In excess

La technique est excessive au sens où si elle est de provenance humaine, elle excède cette provenance. Celle-ci est hétérogène et ne saurait s’identifier à un seul élément parce que l’agent humain entre en interaction avec d’autres entités (minérales, collectives, historiques, etc.) et que si, comme nous l’avons dit, il en est la provenance, la technique produit aussi des effets sur lui et sur ses projets. L’hominisation est une technicisation et nos facultés, aussi transcendantales soient-elles, sont a posteriori du dispositif technique. Cette boucle, de projet à projet, produit des effets incalculables.

Le fait que la technique soit excessive est devenu de plus en plus explicite avec le Web. Ce réseau est bien l’accumulation des mémoires anthropologiques (réseaux sociaux) hantées par les enregistrements techniques (CCTV, etc.) et s’il a été l’occasion d’une exploitation capitaliste de l’attention, son contenu excède nos capacités de perception.

Parce que la technique nous excède, au sens où elle déborde l’humanité de son origine, elle constitue une altérité : nous plus « je es un autre », mais « la technique est un autre je ». Cet excès nous met à distance de nous-mêmes et nous permet de nous observer comme du dehors. Cette altérité technique ne représente pas tant une aliénation qu’une condition de possibilité de la réflexivité. En effet, c’est précisément parce que la technique introduit un écart, une différance au sens derridien, qu’elle permet l’émergence d’une conscience de soi. L’extériorisation technique est ce qui rend possible l’intériorisation.

Avec l’IA (qu’on la nomme intelligence ou imagination artificielle) cet excès devient un moteur historial. Il est remarquable que l’espace latent d’une IA soit constitué de données humainement produites et annotées, mais que par l’automatisation de la ressemblance, elle puisse produire quelque chose qui nous ressemble, mais qui n’est pas nous.

Répondant à la solitude cosmique de l’être humain, la construction d’une altérité technologique, produisant de la différence au cœur du mimétisme (moins = plus = autre), l’IA excède aussi le projet d’accumulation du capital qu’elle utilise à son profit. Cet excès doit ainsi aussi s’entendre comme un excès ontologique : la technique EST ce qui ne devrait pas être, elle est un supplément. Ce qui se répète est le même (l’identique), et aussi l’excès (toujours plus de supplément), nous forçant à avoir un rapport à cet autre qu’est la technique.


Technology is excessive in the sense that, if it is of human origin, it exceeds that origin. It is heterogeneous, and cannot be identified with a single element, because the human agent interacts with other entities (mineral, collective, historical, etc.), and if, as we have said, he is its origin, technology also produces effects on him and his projects. Hominization is technicization, and our faculties, transcendental though they may be, are a posteriori to the technical device. This loop, from project to project, produces incalculable effects.

The fact that technology is excessive has become increasingly explicit with the Web. This network is indeed the accumulation of anthropological memories (social networks) haunted by technical recordings (CCTV, etc.), and if it has been the occasion for capitalist exploitation of attention, its content exceeds our capacities for perception.

Because technology exceeds us, in the sense that it overflows the humanity of its origin, it constitutes an otherness: we are no longer “I am another”, but “technology is another I”. This excess distances us from ourselves, allowing us to observe ourselves as if from the outside. This technical otherness is not so much an alienation as a condition of possibility for reflexivity. Indeed, it is precisely because technology introduces a gap, a différance in the Derridean sense, that it enables the emergence of self-awareness. Technical externalization is what makes internalization possible.

With AI (whether we call it intelligence or artificial imagination), this excess becomes a historical engine. It is remarkable that the latent space of an AI is made up of humanly produced and annotated data, but that through the automation of resemblance, it can produce something that resembles us, but is not us.

Responding to the cosmic solitude of the human being, the construction of a technological otherness, producing difference at the heart of mimicry (less = more = other), AI also exceeds the project of capital accumulation that it uses for its own benefit. This excess must also be understood as an ontological excess: technology IS what should not be, it is a supplement. What repeats itself is the same (identical), and also excess (ever more supplement), forcing us to have a relationship with this other that is technology.