La ville générative et la question de l’urbanisation

L’obsession pour la simulation informatique de la dislocation, qui transparaît depuis plusieurs années dans ma pratique artistique, trouve ses racines dans diverses sources, à la fois personnelles et conceptuelles. Cette fascination semble d’abord ancrée dans un sentiment profond et ancien qu’une époque touche à sa fin – intuition qui remonte à l’adolescence, nourrie par des lectures formatives comme “Le Monde d’Hier” de Stefan Zweig et les écrits de Marc Bloch. Ces œuvres, témoignant de mondes en désagrégation, ont sans doute imprimé dans ma sensibilité une attention particulière aux processus de dissolution et de fragmentation.

Mais au-delà de cette dimension psychologique ou historique, c’est au cœur même de ma démarche créative que réside la véritable signification de cette obsession. La simulation numérique de la destruction révèle un rapport très spécifique à la création artistique, qui bouleverse la relation traditionnelle entre l’artiste et son œuvre.

Lorsqu’on simule une destruction dans un logiciel comme Maya, en utilisant par exemple le “Blast Code”, on initie un processus dont le résultat demeure fondamentalement inanticipable. Les objets se fragmentent selon des paramètres que l’on a certes définis, mais leurs interactions complexes génèrent des configurations que nul ne pourrait prédire avec exactitude. Cette situation contraste radicalement avec celle du peintre qui, même lorsqu’il cherche à défier sa propre maîtrise, pose néanmoins sa touche à un endroit relativement déterminé.

Dans ce contexte de simulation, l’artiste n’est plus simplement créateur mais devient également spectateur de sa propre création. Il observe le flux de la désintégration simulée plus qu’il ne la maîtrise intégralement. Son rôle consiste alors principalement à effectuer une coupe dans ce flux, à faire un choix discriminant, à décider que telle image – qu’il a partiellement créée en lançant la simulation et en définissant certaines variables, mais dont il est aussi partiellement l’observateur – mérite d’être préservée, capturée.

Cette notion de capture apparaît comme le concept-clé permettant de comprendre cette pratique artistique. Dans les flux informatiques, capturer signifie suspendre, décoder, extraire un élément du continuum. La capture est à l’informatique ce que le montage était au cinéma : un acte de sélection et d’interruption qui transforme un processus temporel en une configuration significative.

Cette esthétique de la capture révèle une transformation profonde de notre rapport à l’image et à la création. L’artiste n’est plus celui qui impose une forme à une matière passive, mais celui qui sait reconnaître, dans un processus en grande partie autonome, le moment fertile, l’instant significatif. Son expertise consiste moins à façonner qu’à discerner, moins à contrôler qu’à sélectionner.

La simulation de la dislocation, avec ce qu’elle implique de perte de contrôle et de découverte, devient ainsi emblématique d’une sensibilité contemporaine marquée par l’ambivalence : nous créons des systèmes dont nous ne maîtrisons pas entièrement les effets, et notre créativité réside désormais autant dans notre capacité à reconnaître la beauté de l’inattendu que dans notre aptitude à produire des formes déterminées.

Cette pratique traduit peut-être, au-delà de sa dimension esthétique, une intuition philosophique fondamentale sur notre époque : celle où la destruction n’est plus simplement le négatif de la création, mais devient elle-même un processus générant ses propres formes, ses propres beautés, ses propres vérités. Un monde où la dislocation n’est pas seulement fin mais aussi commencement, pas uniquement perte mais également révélation. Un monde où peut être la guerre, l’extinction, la disparition reviennent et nous hante.

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