Technontologique

Définir la  tekhnè est une entreprise difficile parce que son statut évolue au cours du temps et qu’il faut reconstituer cette évolution selon une certaine logique, une historialité, tout en se préservant d’une analyse trop systématique qui occulterait d’avance les singularités et les événements.

Mon hypothèse de départ est que la tekhnè est et n’est pas humaine, que son caractère anthropologique n’est qu’une partie du problème et que son individuation ne peut être comprise qu’au regard de sa dynamique interne et de sa dynamique relationnelle. L’individuation technique, telle que Simondon l’a élaboré, est une méthodologie permettant d’approcher la technique dans son mode propre.

Pour analyser l’historicité de la tekhnè , je propose plusieurs périodes ou polarités, dans la mesure ou elles se superposent souvent, coexistent et ne sont pas chronologiques : la tekhnè dans l’antiquité comme séparation initiale entre savoir mathématique et savoir-faire, la technique dans sa modernité comme savoir de l’ingénieur pouvant utiliser les mathématiques pour répondre à un usage, les technologies dans sa postmodernité (même si le mot est problématique) comme technique langagière, machine à traduire et à transduire des signes binaires dépourvus de sens, et enfin, dans sa contemparéinité le technontologique, c’est-à-dire la tekhnè comme productrice d’être.

Ce caractère technontologique a toujours existé puisque les techniques sont des productions matérielles, c’est le sens de τέχνη, toutefois ce n’est que tardivement que ce caractère s’est généralisé et s’est infiltré dans les différentes sphères de la société, allant jusqu’à modifier notre épistémologie qui de contemplative devient, selon une lente évolution, configuratrice (sciences expérimentales), performative puis productive. On passe ainsi insensiblement de la nécessité qui intègre la contingence à une contingence devenant la seule nécessité puisque le technontologique est producteur d’ontologie sans qu’on puisse remplacer la nécessité divine par la nécessité de la volonté anthropologique puisque le technontologique est un processus interne et relationnel. L’exemple le plus frappant est sans doute la découverte du code génétique et la capacité de recombinaison-création que ce code autorise, dévoilant par là même moins son statut de découverte d’une chose en soi que d’invention d’une chose constituée. Ce qui est produit devient alors à son tour un objet analysable, ce qui met en place une boucle entre production technique et ontologie.

Savoir comment le technontologique prend le pouvoir au cours du temps reste une tâche à entreprendre. Il faudrait à cette fin détecter dans le discours technicien les traces d’une volonté ontologique d’un genre particulier : l’ontopoésis, c’est-à-dire l’ontologie comme création qui analyse ce qui est pour le faire et le refaire ou le défaire. On peut en trouver des traces nombreuses par exemple dans l’idéologie de la réalité virtuelle ou dans le projet économique de Google.