma ! Mais là où, peut-être, on diffère, c’est l’endroit où ça se passe. Pour moi, très clairement, ça se passe dans l’image qui ne vient pas de la lumière ! Il y a des images qui sont produites, aujourd’hui, qui ne sont pas un enregistrement électro-chimique. Ces images-là m’intéressent parce que je ne sais pas de quoi il s’agit. Depuis 20 ans, je n’arrête pas d’essayer. Et je pense que ça se passe en dialogue avec ce que nous a appris le cinéma. Ma question, c’est plutôt d’observer les nouveaux récits qui s’élaborent sur Internet et qui sont indépendants de notre volonté. Je parlais avec Gaël Charbau, le directeur artistique de la Nuit Blanche 2018, des images traumatiques sur Youtube, celles qui nous restent dans la tête. Par exemple, des gens qui éclatent des boutons. Pourquoi est-ce qu’ils les éclatent ? Pourquoi devant la caméra ? Pourquoi ils les diffusent ? Pourquoi il y a autant de gens qui regardent ça ? Qu’est-ce que je fais-là devant ces images ? Et c’est une image traumatique parce qu’elle nous marque pendant longtemps. Elle laisse des traces, cette pression du corps, la peau qui cède du dedans, le mystère de la blessure. Il y a cette autre image : un enlèvement d’un chiot par un babouin en Éthiopie dans une décharge pour l’intégrer à sa meute et le domestiquer afin qu’il aboie en cas de danger. Ce moment d’enlèvement est une grande scène de violence traumatique. Ou bien cette belle image de Fukushima où après le tsunami, une caméra, embarquée dans une voiture, nous montre un travelling avec la caméra qui dérive dans l’eau. Le cinéma, c’est très peu d’images finalement, comparé à Internet ou aux caméras de surveillance. C’est pourquoi on a créé, comme tu le sais, des logiciels, pour pré-détecter des incidents dans les images. On est dans cette dynamique-là où notre perception est complètement préfigurée, préanticipée par des types de perceptions machiniques.
J P : Oui, je comprends très bien. Mais ce que tu dis, c’est totalement dans l’évolution des caméras. Quand tu parlais tout à l’heure du boitier que l’on peut mettre sur un appareil. Dans les téléphones, on a beaucoup d’intelligence artificielle, des réseaux de neurones qui permettent d’améliorer, de comprendre ce qui se passe, sans savoir ce qui se passe.
G C : Tout à fait.
J P : Et c’est ça qui est très intéressant, c’est-à-dire qu’il n’y a pas du tout de cognition, il n’y a pas du tout de pensée.
G C : Je peux essayer de te répondre sur cette question de la pensée en évoquant les réseaux récursifs de neurones sur lesquels je travaille à l’ENS. Un nouveau réalisme est en train de se mettre en place. C’est un moment important et assez émouvant parce que nous sommes en train de le voir. Ces réseaux sont nourris avec de grandes quantités de données : le fonctionnement est très simple, ce sont des statistiques, et cela permet de créer des images, par exemple, des oiseaux, qui n’existent pas mais que nous reconnaissons comme des oiseaux. C’est la définition même du réalisme, c’est quelque chose de crédible, de probable, de possible, qui pourrait exister. La machine n’a absolument pas à savoir ce qu’est conceptuellement un oiseau pour pouvoir le faire. Il y a une déconnexion entre les causes et les effets. Ce que, structurellement, le cinéma, qui est dans un rapport de causalité chimique, ne peut pas comprendre.
J P : Et pourtant, je suis persuadé que ça va venir, que les machines de cinéma vont intégrer cette chose et que quelque chose va se passer dans les caméras. Peut-être que ça ne contaminera pas le broadcastqui arrivera à survivre mais il y a quelque chose d’intermédiaire entre ce que tu désires quand tu fabriques une image et l’image que tu produis.
G C : On pourrait imaginer effectivement ça, c’est-à-dire qu’avec les réseaux régressifs de neurones qui sont, je pense, un moment décisif de l’histoire de l’image, je n’aborde pas cela parce que c’est une innovation technique, j’essaye de comprendre la profondeur historiale. Il y a des images crédibles mais de choses qui n’existent pas, qui ne sont pas fondées sur la lumière mais sur la mémoire, notre mémoire, les données massives du Web, et qui donnent un nouveau sens à l’hypermnésie que l’on vit depuis 15 ans à travers Internet. Pourquoi avons-nous enregistré toutes ces données. Et effectivement, spéculativement en tout cas, on pourrait imaginer ce que deviendrait une image qui serait le produit d’une caméra d’imagination. Les machines aujourd’hui sont douées d’imagination, c’est-à-dire de la faculté de produire des images réalistes, qui pourraient exister mais qui n’existent pas. Ça y est, c’est déjà à l’œuvre et ça fonctionne plutôt bien. Les résultats sont tout à fait intéressants, à mon avis. Quelle serait la jonction, le moment d’entrelacement entre ces deux histoires, qui sont deux histoires distinctes parce que cette deuxième histoire dont je te parle ne vient pas du cinéma. Elle vient de l’automatisation et de l’exosomatisation de la perception humaine.
J P : Et puis, c’est le devenir de l’informatique depuis le début.
G C : C’est le devenir de l’informatique statistique et pas algorithmique parce qu’il y a deux formes d’intelligence artificielle : celle de Marvin Minsky, le système expert qui a échoué et qui consistait à modéliser les connaissances humaines du monde. Ce qui marche maintenant, c’est la méthode de Frank Rosenblatt dont la première forme a été le Perceptron en 1957. Il s’agit simplement d’induction statistique, c’est-à-dire qu’on prend beaucoup de données on en fait des statistiques, ce qui permet de faire des choses qui sont crédibles et là je pense qu’effectivement, il y aurait quelque chose à réfléchir et que de toute façon – soyons un peu graves – les gens qui s’occupent de cinéma ne pourront pas, et ne peuvent déjà plus, faire l’économie d’une réflexion. On peut estimer que dans le champ sociologique le rapport à l’image, tel qu’il apparaît aujourd’hui, n’est déjà plus dans le type de réalité dont parlait le cinéma. On en voit des traces dans le complotisme et sa paréidolie. Les cinéastes questionnent-ils ces images-là ? Ces images inductives, qui ne sont pas des images de synthèse, qui ne sont pas des images liées à une simulation du monde physique, parce que la simulation en 3D suppose une compréhension scientifique, les logiciels de 3D, c’est juste de la physique appliquée à l’imagerie. Là, on parle de statistiques…
J P : Mais la façon dont les images fonctionnent, il y a deux mondes dans la fabrication des fichiers vidéo : il y a le monde « brut » de l’image ronde, bien ordonnée, bien détaillée, et puis il y a un autre monde d’images qui sont des mathématiques, qui sont des analyses statistiques différentielles et où il y a des choses dans l’image qui sont artificielles et qui sont calculées mais aussi prédites par comparaisons statistiques. La compression, c’est ça. Donc il y a quelque chose dans la nature même de la réalité technique des images dans leur diffusion qui se corrèlent avec ces fonctionnements-là.
G C : Le diable est en effet déjà dans leur maison depuis longtemps ! Si on prend la compression dont tu es un spécialiste, les images sont fakes. Ça fonctionne par comparaison, les codecs sont des machines anticipatives. Là, on est passé à une autre étape, c’est qu’avant ces anticipations-là fonctionnaient à partir d’un enregistrement visuel de lumière et que maintenant elles fonctionnent avec directement des datas, donc des mémoires. Ce qui est très impressionnant dans ces images, c’est leur puissance d’évocation fictionnelle, très proches du rêve et du Surréalisme. Il faut voir de quoi parlent ces images, stylistiquement elles ressemblent à du William Turner, elles coulent, elles sont liquides. Pour moi, tout ça, ce n’est pas du hasard. Elles sont comme Le bateau négrier (1840) de Turner, dans la perte de l’horizon, instable, le monde tombe en lambeau. Deuxième chose, elles parlent d’un monde de la métamorphose entre plusieurs catégories hétérogènes et ce monde de la métamorphose est assez archaïque.
J P : Oui, assez monstrueux d’une certaine manière.
