La fragilités des mashups

L’exposition à Oboro souligne la fragilité structurelle de mon travail. En alimentant celui-ci en temps réel par des données glânées sur Internet, il en devient radicalement dépendant. Il suffit en effet que la source d’informations disparaisse ou change simplement de structure pour que mes oeuvres ne fonctionnent plus. Que faudrait-il faire? Créer des routines d’observation m’alertant de tels changements et m’obligeant manuellement à réadapter mon code? Mais en y réfléchissant bien cette posture présuppose que l’oeuvre doit faire oeuvre et être conservée, elle est fondée sur l’idée que la stabilité est préférable au devenir et à la disparition, l’éternité à la finitude, un art des vestiges durables (on pourrait appliquer la critique que François Roche fait de l’architecture aux oeuvres d’art). De plus, sa limite extrême est ma propre disparition, quand plus personne ne pourra réadapter le code. Il me semble dès lors que l’esthétique des mashups vient finalement affecter le caractère structural de la conservation des oeuvres d’art, c’est-à-dire ses présupposés. Sa dépendance à un langage exogène doit être affirmée, parce qu’elle constitue un changement et un prolongement de problématiques artistiques depuis les papiers collés, le collage, le readymade et le popart. Elle matérialise et intensifie la relation de l’oeuvre d’art au monde, parce que cette relation n’est plus seulement une inspiration (popart), une recontextualisation (readymade) ou un détournement, elle n’est plus seulement à l’origine du processus, la relation devient un processus continu: l’oeuvre ne cesse d’aller chercher des données.

C’est pour cette raison que le temps réel de mes mashups n’est pas simplement une question d’ordre technique. Certains estiment que cela ne changerait pas beaucoup les choses si les données étaient simplement préenregistrées, selon l’argument que ce ne serait pas sensible pour le public. Mais c’est limiter la sensibilité à un contact ignorant de la structure, c’est supposer une immanence de la perception et pour tout dire une décontextualisation. Or, la perception est toujours en contexte, et ce dernier peut être le code. En ce sens, les mashups sont une nouvelle forme de réalisme nous exposant à la fragilité, à la dépendance de notre perception quant aux flux qui nous traversent. Mes travaux sont donc temporaires, quelques traces resteront qui permettront peut être d’imaginer, de proche en proche, ce qu’a été mon époque.