À contre temps II
Je voudrais parler de ce bref moment que fut Internet. Cette brièveté peut sembler paradoxale alors même que le réseau a envahi nos existences et a d’une certaine façon gagné la partie.
Cette brièveté sans référence à une victoire, à une hégémonie, à une domination mais à une éclosion, au moment bref, presque insensible, à peine un clin d’oeil, qui a vu Internet apparaître.
Je suis toujours amusé de voir certains revendiquer le titre de pionnier, comme si l’antériorité pouvait caractériser une qualité artistique. Mais être le premier cela signifie-t-il avoir fait une oeuvre? Et dans cette obsession de la priorité, du temps d’avant, du temps premier, les artistes ne copient pas la temporalité de l’innovation technologique?
Je voudrais parler de ce moment, de cet instant bref, qui n’a peut-être jamais existé. Qu’est-ce qu’a représenté pour ma génération Internet? Qu’est-ce que le réseau à faire l’art? Et même si on voit son influence tous les jours sur l’ensemble du monde de l’art contemporains, cette origine fulgurante reste secrète, muette.
Comment expliquer notre intérêt pour ce qu’on n’ose nommer les collectifs, ces regroupements temporaires d’individualités sur le réseau? Comment comprendre notre manque d’intérêt pour les manifestes, pour les formules idéologiques, alors même que quelques années plus tard Internet fut, est le lieu d’un des plus grands dogmatismes contemporains : le logiciel libre, l’accès libre, le droit à l’oubli numérique.
Qu’avons-nous trouvé par Internet? Et ceci que nous avons trouvé a-t-il trouvé un lieu dans la victoire sociale du réseau? Rien n’est moins sûr. Nous étions des observateurs, nulle utopie, aucune déclaration sur l’avenir, sur ce que cela devait être, aucun droit, aucune justice, aucun programme. Ce qui aujourd’hui sont les guerriers Internet sont ceux-là mêmes qui mettent à mort ce moment, cet instant fugace, disparu, qui n’a sans doute jamais existé et dans lequel nous avons habité quelques instants.