G C : Oui, il y a un côté monstrueux, hybride. On revient à la mythologie, quelque chose d’antérieur à ce qu’a été la rationalité occidentale ou plus exactement qui est toujours resté tapi dans son ombre. C’est très bizarre, elles ont à voir avec le rêve. Or cette question du rêve – ou de l’hallucination – a été un peu laissée de côté. Ces questions-là sont tout de même revenues en 2015 à travers Deep Dream, de Google : on prend une image et la machine voit toujours plus de chiens et de mollusques qu’elle a en mémoire. Comme lorsque nous regardons les nuages en y croyant déceler des visages, la machine interprète le bruit visuel selon sa mémoire. Le résultat ressemble incroyablement à une hallucination sous LSD, une image psychédélique. Ces formes-là, ce mélange entre l’humain et l’animal dont parlent des gens comme Donna Haraway. On trouve là quelque chose de l’époque. Ce n’est pas juste technique, à mon avis, mais quelque chose qui renvoie vers un nouvel imaginaire, donc une nouvelle fiction, qu’il faut encore inventer. Comme tu le disais, il y a plein de films qui n’ont pas été filmés, il y a plein de films qu’on pourrait filmer, d’où la nécessité de faire autre chose que du cinéma. C’est ça pour moi la promesse du futur. Et je pense que c’est plutôt sur ces images-là qu‘aujourd’hui j’ai envie de travailler. Les images ont leur propre régime. On ne décide pas vraiment, on les découvre. On ne dit pas : tiens, j’ai une idée d’image, je vais la faire ! Ce n’est pas un « business plan » une image, pas une « start up ». Comme tu as pu découvrir dans le différentiel des codecs entre les images des choses, moi, c’est vrai que dans cette induction statistique, je découvre des images qui sont déjà engagées dans quelque chose qu’il s’agit de suivre.
J P : Et qui n’a pas de fin…
G C : Et dans la quantité, on tombe sur quelque chose d’un peu nouveau qui est le média de média, poussé à l’extrême. J’ai fait visionner par un réseau régressif de neurones – les réseaux régressifs font deux choses : ils reconnaissent très bien et ils génèrent très bien -, donc là, c’était la reconnaissance, c’était la surveillance. J’ai passé Blow up d’Antonioni à un réseau régressif de neurones qui a décrit les images. Ça faisait les sous-titres. J’enlevais le son et je laissais les sous-titres. En fin de compte, ce qui était vertigineux, c’est que ça raconte une histoire qui est une histoire alternative au film « original ». La question posée est celle des versions alternatives de la réalité, de la multiplication infinie des possibles et des interprétations qui est un problème politique aujourd’hui majeur. On peut faire des films et on peut les interpréter automatiquement maintenant de mille manières différentes. Donc pourquoi faire des films alors qu’on peut les machiner autrement. Je pense que devant la question de la vérité, les faits alternatifs, le complotisme, il y a deux réactions possibles : soit on tape du poing sur la table et on dit : « Moi, je connais la vérité ! Arrêtez de délirer ! ». Retour à l’autorité de la rationalité, ou on dit : « Ok, vous voulez multiplier la réalité ! Allons-y, moi, je vais vous prendre au sérieux ! Je vais vraiment la multiplier ! Mais par contre, la série ne sera pas limitée ». Et je pense que les gens d’en face ne voudront pas. Il faut être plus délirant qu’eux, plus artiste et nietzschéen.
J P : D’autres images…
G C : Oui, si on fait une généalogie, car on l’a partagé ensemble cette généalogie. On s’est suivi à distance pendant des années en prenant des chemins différents – je pense qu’on cherchait des choses analogues. Ces autres images, ça a commencé par notre intérêt pour la réalité virtuelle, c’est-à-dire la possibilité de s’immerger dans des mondes, promesse qui n’a pas été tenue jusqu’à présent. Je pense qu’après Internet a été un terrain d’exploration politique. Toi, tu as été aussi dans la surproduction, dans la quantité, I love you, c’est quand même une belle grosse surproduction (rires) ! Moi, j’ai cherché aussi la quantité mais plus du côté de la base de données déjà existante, car j’aimais cette mémoire des anonymes, quand, toi, tu les constituées. Après, tu as été plus du côté d’un travail sur le medium de l’image.
J P : Oui, sur le plan.
G C : Oui et de mon côté, maintenant, je vais clairement vers l’imagination artificielle, c’est-à-dire la possibilité qu’ont les machines de produire des images réalistes et ce que ça veut dire dans l’histoire du réalisme. Avant, on pouvait générer des images vectorielles avec des pixels, des images abstraites. Maintenant, on peut générer des images réalistes, et pas simplement les synthétiser. Pour moi la question du cinéma dit industriel, c’est la question du réalisme, ça a fixé le réalisme dans la première partie du 20e siècle.
J P : Et donc il est question d’un nouveau réalisme.
G C : Oui, je pense. Il y a d’ailleurs toute une génération de philosophes qui travaillent sur les questions ontologiques liées au matérialisme, au réalisme, comme Quentin Meillassoux, Ray Brassier, Tristan Garcia et Eugène Thacker, et de l’autre côté dans le champ de l’art contemporain, on voit apparaître quelque chose qui est la production d’un type d’image réaliste dont la procédure de production est différente, et se connecte avec l’un des événements majeurs des 15 dernières années qui est la constitution du big data par le biais d’Internet, et d’une mémoire des anonymes.
J P : De toute façon, la question de l’être humain dans la production des images, dans le rapport qu’on a au monde, ça devient un point-clé puisque de toute façon dans la pensée de l’art, il a souvent été question de la manière dont l’artiste arrive à tenir les choses malgré la technique, comment il arrive à maintenir sa présence. Aujourd’hui, on a des outils qui sont autonomes.
G C : Je me demande s’ils sont autonomes… je me demande aussi si l’artiste tient, au sens où il résisterait à la technique. Peut-être précisément n’y résiste-t-il pas, et il est le seul à s’y plonger en oubliant la fonction.
J P : Oui, autonome, ce n’est pas le bon mot. Ils ont une forme d’autonomie qui fait que ce que tu produis, c’est peut-être ce que tu désires produire mais ce n’est pas toi qui le fais forcément.
G C : Je pense qu’en art la question n’a jamais été de seulement vouloir produire quelque chose. La question de « la bonne fortune » de la tychès (τύχη), du hasard, est fondamentale. Le peintre Apelle de Cos parvenait à reproduire la mer en jetant de la peinture sur la surface. Ainsi pour créer du réalisme, la question du hasard et du lâcher-prise est fondamentale. Ça peut se voir aussi en Asie dans la représentation du paysage et un jardin fameux à Kyoto, le Ryoan-ji, sur lequel j’ai travaillé. Les machines ne sont ni plus ni moins autonomes que nous, me semble-t-il. Tout ce qu’on réfute dans la machine, tout ce qui nous pose problème, l’artificialisation de l’émotion, de la pensée, de l’imagination, essayons de le reporter sur nous-mêmes : sommes-nous bien sûr d’être doué d’intelligence et de toutes ces facultés ? Le débat médiatique à propos de la machine qui remplacerait l’artiste, devrait permettre de poser la question : Sommes-nous sûr de savoir aujourd’hui ce qu’est un artiste ? Est-ce qu’il ne faudrait pas passer dans un univers où les choses sont en relation, où elles communiquent ? Un artiste communique avec un système technique et un système technique communique avec un artiste. Ça ne veut pas dire qu’ils sont semblables. Ça ne veut pas dire que la machine est douée de conscience. Est-ce que l’être humaine l’est ? Je ne sais pas. Deux éléments peut-être sur les débats esthétiques sur l’autonomisation technique de l’image. Souvent, la question est abordée au sein du cinéma du point de vue du drone guerrier, ou de la vidéo-surveillance. Ces dimensions existent, mais elles sont loin d’être les seules. La deuxième chose, c’est la mise en concurrence de l’être humain et de la machine constitutive de la peur d’un remplacement de l’être humain par la technique, remplacement qu’il faut lier, à mon avis, avec le contexte sociologique pas très sain qui est l’idée du « Grand remplacement », chez les racialistes et les identitaires. Or, à mon sens, l’être humain est structurellement précaire, c’est une belle chose que le mal-être. Tu parles d’autonomie des machines, je ne dirai pas ça. Ce qui est très troublant, c’est que j’alimente les machines et les machines produisent des choses qui sont une force de proposition qui vont provoquer en moi des désirs d’histoires. Donc, il y a une boucle rétroactive : la cybernétique continue son projet ontologique de transformation du monde.
