La fossilisation technique

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La fossilisation est un processus lent d’enfouissement minéral. Une forme quelconque est prise dans une matière, laisse une empreinte qui s’enfonce progressivement sous terre. Elle devient une matière minérale et regresse dans la formation planétaire.

En anticipant la fossilisation de notre présent, on peut être assuré que ce dernier laissera un nombre conséquent de fossiles techniques et si on replace ce mouvement entre un commencement et une fin, on aperçoit comment ces techniques ont été formées à partir de l’extraction terrestre que ce soit pour former leur matière métallique (mine) ou plastique (extraction), ou pour les faire fonctionner en utlisant une énergie qui est le fruit d’une transformation à partir d’une matière première terrestre. Il y aurait là à développer le sens profond de l’énergie (energia) comme convertabilité de toutes choses selon l’ordre d’un usage. Avec l’extraction et la transformation énergétique, la matière de base (le charbon, le pétrole, la rivière) perd sa singularité et devient utilisable pour autre chose, par exemple pour mouvoir une voiture.

La fossilisation n’est donc pas seulement quelque chose qui arrivera à la technique, elle en est la provenance. La technique est dans sa formation et dans son alimentation minérale, et elle y revient dans son arrêt, son obsolescence, son abandon et son enfouissement. À y regarder de plus près, la technique a un lien matériel avec la terre. Elle en vient et elle y reviendra. Tout se passe comme si elle en avait été extraite, puis transformée pour répondre à une fonction, abandonnée pour enfin y revenir. C’est peut-être pour cette raison que l’on ne peut considérer la technique seulement d’un point de vue anthropologique, son usage n’est qu’un moment de son histoire, mais son histoire plonge des racines antérieures à sa mobilisation par l’être humain et elle continera après la disparition de l’espèce humaine. C’est aussi pour cette raison que la technique questionne une ontologie qui ne se réduit pas à la corrélation d’un sujet et d’un objet. Elle entretient étrangement des liens profonds avec la relation conflictuelle entre la terre et le monde comme l’avait envisagé Heidegger.

La question de la fossilisation n’est pas un processus qui arrive accidentellement à la technique, elle en est le devenir profond sur des échelles de temps que nous avons encore du mal à considérer et à intégrer dans notre conception quotidienne. La fossilisation est exactement ce que je recherchais depuis des années en abordant la dislocation. La dislocation des murs en déconnectant ceux-ci de leur géométrie (Dislocation I), la dislocation d’objets usuels comme des chaises en détendant leur temporalité sur des échelles de plusieurs minutes comme si la brutalité de la destruction pouvait s’effacer au profit de la disjonction entre la matière et la forme (Dislocation II). En fossilisant, on disloque dans le sens ou on modifie la localité des relations hylémorphiques, et en transformant ainsi le couple forme-matière, on envisage une ontologie dont l’être humain n’est plus le centre et l’échelle de valeur absolue. La technique est une involution de la terre, un moment et un passage comme si des formes s’extirpaient pendant une brève durée de l’écorce terrestre, flottaient un moment sur sa surface puis retombaient au sol et au fil des millénaires étaient aspirées par la terre. Et peut être est-ce pour cettte raison que le problème de la pollution est souvent mal posé. La pollution n’affecte pas la terre en tant que terre, la terre est solitaire, elle affecte le monde au sens d’une surface peuplée, habitée, sensibilisée par des vivants. Ce que la pollution met en danger d’extinction ce sont les espèces vivantes, mais elle n’a pas la capacité de disloquer la terre, de transformer sa configuration minérale ou son orbite cosmique. Il faut savoir distinguer les changements d’échelle qui sont autant de fils à démêler.