Les formes de l’histoire

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“Etre à la hauteur de son époque, qu’est-ce que cela pouvait être ?”

Certains artistes produisent des objets non parce qu’ils ont quelque chose à exprimer, quelque chose qui viendrait de l’intérieur, une puissance, qui devrait se propulser à l’extérieur, l’acte (classique et moderne), mais parce qu’ils sont entourés d’un certain sentiment historique et semblent flotter dans cette atmosphère indéterminée. Les objets artistiques sont sensibles non plus au sens de la représentation d’une sensibilité humaine, mais au sens de supports matériels sur lesquels s’inscrivent le dehors. Ils sont sensibles au monde et en sont en quelque sorte les sismographes.

Il est difficile d’expliquer ce sentiment historique qui détermine la perception d’autres objets et la production de nos objets, parce qu’il ne s’agit nullement d’une connaissance comparable à celle de l’historien. L’artiste a une connaissance limitée de l’histoire de l’art parce qu’il s’autolimite. Il choisit en effet ses filiations et ses pères, il s’invente une famille au travers des siècles selon ses propres intuitions et ses propres enjeux. Il vise quelque chose qui n’est pas encore et qui pourtant lui semble en réserve. En voyant une forme, une couleur, une ligne, on sait, on sent sa charge historique.

Ces artistes ont un sentiment historique. Ils voient certaines oeuvres et savent que ce n’est pas cela. “Pas cela”? Il ne faut pas entendre là une nécessité historique qui autoriserait certaines formes, ou qui les rendraient nécessaires, et anecdoctiques d’autres. On risquerait bien d’avoir un discours d’autorité, maniant l’histoire pour justifier une pratique individuelle, alors même qu’on peut, qu’on doit percevoir l’anecdotique dans sa propre production et la nécessité dans des productions hétérogènes aux nôtres. Les objets artistiques sont fait d’incertitude, non de nécessité, et leur histoire est à rebours. Il y a des anachronismes et quelque chose d’intempestif, des retours qui ne sont ni en arrière ni en avant. Le temps de l’art n’est pas chronologique, il n’est pas celui de l’innovation. Et pourtant, sans doute ces artistes ont-ils l’arrogance de se savoir, de se croire voyants, de sentir physiquement ce moment présent, coincé entre le passé d’une tradition toujours actuelle, et d’un futur anticipée qui charrie des utopies vaincues et des espoirs abandonnés. Le temps se renverse : le passé est à venir, le futur est dépassé, les technologies sont aussi anciennes que le monde.

Ce sont ces mouvements de transformation et d’inversion subtiles qui permettent d’avoir une sensibilité historique aux Formes, cette sensibilité qui rend hors de propos l’expression d’une sensibilité subjective sur une matière objective. L’arrogance de cette perception historique doit être pardonnée tant elle est fragile, tant elle rend indistincte l’assurance du discours et son doute vibratoire : ceci peut arriver ou non. L’histoire n’est plus nécessaire parce qu’on sent bien qu’il faut agir, produire une Forme, pour qu’elle advienne enfin, pour qu’elle advienne toujours. Cette histoire n’a pas de nom et est encore une réserve de possibles intensifs. Les Formes sont contingentes.