J P : Mais là, tu joues la boucle parce que dans ta démarche, tu es dans cette position-là, dans l’idée d’utiliser quelque chose pour ce qu’elle va te donner. La différence est dans ton positionnement, dans l’attitude qui, pour moi, est fondamentale du relationnel avec les outils, c’est-à-dire d’aller autour par l’expérimentation. Ton travail à cela d’important dans l’expérimentation continue d’outils, de méthodes, sans jamais leur demander autre chose que ce qu’ils te donnent.
G C : C’est là une vraie différence entre les artistes plasticiens et les cinéastes, ou certains cinéastes (je ne voudrais pas généraliser). Beaucoup de cinéastes restent dans un rapport instrumental avec le medium alors que les artistes plasticiens, ou visuels plutôt, ont un rapport différent au monde et à la technique, qui relève plus de l’exploration heuristique. Le monde industriel est un monde d’arraisonnement de la Terre, c’est un monde brutal. Le cinéma est violent dans sa production : il broie des êtres humains, il broie des destins. Combien de cinéastes n’ont jamais pu faire le film dont ils rêvaient ! Et de l’autre côté, je pense que pour beaucoup d’artistes visuels, il y a le fait de ne pas nécessairement arraisonner le monde. Il y en a certains qui sont là-dedans (c’est évident), mais aussi d’accueillir le monde tel qu’il arrive. Et donc d’accueillir l’image telle qu’elle arrive parce qu’elle arrive – elle est certes produite mais elle nous arrive – d’où le fait que les artistes visuels se sont beaucoup intéressés à des images qu’ils n’avaient pas produites. Tout simplement, ça les intéressait, dès le début de la modernité, avec les papiers collés chez Braque et Picasso. Cet intérêt est beaucoup plus tardif dans le cinéma. Il y a là une différence stratégique. Ce qui me frappe, c’est que le cinéma, qui reste quelque chose qui a une certaine aura et suscite un désir, manque peut-être de réflexion sur ce que nous sommes en train de devenir dans l’image du monde.
J P : C’est peut-être ça les enjeux aujourd’hui.
G C : Le cinéma est une industrie et tente de s’autoconserver plutôt que d’essayer de disparaître dans d’autres images, de se donner la mort. La manière dont, par exemple, le cinéma a ingurgité la 3D n’était pas extraordinaire ! Il y avait bien d’autres choses à faire ! Il n’y a quasiment rien eu ! À part un côté baroque où il y avait trop à voir pour l’œil humain comme dans Star Wars mais ça reste très anecdotique. Le cinéma est problématique parce qu’il y a une vraie force d’attraction, beaucoup de gens veulent faire du cinéma ! Je pense qu’il faut blesser son désir de faire du cinéma pour commencer à vouloir faire des images. Je pense que le désir de cinéma quand on parle de ça, bien sûr qu’on peut faire des films et que c’est passionnant, mais je pense que le désir de cinéma, il faut le blesser pour commencer à se demander ce que sont les images aujourd’hui, parce que les images sont en-dehors du cinéma ! L’image commencerait vers ce manque et vers ce dehors.
J P : Je pense qu’il y a une histoire d’honnêteté par rapport au véritable fondement des désirs, la séparation entre le désir et le fantasme.
G C : Et le désir personnel et le destin de l’époque. Ce n’est pas exactement la même chose. Le cinéma reste un formidable poste d’observation de ce que nous avons été au siècle dernier et pour comprendre un moment que nous avons encore du mal à métaboliser : la révolution industrielle. On est encore dans ce moment-là. Ce qui s’est noué dans la révolution industrielle, comme accélération de l’Histoire, comme accélération de l’arraisonnement de la Terre, et sa destruction pure et simple, comme possibilité de l’extinction de l’espèce humaine, comment nous avons raconté nos vies, comment nous avons raconté la vie des petites gens, c’est ça aussi le cinéma, c’est raconter la grandeur de l’anecdotique du peuple. Le dispositif du cinéma, que l’on retrouve partout dans le monde, est incroyable : cette salle avec des sièges, regardant le néant, c’est génial ! Quelle installation ! La seule installation qui a marché dans l’histoire de l’art, c’est le cinéma ! C’est un magnifique poste d’observation du 20e siècle. Ce qui en fait quelque chose d’assez nostalgique. Il est peut-être temps d’arriver à se demander comment, et qu’est-ce que nous allons raconter dans le siècle qui vient, dans le siècle qui est là.
J P : Je suis épaté de voir si peu d’images qui tranchent, où je me dis : « Ça, je ne l’ai jamais vu ! »
G C : C’est impressionnant cette absence !
J P : Je me dis comment est-ce que c’est possible qu’il n’y ait pas plus de gens qui soient agités par cette question.
G C : J’aurai un point de vue un peu différent du tien. Ça dépend où. Je pense que l’art n’est pas très agité par ça parce qu’il y a une espèce d’instinct de conservation de soi, d’académisme. Par contre, le corps social est ébranlé par ça, c’est-à-dire Youtube, Instagram… On a vu depuis 10 ans apparaître des images comme on en n’avait jamais vu avant. Il y a une multiplication des régimes d’image, il y a des fragments du monde qui apparaissent qui n’étaient pas visibles avant. Il faut sortir d’une forme d’égocentrisme, où la figure de l’artiste serait centralisée sur sa personne et sur sa subjectivité, et observer ce qui se passe autour et commencer à le cartographier parce que c’est proprement hallucinant ! Concrètement, je ne vais quasiment plus au cinéma, je ne regarde pas la TV depuis 20 ans, je regarde Youtube et ces images qui ne pourraient être diffusées nulle part ailleurs, qui n’auraient pas leur place sur un autre support. Là, il y a un récit du monde qui s’invente qui est très différent, qui est aussi lié à de petites histoires comme le montrait le cinéma du 20e siècle, mais qui n’est pas qu’humain – l’omniprésence des animaux sur Youtube, on n’a pas résolu cette question : pourquoi tellement d’animaux sur Youtube ? Pourquoi ça nous fascine tellement ? Les images feel-good qu’on malaxe, qu’on coupe et qui se répètent. C’est quoi ce truc-là ? Une sexualité non-génitale… Là, il y a un monde qui s’ouvre qui me semble passionnant et qui ne relèvent pas seulement de l’image. En fait, je crois que je serais plus du côté de la fiction que toi, j’ai l’impression que c’est quelque chose que j’ai moins abandonné même du côté de l’écriture, du texte, du dialogue, de la voix. Donc, si tu veux, ces images, elles m’intéressent parce qu’elles racontent quelque chose, elles racontent un monde qui est le monde, et elles le racontent déjà. C’est un poste d’observation absolument extraordinaire et je suis frappé par le côté extrêmement décalé du cinéma par rapport à notre époque, sa difficulté à parler de ce que nous vivons. D’où le fait que dans le cinéma américain, il y ait beaucoup de films qui portent sur les années 70, 80, c’est-à-dire au moment où c’était encore possible de parler d’un monde sans ces images !
J P : Tu as vu les derniers films de Natalie Bookchin ?
J P : Elle travaille sur des formes documentaires mais qui utilisent beaucoup de dispositifs pour capter ses images. Elle a notamment fait un film sur les gens en situations très précaires aux États-Unis. Elle a installé des ordinateurs avec des caméras et des postes autonomes qu’elle corrèle ensuite ensemble dans des dispositifs d’images. C’est des films qu’elle produit. Mais la manière dont tu les perçois, ce n’est plus un sens univoque ou quoique ce soit. Il y a une histoire de flux.
G C : C’est ces choses qui sont à la frontière du cinéma, de l’installation. Il y a des choses intéressantes qui se passent. On parle de représentation d’Internet. Grosse Fatigue (2013) de Camille Henrot montre bien ce que c’est que le processus de création avec Internet. Donc, il y a des choses qui sont à la frontière du cinéma mais peut-être qu’il y a un désir de radicalité aussi. Tordre un peu le cinéma pour le ramener à aujourd’hui
J P : Oui, je crois que je le vois aussi. L’envie de cinéma qui est partagé par beaucoup est quand même très liée à une histoire des histoires au cinéma et c’est majoritairement des destins humains. L’écho de notre société reste relié à la Renaissance. Je vois beaucoup de choses qui me rappellent la Renaissance. Une période qui m’a toujours fasciné. Il y a beaucoup de choses métaphoriques, de grands récits qui sont repris.
