Ce qui circule
Des millions d’images circulent sur le réseau. Leur origine n’est que rarement identifié, parfois cette origine fait retour par le juridique sans prévénir alors même qu’elle a été oublié depuis longtemps. Ces images circulent de proche en proche, de loin en loin. Elles passent d’un ordinateur à un autre, d’un serveur à un client, client qui devient serveur à son tour pour un autre client. Elles se déplacent, passent d’un lieu géographique à un autre. Voici leurs histoires. Elles sont non seulement reproduites, mais on oublie où elles sont localisées, perdues parfois sur un disque dur remisé. Elles continuent de circuler. On peut les modifier, les couper, les incruster, les transformer, faire de ces images l’origine d’autres images, renaissance de l’image, renaissance perpétuelle, les associer à un autre document, à un autre média, illustrer un texte avec, faire un fondu dans une vidéo. Ce n’est plus la reproductibilité, c’est bien autre chose cette histoire de banque d’images, de flickr, de toutes ces images accumulées qui nous racontent, que nous le voulions ou non, toutes ces vies.
Dans cette gigantesque circulation, il y a de l’infra-mince. Une image qui touche une autre image, un montage. Une image qui devient une autre image. Mais l’identité d’une image n’est plus assurée, nous ne savons plus ce que c’est qu’une image, je veux dire une image particulière, identifiée, puisqu’elle ne cesse de circuler. Alors bien sûr chacune garde certaines propriétés, certains traits, certaines ressemblances, mais comprenons bien qu’il y a là une nouvelle relation à l’informe, l’informe même du réseau, mélasse visuelle qui coule le long de nos organes, de nos corps, de nos sensibilités, de nos perceptions. Il y a autre chose que chaque image, il y a ce flux visuel, quelque chose qui circule d’une image à une autre, qui lie, délie une image à une autre, qui fait que la connexion se fait ou la déliaison. Nommons ce flux imagination si vous le voulez bien. Ce n’est pas un principe structurant le passage d’une image à une autre, une espèce d’autorité supérieure qui viendrait organiser ce chaos. C’est quelque chose qui circule avec les images, comme leur en-tête génétique variant d’un individu à un autre, d’une imagination à une autre.
Pensons alors l’imagination comme un élément qui concerne l’image mais aussi, mais en même temps, toujours différent, la perception et pensons comment la circulation des images dont nous parlons se joint à la circulation du sensible, comment certaines structures de l’image (copiée, volée, transformée, inspirée) est proche, toute proche des structures de l’imaginaire, de cette circulation du sensible qui nous structure de part en part.