L’émotion de la machine
Ada Lovelace est une figure mythique dans le milieu de la programmation informatique, tant elle rattrape la domination masculine propre à ce domaine. Sans doute est-elle la première personne à avoir tirée les conséquences des machines automatisant le calcul dépassant le simple cadre des mathématiques.
Il faut s’imaginer au XIXème siècle les fils entrecroisés entre les sciences et l’occulte, la raison et l’obscurité du désir. Sans doute peut-on retracer, au coeur de ce passionnant siècle qui marqua le début du phénomène si complexe qu’est l’industrialisation, la relation entre l’émotion et la machine. Le père d’Ada est Lord Byron, un père oublié qui laissa cette fille marquée par sa mère mathématicienne. Byron est sans doute la figure majeure du romantisme anglais et d’un certain agencement des affects sur lequel il ne cessa de s’expliquer. Ce père donc fut absent, Ada imagina le première algorithme.
Imaginons, Ada a 27 ans à peine, elle traduit la description de la machine analytique de Babbage, et elle ajoute en note cette incroyable idée que la manipulation des signes mathématiques permettraient avec des règles appropriées d’exprimer des signes en général. Cette idée absurde à son époque même s’il reprend le fantasme cartésien d’une mathesis universalis, est le monde dans lequel nous vivons effectivement, c’est ce passage entre les signes mathématiques et les signes généraux qui défini le coeur même du “numérique”, cette traduction de toutes choses en éléments binaires. Cette traduction asémantique se place sans doute comme la continuation du destin occidental et en particulier de la manière dont tous les étants sont considérés comme une source potentielle d’énergie et sont donc soumis à la même valeur.
C’est cette généralisation de la conception énergétique, dont les fondements conceptuels sont à rechercher dans l’energia aristotélicienne, qui va justement produire l’industrialisation. Celle-ci n’est pas simplement un phénomène instrumental et technique, elle est aussi une conception ontologique de la disponibilité de toutes choses et une certaine appréciation métapsychologique de l’être humain (en tant que pression et dépression). Elle envahit l’ensemble de ce qui est.
Pensons donc à Ada alors qu’elle imagine ce passage des signes vers d’autre signes grâce au formalisme. N’y aurait-il pas dans le nom du père, dans cette puissance émotive de ce romantisme fort particulier de Byron, le passage entre l’émotion et la machine, passage qui réglerait de part en part celui formel entre les signes mathémathiques et les signes langagiers ? Je ne veux pas dire par là que Byron serait la source de ce passage, mais que le nom du père pour Ada ne fut pas sans conséquence. Et si, dès ce moment, aussi imaginaire et hypothétique soit-il, il y avait eu cet entrelacement entre les composantes anthropologiques, logiques et technologiques, qui règle aujourd’hui pour une part encore impensée notre être-au-monde.