G C : Ce qui a été formidable dans Histoire(s) du cinéma (1988-1998) de Godard, c’est cette tentative, très inventive formellement, de relier l’histoire des cinéastes, l’histoire d’une certaine idée du cinéma et l’histoire du 20e siècle. De voir comment tout ça se travaillait. Effectivement, il y a un cinéma du cinéma ou un fantasme du cinéma, une salle dans la salle, un cerveau dans le cerveau ou des yeux dans les yeux qui permettraient de comprendre ce que nous a « fait » le cinéma. Je pense qu’il est temps d’en tirer le bilan ! Le cinéma nous a « fait » quelque chose en tant qu’artiste. Il nous a poussé à imaginer notre vie d’une certaine façon parce qu’il s’agissait de ça, à travers l’identification. Pas tellement sur le travail, parce qu’on voit rarement des gens qui travaillent dans le cinéma, on voit surtout des gens qui s’aiment. Qu’est-ce que ça nous a « fait » par rapport à cela ? Et qu’est-ce que ça a « fait » à l’image qui est une histoire amoureuse ? Pour moi, très rapidement, le cinéma est apparu comme une impasse à cause du dispositif économique de production parce que ça durcissait les relations sociales de domination.
J P : Quand on est dans un rapport à la création, que ce soit toi comme moi, où la question du geste est fondamentale, l’autonomie du geste, la vitesse du geste, son économie dans le temps, son économie de moyen, la question de la production, ça fait 10 ans que je n’ai pas écrit un dossier pour un film. Cette question de l’autonomie pour moi est fondamentale.
G C : C’est vrai que cette question de l’autonomie est liée aux conditions de production et c’est vrai que des cinéastes, malgré tout, ont pu réaliser des choses, je pense à Cassavetes, sa maison avec ses amis acteurs, sa femme, ses films, etc. Je pense aux années grenobloises de Godard en 74-78. Et d’ailleurs, ce n’est pas le fait du hasard si Cassavetes a commencé à raconter une histoire qui n’avait pas de fin. Quand tu regardes Une femmes sous influence (1974) : la fin de l’histoire est le début, ça continue. C’est « business as usual »! Cassavetes touche à cette existence infinie parce qu’elle est mortelle alors que bizarrement quand une vie est résolue, elle devient éternelle. En fin de compte, le cinéma résout la vie des individus pour les rendre éternels parce qu’une fois que la vie est résolue, c’est le Royaume de Dieu, c’est le Paradis. Alors que paradoxalement raconter une vie qui ne s’arrête pas, des histoires qui ne se clôture pas, c’est promettre la finitude parce que nous mourrons sans avoir rien résolu.
J P : Sinon, il faut le résoudre maintenant et puis ensuite attendre.
G C :Oui, c’est ça : mourir et devenir éternel ou rester fini et ne pas mourir, attendre la mort. Et donc très paradoxalement, l’infini des histoires est une manière de toucher peut-être plus fortement la finitude dont nous sommes tissés. Il y a quelque chose de très théologique, dans le cinéma, lié à la résolution des problèmes, qui me gêne et, d’ailleurs, c’est pour ça que la théorie du cinéma est souvent une théologie dans laquelle les cinémathèques sont des églises, les cinéastes, des apôtres qui ont reçus une révélation. Tu connais très bien ce milieu. Dans la critique de cinéma, parfois on est dans un discours quasi-religieux dont les Cahiers du cinéma ont été porteur à un moment. Et ça, je pense que c’est lié au type de production d’images, « la Lumière » est là ! Si la lumière disparaît aujourd’hui, c’est qu’il faut chercher les images ailleurs que dans le partage du clair et de l’obscur, dans toutes nos mémoires.
Entretien réalisé à l’École Louis Lumière, vendredi 1er février 2019 – refusé à la publication.
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Jacques Perconte: The first thing I’d like to talk about with you is your relationship to cinema. In a very general way, what have been your inspirations, to go towards your desires, your desires to make cinema?
Grégory Chatonsky : I have an ambivalent relationship with cinema. On the one hand, on a personal level, I am a cinephile. The film of my 18 years (since we all have a film of the 18 years), it is Nouvelle Vague (1990) of Godard which was an important moment in my artistic training! I recognize the narrative power of classical cinema in theaters. On the other hand, on an artistic level, not a personal one, I could say: “Cinema is my enemy! The strength of cinema is the strength of the 20th century, it is the capacity of cinema to have been a popular art, an art of the people that tells its own story in the present in its everyday life, and that accompanies the transformations undergone because of the industrial revolution. I think that the cinema has been a structure of accompaniment: the industrial revolution has transformed the bodies, has pushed the limits of the human body to what we thought was unbearable. What interested me at one point – it’s much less the case today – was to imagine what a post-cinematic fiction could be in the 21st century. There is a cut-off line, cinema could not continue like that because its structure is: a beginning, a middle, an end. We tell the story of a destiny, with an Aristotelian structure in three phases: someone wants something, things prevent him from doing it, and we tell the story of how he manages to overcome the problems and resolve this tension. It seemed to me that the Internet and the so-called digital structures made it possible to tell another life story that would no longer take the form of fate. Personally, I am a big consumer of films, and as an artist, I am interested in what happens “after the cinema”, to tell another life.
J P: What you started with the film project with Arte: Sur Terre…
G C: There was a moment of deconstruction of cinema that began in 2002 with Read Only Memories. I was putting fragments of films together to recompose the spaces of filming, especially Hitchcock. In cinema the camera moves, so there is a difference between space and time: we imagine a space larger than the space seen at a given moment. This series was matrixed. I then made several deconstructions of films, by automatically fragmenting the shots of a film and playing them randomly, by making them play on two screens, by spatializing films. The famous scene from Le Mépris (1963) where Piccoli and Bardot argue in the apartment, I recreated it in 3D. Deconstructing cinema meant deconstructing the time of cinema in order to find the space of filming. To go from time, that is to say from destiny, a linear time, that of the film (even if it is interpreted differently from one person to another, there is: a beginning, an end, a middle, and we all see the same thing), and to manage to get out of this time of destiny, which for me is a time of submission, and to go to the side of the space which allows an indeterminate navigation. This has gone quite far, to the point of working with filmmakers like Jean-Paul Civeyrac. I spotted in his films all the empty, hollow moments, everything that was not narrative, and I asked him from memory to redraw for me the position of the camera in the space. Then, I extruded all his shots with a 3D software and I made a random navigation in these spaces where we go from one place to another in a ghostly way by replacing the image of the film exactly in the right axis, etc. That led me to imagine and to create a new way of seeing the film. This led me to imagine and dream – you were talking about my desire for cinema – another fiction. What I called “fiction without narration”, that is to say without a narrator, without someone speaking in the place of another, an uncertain, floating fiction, much closer to the contingency of existence, and which would have been effectively a random fiction made of fragments, and above all a fiction of which one would never see the end, which would never stop, of which one would never see the totality. This led me to this project with Arte, Sur Terre, and it was a fiction with millions of documents and databases, … I must admit that, concretely, this approach was a failure. But a beautiful failure, I hope.
J P : It is not a failure in itself. Even if the project as an audiovisual production is perhaps.
G C: It was a beautiful attempt that brought me much closer to the fiction of the New Novel type, to something very floating, rather indeterminate, which seemed to me more in phase with our time, which is less an era of destiny than an era of possibilities and suspicion. I abandoned this project of fiction without narration in 2005. I might come back to it one day. My desire has never been for cinema, but for this one. That’s the question I think you asked me about my desire.
J P: That’s why I’m asking you.
G C: When you become an adult, you try to live up to the adolescent you were. I think we owe a debt to adolescence because it’s an intense time. I was part of a small group of teenagers where everyone wanted to make movies. By spirit of contradiction, I did not want, I never wanted to make cinema. I didn’t like it at all. There was first of all this reaction: I did not like their desire.
