La séparation dépourvue de sens

Ce fut un moment, des mots et quelques gestes, une accumulation et un point culminant dans lequel tout bascule, tout remonte et se décide. Des objets qui sont partis aussi, la traîne d’un corps et la mémoire, des caresses, le frôlement et la peau, le souffle croisé. Rien de plus.

Une séparation.

La signification s’effondre petit à petit et puis il y a un point de rupture, tout s’effondre et ça ne devrait pas. Ceci ne concerne qu’une personne, l’amour sans doute mais qu’une personne et c’est la vie qui se retire, le monde, tout, cette incomplétude qui nous déborde.

Par la séparation, le sens s’évapore avec la personne et pourtant nous ne pouvons cesser de penser qu’il s’agit d’un signe que nous pouvons, que nous devons interpréter. Il faut en faire quelque chose pour que le poids cesse. Nous nous y efforçons sans succès : je l’ai bien cherché, un bien pour un mal, chacun est libre, le destin, que sais-je encore. Mais rien ne marche, la significativité ne parvient plus à s’incorporer dans la mémoire des événements et je n’arrive pas à donner un sens à ça. Donc l’événement reste là, sans sens, avec une signification flottante, non-incorporée, et parfois même cette expulsion devient si intense que je cherche le sens partout, dans tous les signes, dans toutes les choses, ma pensée ne sait plus à quoi s’attacher, ne reste plus que le poids du flux de la conscience, ce travail innommable qui se fait en moi et sans moi.

C’est proche du sentiment de mortalité, parfois on ne parvient pas même à les distinguer parce que c’est un absolu qui nous concerne totalement. C’est un absolu paradoxal, un absolu lié, absolument lié mais on ne sait pas comment. Donc ça insiste, je ne veux plus y penser, mais ça pense encore en moi. Ce moment de la séparation aspire tout sur son passage. Ce n’est pas que je ne parviens plus à donner sens à une partie de ma vie, c’est que ma vie n’a plus de sens, la vie même dans sa généralité la plus grande devient insignifiante, les arbres, les pierres et les étoiles, tout devient morne et insiste dans une présence insignifiante. Si la séparation procède telle une épidémie c’est que sa puissance ne provient pas de l’événement factuel, mais de la factualité comme telle. C’est le monde comme tel qui est dépourvu de sens, un signe certes mais aspiré par le néant, et c’est dans cette expérience que nous plonge la séparation amoureuse et parfois, selon un autre intensité, la panne technique. La matière apparaît alors dégagée de son instrumentalité. La matière technique est morne, insistante, des fils, de la poussière. L’incident n’est accidentel ni dans l’affectivité, ni dans la technique. L’incident est l’essence même dépourvue de sens.