Qu’est-ce que la visualisation des données?

Les données, comprises comme un ensemble de signes traduits sur un support à accès non-linéaire, sont une nouvelle catégorie de phénomènes dans notre quotidienneté. Modifiant profondément notre accès et notre conception du monde, notre façon même d’agir dessus, nous cherchons des moyens de les représenter. Nous sommes entourés de données mais elles restent la plupart du temps illisibles même si nous les manipulons et les utilisons dans l’ensemble de nos activités de travail et de loisirs.

Si nous ne sommes qu’au balbutiement de ce nouveau mode de représentation, il faut en remarquer l’originalité. Qu’est-ce donc que ces images? Sont-elles abstraction ou figuration? Comment entendre la différence qui pourrait séparer la visualisation de la représentation dans son sens classique? La visualisation des données a pour objectif de rendre sensible, en un clin d’oeil, un grand stock de données et donc de transformer ces unités discrètes en une perception qui tend vers la plus grande continuité possible. Le flux turbulent des données binaires est traduit en aplats, formes, lignes et flèches afin de rendre compte, non pas de chaque unité mais des mouvements de différence entre elles. La visualisation des données est donc différentielle. À cette fin, la visualisation des données ajoute des données aux données, car elle en est elle-même constituée.

Elle se fonde sur une approche géométrique, points et vecteurs assemblés en lignes. Il y aurait là à s’interroger sur cette (seconde) origine de la géométrie et sur la façon dont cette dernière est utilisée pour rendre compte d’un référent externe (les données visualisées) que l’on efface dans sa discrétion (dans sa multiplicité) et qui dans cet effacement même devient enfin lisible. Les données sont rarement lisibles comme telles, et si on remonte à leur originarité binaire, le code machine, alors elles deviennent des signes asignifiants défilant à une telle vitesse que nul oeil ne peut les décrypter. Les données signent l’externalisation de certains processus de lecture vers les machines (Stiegler). Le code machine comme première écriture inhumaine? Il faut donc, dans la visualisation, passer par l’effacement pour rendre lisible et sensible. Il faut oublier, dissimuler, effacer le référent parce que celui-ci est un langage et une vitesse de traitement qui dépassent les facultés perceptives de l’être humain. C’est l’informatique en son entier qui est basée sur ce principe d’inacessibilité esthétique : c’est parce que l’ordinateur sait coder, encoder et décoder des signes si discrets qu’ils perdent tout sens (principe d’équivalence généralisée de la numérisation) et qu’il le fait si rapidement, qu’il nous apporte des fonctions que l’être humain ne peut pas réaliser. La visualisation des données est le symptôme esthétique de ce monde en train de naître autour de nous, par nous et qui dépasse nos capacités, ce monde des données, ce flux interrompu qu’aucun oeil humain ne sait plus lire mais que les machines interconnectées les unes aux autres encodent et décodent, traduisent et transduisent, font circuler comme l’écho même d’une vague qui ne cesse de revenir.

http://www.visualcomplexity.com

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« Lev Manovich » Blog Archive » new article “What is Visualization?” » [En ligne]. . Disponible sur : URL < http://manovich.net/2010/10/25/new-article-what-is-visualization/ > [consulté le 8 novembre 2010].
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