J P: They fantasized…
G C: Yes, right away, they wanted to shoot in 35mm. At the time, I was making my little video art films with my little H8, my V5000, and I said: “We can shoot with these cameras, if you want. You don’t need big cameras and rails to do dollies. We don’t need a crew and the division of labor where I submit someone to do what I want to do. I remember my comrades’ desire for expensive equipment, which also implied what frightened me about cinema: a mode of production and distribution in which you lose your autonomy completely. I did not want my life as an artist to depend on a producer or a distributor. There was a desire to act quickly and it is true that with the Internet, I found an answer to this great question of cinematographic production. I could do without it. With the Internet, I actually discovered a space where distribution came into direct contact with the material production of work without economic production. That seemed to me absolutely decisive. Moreover, it changed everything, we still continue on the vestiges of classical production, but they are vestiges. I think that Godard has had an important influence. I speak of Godard from Sauve qui peut (la vie). Even if his belief in cinema and in the reality of cinema horrifies me: “Cinema is reality, and reality is cinema”, I find that an argument that does not hold water. His reflection on the figure of the producer, in his Histoire(s) du cinéma, on the question of analogy in editing, this friction that Georges Bataille explored in the magazine Documents, there is something very inspiring and endless there. But I position myself very clearly, for my part, at the end of the cinema which, for me, represents a very particular technico-industrial and political regime.
J P: I have been reading your writings for quite a long time. There are always things that intrigue me and interest me and lead me to ask you questions: you speak of a position that would be “after cinema”, of “a cinema without end”, which is also for me the moment of disconnection with fiction – for me it was Cronenberg’s Crash (1996) which was in rupture with what we saw in theaters at the time and the moment when Philippe Parreno’s films, Pierre Hugyhe’s films began to appear.
G C: Yes, post-cinema.
J P: And for the last 15 years, the fact that cinema in contemporary art is very represented with references and quotations.
G C: On this phenomenon, of this other post-cinema, very different from the fiction without narration, it is true that since the Nineties, there is an over-representation of the practices of cinema in contemporary art, and there, I would say that it is the “desire of cinema”, that is to say that we have long Tarkovskian travellings, where unfortunately Tarkovski is absent and remains only a stylistic tic a little kitsch. Images that are the equipment of the cinema, of the cinema dolly, but without the fiction. Which means that when you see the young contemporary artists of today, they almost all want to make cinema. Very clearly, I am at the stage that is after that. I don’t recognize myself in this post-cinema which seems to me formally very academic.
J P: Yes, I talk about it to situate post-cinema as something that ends cinema.
G C: For me, post-cinema is the fact of exhibiting the desire for cinema as such, in a very self-referential way. For my part, I had the desire to explore other ways of doing things that were not at all in the aesthetics of post-cinema, which was much more in the aesthetics of the cell phone, of the very light stuff, of a low resolution image with defects and noise.
J P: This post-cinema in any case does not go towards digital, on the contrary…
G C: Technically, yes, but not in the logic of digital. For me, what interested me was first of all to challenge this formal finish of the 35mm film image that everyone wanted and that has become an aesthetic by default. I’ve discussed this with a lot of artist friends who make films and who, in fact, immediately say: “We’re going to shoot in 35mm, we’re going to shoot in 4K or in 8K”, and all these images look terribly similar aesthetically. I would be more on the side of Hito Steyerl for whom interesting things happen in the degraded image because this bad quality is the sign of its circulation which exceeds it. So, I would distinguish the technological production equipment of the digital type from its deep logic, that is to say from its medium, which you know since it is at the heart of your work. At the generational level, I come after the post-cinema generation, I belong to this generation which immediately integrated Internet – which came to dislocate the cinema. It is the moment, for me, of caesura which was not heard in France. This story has not yet been told. And I see in the field of contemporary art all these installations that are movie theaters where there are no seats, where you have to stand, which are unpleasant, with films of a boredom that does not even produce a certain quality of time, whose images are similar because they only take the directors who work on feature films because they want this touch… Cinema has become, in the field of contemporary art, a form of academism! It seemed to me that deconstructing the authority of the cinema that would be represented by Godard, the Straubs and Serge Daney, that is to say the cinema envisaged as an access to the real, by using the means of the cinema and by trying to make the ways of doing things drift a little bit, that did not seem to me in fact to be absolutely commensurate with what was happening, and with the new images that were appearing, with the new types of images, and with a new part of the world that was appearing, that is to say : cats communicating with dolphins, dog abductions by baboons in Ethiopia, all these images that we see on Youtube and that fascinate us. Cinema is structurally nostalgic. It is a returnee.
J P: Post-modern?
G C: Yes, post-modern in the sense, not where Jean-François Lyotard understood it, but in the sense that it was digested afterwards.
J P: To take up standards…
G C: A form of academicism, finally: the omnipresence of dolly shots (I wouldn’t put Pierre Hugyhe in the same category, though). I think of Parreno, Dominique Gonzalez-Foerster, these endless dollies, inspired by a lot of films, simply for the pleasure of the image, for the fascination of the image, not taking into account at all this question of the Internet which has upset everything in the visual regime, because we have seen things appear that did not appear before, completely different modes of images, absolutely singular social uses. I had done a project called Dance with me, and I had spotted on the Internet Youtube videos of young girls all over the United States doing the same choreography to an RnB song, very young girls, 14-15 years old, with dances that were a bit too lascivious for their age. I had spotted 157 of them that I had picked up, always with the same decor, a bedroom or a garage. I thought that these young girls, if they had wanted, in the 50’s, to diffuse their images, they should have known a producer, and, there, they diffuse these images themselves, directly, thanks to Youtube, to the greatest number, since it was hundreds of thousands of views! I thought that in this mediation relationship, more human than the current cinematographic production, there was a fundamental change that means a change of era.
J P: Yes, we felt it right away as soon as we had Internet…
G C: Except that it took almost 15 years for art institutions to start saying to themselves: “Here, something is happening!” which is not just a technical phenomenon but a social and ontological phenomenon, a phenomenon in the way images are made, distributed, the mode of production, the type of image quality, etc.
J P: What you say brings me to two questions: that of overproduction, of going beyond the visible possible, and that of your relationship to a culture that tries to maintain something in the cinema, an attempt at a relationship with the tools.
G C: That is to say?
J P: For example, I am thinking of the cameras on smartphones whose physical capacities are increasingly reduced with very bad optics and a lot of calculations to produce an image that one would think was natural. Faced with this situation, we find in the cinema, a resistance from the cinematographers and the industrialists to maintain a specific equipment where there would be a kind of transparency of the black box with the idea of a chemical-electrical image…
G C: These are two very different questions. For the second one, the one you just mentioned, I think that the idea of preserving the broadca st(we’ll call it that), and distinguishing it from the general public and amateur equipment, concerns economic issues, the preservation of a professional authority, and the division of labor. The other thread is the question of quality. Why do they want to preserve and race after quality at all costs? As if quality (the definition of the image) were a guarantee of access to reality.
J P: Yes, a “mimetic” quality.
G C: There is this idea indeed. It is very paradoxical. I am struck by the argument of authority of certain theorists when they speak of the direct relation between cinema and reality. I’ve always been very amused by this because, from a philosophical point of view, it doesn’t hold water. And every time, it comes out. Daney’s famous sentence, following Rivette’s famous article on Kapo, the ethics of the camera’s position – and of the light – that would give access to reality. What is very strange about this “mimetic” quality is that we find this discourse of authority and, on the other side, a social reality that is profoundly different: the “effect of reality” today is the bad quality of the image! The bad quality of the image is the sign and the index of the real, the documentary index. Moreover, this has been taken up in American series since 24h Chrono: the hand-held camera, an image that moves, not on a stand, very unstable, not on a dolly, etc. So, I would say that cinema is a bit outdated by society. Then, indeed, this technical question, of optics, of the way it is distributed between the broadcaster and the amateur through an image that is more and more automatically post-produced. The automation of post-production is a real question! There is the “arsenal box” for APL which is a system that scans your photo and compares it to different photos on the Internet and makes all your adjustments in AI, with the normalization that this implies. There’s something that comes on top of the light, a somewhat alien entity, which seems interesting to me. I come to your first question about infinity and quantity, because I think it is related. Why did I have this interest in quantity? My intuition was that we talk a lot about quality. By pure spirit of contradiction, I didn’t want to value quality but quantity, because, under the appearance of the greatest production, neo-liberalism (not capitalism, from which I believe we have emerged) claims to produce quantity, to respond to our desire, and I think that it actually organizes scarcity. This organization of scarcity, I’ve seen it when iPhones, playstations, are released, where there is a queue.
