On technology criticism
Il y a une jouissance à la critique. Jouissance sans doute liée à une position extérieure pouvant délibérer sur ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, sur ce qui mérite d’être et de qui n’en a que l’apparence. Cette jouissance est encore accentuée lorsque la critique porte sur notre propre délimitation car, à la façon kantienne, on est extérieur à soi-même, on peut s’observer du dehors et se dédoubler, se donner à soi-même des recommandations.
Mais la critique ne cesse de mettre en scène ce dont elle débat. Tout particulièrement avec les technologies qui sont une surface privilégiée de ce désir discursif tant elles semblent être le produit et l’expression d’une intentionnalité à laquelle il s’agit de s’attaquer.
La critique aime se créer de grands ennemis et tenter de se hisser à cette hauteur infligée. C’est l’enthousiasme conjuratoire, tel que Jacques Derrida l’avait déployé dans Spectres de Marx : on conjure dans le double sens du terme, on ne veut pas que ça revienne et on désespère de l’arrivée de ce retour.
Il y a un genre théorico-littéraire de la critique technique. Il faudrait l’analyser plus avant, comprendre ses affects et ses ressorts, savoir ce qui l’a fait palpiter, ses présupposés cachés. À relire Virilio et Baudrillard, on sent la jouissance discursive de ceux qui posent face à eux un objet qu’ils expérimentent seulement en pensée. Ils le mettent en scène, c’est la zone des fantasmes du fait de la nature de la technique : une surface libidinale, un désir qui se reprend parce que quelqu’un l’a imaginé et qu’on peut l’imaginer à son tour, imaginer cette intentionnalité même. C’est la jouissance de l’instrumentalité.
Mais la critique, en mettant en scène ce qu’elle croit dénoncer, est tout à la fois effrayée et fascinée. Elle renforce son objet à mesure qu’elle se fragilise : elle veut devenir notre pasteur, nous guider hors de la domination et nous indiquer le chemin à suivre. Procédant ainsi, sans le savoir, elle reproduit à l’identique la structure fondamentale de la pensée instrumentale qu’elle croit dénoncer et dont elle prétend sortir. Elle est encore une expression de la volonté de puissance. En énonçant, elle croit agir.
Dans Rudiments Paiens, Lyotard s’amuse de cette vulgarité irrémédiable de la pensée critique, de ce métadiscours englué. Il place face à elle, ou à côté, une autre pensée, plus artiste qui consiste à expérimenter parce que l’expérimentation part du principe que la technique est un simulacre (un simulacre de fonction) et elle met de côté la domination, son expression, pour essayer autre chose, montrer déjà, avant toute chose, avant tout discours, qu’il y a de l’altérité, que ce qu’on croyait critiquer on le poursuivait, alors qu’il suffisait de l’expérimenter.
There’s a pleasure in criticism. An enjoyment undoubtedly linked to an external position that can deliberate on what is right and what is wrong, on what deserves to be and what only appears to be. This enjoyment is further accentuated when the critique concerns our own delimitation, because, in the Kantian way, we are external to ourselves, we can observe ourselves from the outside and duplicate ourselves, giving ourselves recommendations.
But criticism never ceases to stage what it debates. Particularly with technologies, which are a privileged surface for this discursive desire, so much so do they seem to be the product and expression of an intentionality that must be attacked.
Critics love to create great enemies and try to rise to this inflicted height. It’s conjuratory enthusiasm, as Jacques Derrida deployed it in Spectres de Marx: we conjure in the double sense of the term, we don’t want it to come back and we despair of its arrival.
There’s a theoretical-literary genre of technical criticism. We need to analyze it further, to understand its affects and motivations, to know what makes it tick, its hidden presuppositions. Rereading Virilio and Baudrillard, one senses the discursive enjoyment of those who place before them an object they experience only in thought. It’s a libidinal surface, a desire that is taken up again because someone has imagined it, and we can in turn imagine it, imagine this very intentionality. This is the enjoyment of instrumentality.
But criticism, by staging what it believes it denounces, is both frightened and fascinated. It strengthens its object as it weakens itself: it wants to become our shepherd, guiding us out of domination and showing us the path to follow. In so doing, without realizing it, it reproduces identically the fundamental structure of instrumental thought that it believes it is denouncing and from which it claims to be emerging. It is yet another expression of the will to power. By enunciating, it believes it is acting.
In Rudiments Paiens, Lyotard pokes fun at the irredeemable vulgarity of critical thought, at its mired metadiscourse. Experimentation starts from the principle that technology is a simulacrum (a simulacrum of function), and it sets aside domination, its expression, to try something else, to show already, before anything else, before any discourse, that there is otherness, that what we thought we were criticizing we were pursuing, when all we had to do was experiment with it.