Remember net art?
Si aujourd’hui le net art semble un genre bien défini qui a donné lieu à une seconde génération réinventant son image et le déplaçant hors de l’écran, il ne doit pas être considéré comme une période historique déterminée mais comme un récit mythologique qui a inventé un passé qui n’existait pas. Ce caractère mythique n’implique par l’illégitimité de ce concept, il suppose simplement de savoir suivre le temps à rebours d’une telle construction et d’en tirer l’explication du caractère nostalgique et vintage de certaines pratiques actuelles.
Ce fut l’enjeu des net.art classics que de clôre une histoire pour l’inventer: en annonçant la mort du net art, on clôturait une histoire et on en maîtrisait alors le récit. La fin de l’histoire laisse l’histoire derrière nous comme un ensemble aux contours définis. L’intelligence de ce hold-up fut relayée par la plupart des historiens de l’art qui furent sans doute heureux de retrouver un récit greenbergien de l’autonomie du médium et pour ainsi dire un récit appartenant à la modernité avec son avant-garde, sa résistance et son auto-sabordage. Les net.art classics reprenaient tous les clichés d’une histoire de l’art naïve de la modernité et de la contemporanéité.
La simplicité conceptuelle de cette construction historique est troublée par les multiplicités, car le net art ne fut pas le fait d’un petit groupe de l’est de l’Europe. Dès 1994, de nombreux artistes firent des dispositifs Internet. La plupart n’en firent pas une spécialité, mais pour certains l’activité devint moins artistique qu’elle ne consista à construire de façon stratégique un récit mythologique en devenant historien et acteur principal de l’histoire racontée. Il s’agissait de s’accorder une valeur dans l’histoire de l’art en prouvant qu’on était le premier (le pionnier), en calquant ainsi le rythme de l’art sur celui d’une chronologie de l’innovation. Quel meilleur outil que la fin de l’histoire pour devenir soi-même une origine?
S’il faut reconnaître la ruse d’une telle stratégie, on ne peut qu’être attristé par son manque d’humour et par le désir d’appropriation de territoires qu’elle signe. Elle a aussi pour intéressante conséquence la production d’un style formel homogène (low tech, glitch, code, etc.) qu’il est facile de copier et de recycler. L’absence de résistance de ce style, son incapacité à rester singulier est un symptôme non seulement de notre époque post-pop mais aussi du positionnement de certaines pratiques. Le net art ainsi raconté et inventé est devenu un académisme, et l’a sans doute toujours été, par son désir immodéré de chercher une reconnaissance que la plupart des oeuvres ne méritaient peut-être pas.
Sans doute ce que nous nommons histoire est la construction d’une mythologie qui passe à côté des multiplicités bruyantes que l’on ne peut arraisonner par les concepts. Il ne s’agit pas de revendiquer une autre vérité de l’histoire, qui reproduirait à l’identique une autorité s’imposant hégémoniquement, mais de mettre à distance et de déconstruire ces stratégies.
ps : le titre a été inspiré d’un post d’Emilie Gervais le 17 décembre à 17:44.