J P: In the very short term.
G C: Absolutely, in the very short term! It’s very interesting, by the way: why do people wait when it’s to get the same thing 3-4 days before the others? It’s really an organization of scarcity, especially since all the objects are very similar today, the films are incredibly similar. There was a political debate about degrowth. I’m more of an “accelerationist”. Challenge the domination of the cultural industries in place by producing more than we can ingest! Which means that there is always something left over, something unseen and unheard. It started from a reflection on these cultural industries, for the last 15 years, which do not stop announcing their disappearance because people, the people, the multitudes, come to download musics, films, etc. I said to myself, let us try to find a way to make the cultural industries more efficient. I said to myself, let’s try to imagine a system that is so productive – that was the heart of the Capture project, my rock band – that no matter how many MP3s you steal, you’ll never catch up with the production. There was also a real attraction for me, at one point, to making infinite images that seemed much closer to existence. I had the impression that what I couldn’t stand about narration, that is to say, about the fact that someone tells a story, is that it’s a resolution of existence, it ends well! Whereas for us, it ends badly, very badly even.
J P: It ends “normally”.
G C: Absolutely, because it ends! And what I found impressive in the cinema was the extremely repetitive character of the structure of the story. I thought that a story that has no ending is a story that has no resolution, so there’s no point of identification. It seemed to me much closer to the literature that I liked, that is to say the New Novel, Pierre Guyotat, James Joyce, Fernando Pessoa, etc., which are without solution, rather than these great dramaturgical stories. Above all, it was much closer to the experiences of Internet narratives where there is always something else, which you can go and see, by passing from one image to another. So it was a temptation of the infinite! To come back to the notion of broadcast, I think it’s linked to the fact that there are many filmmakers who have no relationship to the medium, so to speak. The filmmakers who have a relationship with the medium, that is to say people who know what a film is, who are technicians, in the strong sense, like Godard, there are few. Most filmmakers say to their DP: “Go for it! This is the sad story of the non-encounter between contemporary art and cinema. What cinema could have learned from contemporary art is a modernist relationship to the medium. To liberate art is to work on the medium, as Clement Greenberg said. But, in fact, what contemporary art has done is to mimic cinema! It did the opposite of what it should have done! The contamination did not go from the cinema to the contemporary art, it is the contemporary art which was contaminated by the cinema!
J P: That is felt in your work. There are many things that, aesthetically, in your way of putting texts on images, plastically, there is a link that is in continuity with the cinema.
G C: I like fiction in cinema but I hate its narration! I like the individuals that we meet in the films but I hate the way of telling of the cinema! So, indeed, I keep some cinematographic tricks but clearly if tomorrow I would be asked to make a film in a cinema, I would not be interested. I would say: no. Sincerely, it doesn’t make me fantasize at all! Yet what a fantasy machine! Let’s say that cinema has gone from a fantasy machine for the public to a fantasy machine for the directors! I was very marked when I discovered at 17 years old the dialogue between Serge Daney and Regis Debray. The content of the talk and the authoritative character, quite religious and pastoral, on the ethics of the gaze. I saw in many filmmakers a real belief in cinema. I saw it at Le Fresnoy where I was able to give a course with Bruno Dumont. He is someone with whom I often discussed this question of cinematographic destiny versus what I was trying to bring out with the computer, which was a story without end, without destiny, without possible identification. We discussed it all the more strongly because I have immense respect for his work. In French cinema, I find that what he does, and the way in which he evolves today, is quite interesting. But he remains on the side of Greek destiny. Finally, the dialogue with the people of cinema interests me but like a dialogue from beyond the grave. It is good to speak with the ghosts! It’s the turntables for me!
J P : As far as I’m concerned, I think there is something in the cinema that, at a given moment, stopped me. I wasn’t a cinephile. I wanted to make fiction. I was very committed. I pushed a lot of people to do it. And at a given moment, I was stopped dead in my tracks, and I realized that it was impossible for me, who doesn’t come from the same place as you, who is much more plastic, that it was impossible for me to make images strong enough for something to happen. And that everything that existed there, even if I liked it, was not right in relation to what we were experiencing. But, on the other hand, I remain convinced that there is something to open. Even if there is something from beyond the grave, and I totally agree with you. The way I put it is that there are a lot of films that are absolutely not necessary and that are still being made, that are useless and that only quote what has been done just before and so on, but there are a lot of films that have never been made. And there is still, I think, for some time, a persistence of a form of cinema that remains there.
G C: I understand what you mean. I agree with you: there is still something. The corpse is not dead. This is what I call zombie cinema. Especially since, on the other hand, cinema is not so naive, it has never stopped telling its end. Peter Szendy wrote a beautiful book on cinema and the end of the world: the end of the world is the end of cinema! But where we differ, perhaps, is the place where it happens. For me, very clearly, it happens in the image that does not come from the light! There are images which are produced, today, which are not an electro-chemical recording. These images interest me because I don’t know what they are. For 20 years, I have not stopped trying. And I think that it happens in dialogue with what cinema has taught us. My question is rather to observe the new narratives that are elaborated on the Internet and that are independent of our will. I was talking with Gaël Charbau, the artistic director of Nuit Blanche 2018, about traumatic images on Youtube, those that stay in our heads. For example, people popping buttons. Why do they pop them? Why on camera? Why do they broadcast them? Why are there so many people watching this? What am I doing in front of these images? And it is a traumatic image because it marks us for a long time. It leaves traces, this pressure on the body, the skin that gives way from within, the mystery of the wound. There is this other image: the abduction of a puppy by a baboon in Ethiopia from a dump to integrate it into its pack and domesticate it so that it barks in case of danger. This moment of abduction is a great scene of traumatic violence. Or this beautiful image of Fukushima where, after the tsunami, a camera in a car shows us a tracking shot with the camera drifting in the water. Cinema, in the end, is very few images, compared to the Internet or to surveillance cameras. This is why we have created, as you know, software to pre-detect incidents in the images. We are in this dynamic where our perception is completely prefigured, preanticipated by types of machine perception.
J P: Yes, I understand very well. But what you say is totally in the evolution of cameras. When you were talking earlier about the box that can be put on a device. In telephones, we have a lot of artificial intelligence, neural networks that allow us to improve, to understand what is happening, without knowing what is happening.
G C: Exactly.
J P: And that’s what’s very interesting, that is, there is no cognition at all, there is no thought at all.
G C: I can try to answer you on this question of thought by evoking the recursive neural networks on which I have been working for four years at the ENS. A new realism is being set up. It is an important and quite moving moment because we are in the process of seeing it. These networks are fed with large amounts of data: the way it works is very simple, it’s statistics, and it allows us to create images, for example, of birds, which do not exist but which we recognize as birds. This is the very definition of realism, it is something credible, probable, possible, that could exist. The machine doesn’t have to know what a bird is conceptually in order to do it. There is a disconnect between cause and effect. What, structurally, the cinema, which is in a chemical causality relationship, cannot understand.
J P: And yet, I am persuaded that it will come, that the machines of cinema will integrate this thing and that something will happen in the cameras. Maybe it won’t contaminate broadcasting, which will manage to survive, but there is something in between what you want when you make an image and the image that you produce.
G C: One could imagine that indeed, that is to say that with the regressive neural networks which are, I think, a decisive moment in the history of the image, I do not approach that because it is a technical innovation, I try to understand the historical depth. There are credible images but of things that do not exist, that are not based on light but on memory, our memory, the massive data of the Web, and that give a new meaning to the hypermnesia that we have been living for 15 years through the Internet. Why have we recorded all this data. And indeed, speculatively at least, one could imagine what would become of an image that would be the product of a camera of imagination. Machines today are gifted with imagination, that is to say, with the faculty of producing realistic images, which could exist but do not. This is already at work and it works quite well. The results are quite interesting, in my opinion. What would be the junction, the moment of intertwining between these two stories, which are two distinct stories because this second story I’m talking about doesn’t come from cinema. It comes from the automation and the exosomatization of human perception.
J P: And then, it is the becoming of computer science since the beginning.
G C: It’s the future of statistical computing, not algorithmic computing, because there are two forms of artificial intelligence: that of Marvin Minsky, the expert system which failed and which consisted of modeling human knowledge of the world. What works now is Frank Rosenblatt’s method, whose first form was the Perceptron in 1957. It is simply a matter of statistical induction, that is to say that we take a lot of data and make statistics out of it, which allows us to make things that are credible and I think that there is indeed something to think about and that in any case – let’s be a little serious – people who deal with cinema will not be able to, and already can’t, do without a reflection. We can estimate that in the sociological field the relationship to the image, such as it appears today, is already no longer in the type of reality that cinema spoke of. We see traces of this in conspiracy and its pareidolia. Do filmmakers question these images? These inductive images, which are not synthetic images, which are not images linked to a simulation of the physical world, because 3D simulation supposes a scientific understanding, 3D software is just physics applied to imaging. Here we are talking about statistics…
J P: But the way images work, there are two worlds in the making of video files: there is the “raw” world of the round, well-ordered, well-detailed image, and then there is another world of images that are mathematics, that are differential statistical analyses and where there are things in the image that are artificial and that are calculated but also predicted by statistical comparisons. That’s what compression is all about. So there is something in the very nature of the technical reality of images in their distribution that correlates with these functions.
G C: The devil has indeed been in their house for a long time! If we take the compression of which you are a specialist, the images are fakes. It works by comparison, the codecs are anticipatory machines. Here, we have moved on to another stage, that is to say that before these anticipations worked from a visual recording of light and that now they work directly with data, therefore with memories. What is very impressive in these images is their power of fictional evocation, very close to dreams and Surrealism. You have to see what these images are about, stylistically they look like William Turner, they flow, they are liquid. For me, all this is not by chance. They are like Turner’s The Slave Ship (1840), in the loss of the horizon, unstable, the world falls to pieces. Secondly, they speak of a world of metamorphosis between several heterogeneous categories and this world of metamorphosis is rather archaic.
J P: Yes, quite monstrous in a way.
G C: Yes, there is a monstrous, hybrid side. We return to mythology, something prior to what Western rationality has been, or more exactly, which has always remained lurking in its shadow. It is very strange, they have to do with the dream. But this question of the dream – or of the hallucination – has been somewhat left aside. These questions came back in 2015 through Deep Dream, from Google: we take an image and the machine sees more and more dogs and mollusks that it has in memory. Just like when we look at clouds and think we can see faces, the machine interprets the visual noise according to its memory. The result looks incredibly like a hallucination under LSD, a psychedelic image. These forms, this mixture between the human and the animal that people like Donna Haraway talk about. We find there something of the time. It’s not just technical, in my opinion, but something that refers to a new imaginary, therefore a new fiction, that we still have to invent. As you said, there are many films that have not been filmed, there are many films that could be filmed, hence the need to do something other than cinema. That’s the promise of the future for me. And I think that it is rather on these images that I want to work today. Images have their own regime. We don’t really decide, we discover them. You don’t say: I have an idea for an image, I’ll make it! An image is not a business plan, not a start-up. As you could discover in the differential of codecs between the images of things, it is true that in this statistical induction, I discover images that are already engaged in something that it is a question of following.
J P: And that has no end…
G C: And in the quantity, one falls on something a little new which is the media of media, pushed to the extreme. I had a regressive neural network view it – regressive networks do two things: they recognize very well and they generate very well -, so there it was the recognition, it was the monitoring. I passed Antonioni’s Blow up to a regressive neural network that described the images. It made the subtitles. I would take the sound off and leave the subtitles on. In the end, what was dizzying was that it told a story that was an alternative story to the “original” film. The question raised is that of alternative versions of reality, of the infinite multiplication of possibilities and interpretations which is a major political problem today. We can make films and we can automatically interpret them now in a thousand different ways. So why make films when they can be made in other ways. I think that when faced with the question of truth, alternative facts, conspiracy, there are two possible reactions: either we slam our fists on the table and say: “I know the truth! Stop raving”. Back to the authority of rationality, or we say: “Ok, you want to multiply reality! Let’s go, I’ll take you seriously! I’ll really multiply it! But on the other hand, the series will not be limited. And I think the people on the other side won’t want to. You have to be more delirious than them, more artistic and Nietzschean.
J P: Other images…
G C: Yes, if we make a genealogy, because we shared this genealogy together. We followed each other at a distance for years, taking different paths – I think we were looking for similar things. These other images began with our interest in virtual reality, that is, the possibility of immersing ourselves in worlds, a promise that has not been fulfilled until now. I think that after the Internet was a political field of exploration. You were also in the overproduction, in the quantity, I love you, it is still a beautiful big overproduction (laughs)! I also looked for quantity but more on the side of the already existing database, because I liked this memory of the anonymous, when you, you constitute them. After, you were more on the side of a work on the medium of the image.
J P: Yes, on the plane.
G C: Yes, and on my side, now, I go clearly towards the artificial imagination, that is to say the possibility that the machines have to produce realistic images and what that means in the history of the realism. Before, we could generate vector images with pixels, abstract images. Now, we can generate realistic images, and not just synthesize them. For me, the question of so-called industrial cinema is the question of realism, it fixed realism in the first part of the 20th century.
J P: And so there is a question of a new realism.
G C: Yes, I think so. There is moreover a whole generation of philosophers who work on ontological questions linked to materialism, to realism, like Quentin Meillassoux, Ray Brassier, Tristan Garcia and Eugène Thacker, and on the other side in the field of contemporary art, we see appearing something which is the production of a type of realist image whose procedure of production is different, and connects with one of the major events of the last 15 years which is the constitution of the big data by means of Internet, and a memory of the anonymous.
J P : In any case, the question of the human being in the production of the images, in the relation that we have to the world, it becomes a key point since in any case in the thought of the art, it was often question of the way in which the artist manages to hold the things in spite of the technique, how he manages to maintain his presence. Today, we have tools that are autonomous.
G C: I wonder if they are autonomous… I also wonder if the artist holds on, in the sense that he resists the technique. Perhaps precisely he does not resist it, and he is the only one to immerse himself in it, forgetting the function.
J P : Yes, autonomous, it is not the good word. They have a form of autonomy which makes that what you produce, it is perhaps what you wish to produce but it is not you who necessarily do it.
G C: I think that in art the question has never been only to want to produce something. The question of the “good fortune” of tyches (τύχη), of chance, is fundamental. The painter Apelles of Cos managed to reproduce the sea by throwing paint on the surface. So to create realism, the question of chance and letting go is fundamental. This can also be seen in Asia in the representation of landscape and a famous garden in Kyoto, the Ryoan-ji, on which I worked. It seems to me that machines are neither more nor less autonomous than we are. Everything that we refute in the machine, everything that poses a problem for us, the artificialization of emotion, thought, imagination, let’s try to transfer it to ourselves: are we really sure that we are endowed with intelligence and all these faculties? The media debate about the machine that would replace the artist, should allow us to ask the question: Are we sure to know today what an artist is? Shouldn’t we pass in a universe where things are in relation, where they communicate? An artist communicates with a technical system and a technical system communicates with an artist. It does not mean that they are similar. It doesn’t mean that the machine is endowed with consciousness. Is the human being? I don’t know. Two elements perhaps on the aesthetic debates on the technical autonomization of the image. Often, the question is approached within the cinema from the point of view of the drone warrior, or of video surveillance. These dimensions exist, but they are far from being the only ones. The second thing is the competition between the human being and the machine, which constitutes the fear of a replacement of the human being by the technique, a replacement that must be linked, in my opinion, with the not very healthy sociological context that is the idea of the “Great Replacement”, among racialists and identitarians. Now, in my opinion, the human being is structurally precarious, it is a beautiful thing that the malaise. You speak of the autonomy of machines, I won’t say that. What is very disturbing is that I feed the machines and the machines produce things that are a force of proposal that will provoke in me desires of stories. So there is a retroactive loop: cybernetics continues its ontological project of transforming the world.
J P: But there, you play the loop because in your approach, you are in that position, in the idea of using something for what it will give you. The difference is in your positioning, in the attitude which, for me, is fundamental of the relationship with the tools, that is to say to go around by the experimentation. Your work is important in the continuous experimentation of tools and methods, without ever asking them for anything other than what they give you.
G C: This is a real difference between visual artists and filmmakers, or certain filmmakers (I don’t want to generalize). Many filmmakers remain in an instrumental relationship with the medium, whereas visual artists have a different relationship to the world and to technique, which is more of a heuristic exploration. The industrial world is a world of arrest of the Earth, it is a brutal world. Cinema is violent in its production: it crushes human beings, it crushes destinies. How many filmmakers have never been able to make the film they dreamed of! And on the other side, I think that for many visual artists, there is the fact of not necessarily boarding the world. There are some who are in there (that’s obvious), but also to welcome the world as it happens. And thus to welcome the image such as it arrives because it arrives – it is certainly produced but it arrives to us – from where the fact that the visual artists were much interested in images that they had not produced. Quite simply, they were interested, from the beginning of modernity, with the paper collages of Braque and Picasso. This interest is much later in the cinema. There is a strategic difference there. What strikes me is that cinema, which remains something that has a certain aura and arouses a desire, perhaps lacks reflection on what we are becoming in the image of the world.
J P: Perhaps that is what is at stake today.
G C: Cinema is an industry and tries to preserve itself rather than trying to disappear into other images, to give itself death. The way in which, for example, cinema ingested 3D was not extraordinary! There were many other things to do! There was almost nothing! Except for a baroque side where there was too much to see for the human eye like in Star Wars, but that remains very anecdotal. Cinema is problematic because there is a real force of attraction, many people want to make cinema! I think that you have to hurt your desire to make cinema to start wanting to make images. I think that the desire of cinema when we talk about that, of course we can make films and that it is exciting, but I think that the desire of cinema, it is necessary to hurt it to begin to wonder what are the images today, because the images are outside of the cinema! The image would begin towards this lack and towards this outside.
J P: I think that there is a history of honesty in relation to the true foundation of desires, the separation between desire and fantasy.
G C: And the personal desire and the destiny of the time. It is not exactly the same thing. The cinema remains a formidable observation post of what we were in the last century and to understand a moment that we still have difficulty in metabolizing: the industrial revolution. We are still in that moment. What was tied up in the industrial revolution, as an acceleration of History, as an acceleration of the arrest of the Earth, and its pure and simple destruction, as a possibility of the extinction of the human species, how we told our lives, how we told the lives of the little people, that is also what cinema is, it is to tell the greatness of the anecdotal of the people. The device of the cinema, that we find everywhere in the world, is incredible: this room with seats, looking at nothingness, it is brilliant! What an installation! The only installation that has worked in the history of art is the cinema! It’s a magnificent 20th century observation post. Which makes it something rather nostalgic. Maybe it’s time to ask ourselves how, and what, we’re going to tell in the century that’s coming, in the century that’s here.
J P: I’m amazed to see so few images that cut through, where I’m like, “This I’ve never seen before!”
G C: It’s impressive the absence!
J P: I think to myself how is it possible that there are not more people who are agitated by this question.
G C: I’ll have a slightly different point of view than you. It depends where. I think that art is not very agitated by this because there is a kind of instinct of self-preservation, of academism. On the other hand, the social body is shaken by it, that is to say Youtube, Instagram… We have seen in the last 10 years the appearance of images like we had never seen before. There is a multiplication of image regimes, there are fragments of the world that appear that were not visible before. We have to get out of a form of egocentrism, where the figure of the artist would be centralized on his person and on his subjectivity, and observe what happens around and start to map it because it is really hallucinating! Concretely, I hardly go to the cinema anymore, I don’t watch TV for 20 years, I watch Youtube and these images that could not be broadcast anywhere else, that would not have their place on another support. There, there is a narrative of the world that is invented that is very different, that is also linked to small stories as shown in the cinema of the 20th century, but that is not only human – the omnipresence of animals on Youtube, we have not resolved this question: why so many animals on Youtube? Why are we so fascinated by them? The feel-good images that we knead, cut and repeat. What is this stuff? A non-genital sexuality… There is a world that opens up that seems exciting to me and that is not only about the image. In fact, I think I would be more on the side of fiction than you, I have the impression that it is something that I have abandoned less even on the side of writing, of text, of dialogue, of voice. So, if you like, these images interest me because they tell something, they tell a world that is the world, and they already tell it. It is an absolutely extraordinary observation post and I am struck by the extremely shifted side of the cinema compared to our time, its difficulty to speak about what we live. Hence the fact that in American cinema, there are many films that deal with the 70s and 80s, that is to say, when it was still possible to talk about a world without these images!
J P: Have you seen Natalie Bookchin’s latest films?
G C: No.
J P: She works on documentary forms but uses many devices to capture her images. In particular, she made a film about people in very precarious situations in the United States. She installed computers with cameras and autonomous stations that she then correlates together in image devices. These are films that she produces. But the way you perceive them, it’s no longer a univocal meaning or anything. There is a history of flow.
G C: It’s these things that are on the border of cinema, of installation. There are some interesting things going on. We’re talking about representation of the internet. Camille Henrot’s Grosse Fatigue (2013) shows what the creative process with the Internet is all about. So there are things that are on the border of cinema but maybe there is a desire for radicality as well. To twist the cinema a little to bring it back to today
J P: Yes, I think I see it too. The desire for cinema, which is shared by many, is very much linked to a history of stories in cinema and it is mostly human destinies. The echo of our society remains linked to the Renaissance. I see many things that remind me of the Renaissance. A period that has always fascinated me. There are many metaphorical things, great stories that are taken up.
G C: What was great about Godard’s Histoire(s) du cinéma (1988-1998) was this attempt, very inventive formally, to link the history of filmmakers, the history of a certain idea of cinema and the history of the 20th century. To see how all this was worked out. Indeed, there is a cinema of the cinema or a fantasy of the cinema, a room in the room, a brain in the brain or eyes in the eyes that would allow us to understand what the cinema has “done” to us. I think it is time to take stock of it! Cinema has “done” something to us as artists. It pushed us to imagine our lives in a certain way because that’s what it was about, through identification. Not so much about the work, because you rarely see people who work in film, you mostly see people who love each other. What did it “do” to us in relation to that? And what did it “do” to the image that is a love story? For me, very quickly, the cinema appeared as a dead end because of the economic device of production because it hardened the social relations of domination.
J P : When one is in a relationship to creation, whether it is you or me, where the question of gesture is fundamental, the autonomy of gesture, the speed of gesture, its economy in time, its economy of means, the question of production, it’s been 10 years since I wrote a file for a film. This question of autonomy is fundamental for me.
G C: It’s true that this question of autonomy is linked to the conditions of production and it’s true that filmmakers, in spite of everything, have been able to make things, I think of Cassavetes, his house with his actor friends, his wife, his films, etc. I think of the years in Grenoble, where he was able to make his own films. I think of Godard’s years in Grenoble in 74-78. And by the way, it’s no coincidence that Cassavetes started telling a story that had no end. When you watch A Woman Under the Influence (1974), the end of the story is the beginning, it continues. It’s “business as usual”! Cassavetes touches on this infinite existence because it is mortal, whereas strangely enough when a life is resolved, it becomes eternal. In the end, cinema resolves the lives of individuals to make them eternal because once the life is resolved, it is the Kingdom of God, it is Paradise. Whereas paradoxically, to tell a life that does not end, stories that do not end, is to promise finitude because we will die without having resolved anything.
J P: Otherwise, we have to solve it now and then wait.
G C: Yes, that’s it: to die and become eternal or to remain finite and not die, to wait for death. And so, very paradoxically, the infinity of stories is a way of perhaps touching more strongly the finitude of which we are woven. There is something very theological in cinema, linked to the resolution of problems, which bothers me and, moreover, that is why the theory of cinema is often a theology in which cinematheques are churches, filmmakers are apostles who have received a revelation. You know this environment very well. In film criticism, sometimes we are in a quasi-religious discourse, which Cahiers du cinéma was at one time the bearer of. And that, I think, is linked to the type of image production, “the Light” is there! If the light is disappearing today, it is because we have to look for images elsewhere than in the sharing of light and dark, in all our memories.
Interview conducted at the École Louis Lumière, Friday, February 1, 2019 – denied publication.