Reconnaissance

Qu’est-ce que cela veut dire que d’écrire avec la voix? Avec un logiciel de reconnaissance vocale la voix se transforme en signe. Ce passage, cette traduction entre l’oralité et l’écriture vient perturber un des fondements de la culture occidentale. Jacques Derrida dans son livre la voix et le phénomène relit Husserl au regard de cette problématique. Qu’est-ce que la voix, cette voix que j’entends en moi, que les autres entendent hors de moi, qu’est-ce que cette voix a à voir avec mon écriture, avec ses mains qui se déplacent sur ce clavier, avec ses mots qui s’affichent l’écran, avec la transformation du langage sur l’ordinateur, avec la fin de l’écriture manuscrite, avec le début de l’écriture à deux  mains, avec ces transformations anthropologiques de l’écriture?
Qu’est-ce qu’écrire avec la voix, à portée de voix, c’est-à-dire qu’est-ce que penser dans cette traduction incessante entre la voix et les signes, entre ce qui s’échappe de ma bouche et quelque chose qui n’est plus fugace, qui est une inscription, qui peut-être ne sera jamais lu par personne, mais qui existera sur un support, un support tel qu’un disque dur.

Cette traduction, ce passage de la voix au signe ne laisse ni l’un ni l’autre intact. On ne parle pas de la même façon lorsqu’on est reconnu par un logiciel. On n’écrit pas les mêmes choses lorsque logiciel vous écoute. Cet entrelac entre l’oralité et l’écriture n’est-il pas au coeur de la pensée, de son secret, de cette voix qui est moi et qui n’est pas moi, qui se détache de moi, qui au moment où je la prononce se déplie comme un simulacre, la surface d’une peau, translucide, blanchâtre, à peine perceptible.

Les technologies concernent ces écarts, ce ne sont pas des instruments à disposition de notre volonté, des moyens, mais plutôt des dispositifs complexes qui articulent toujours le corps de la technique au corps anthropologique. Il faudrait donc penser les complexes, non pas les choses séparées comme si elles étaient posées les unes à côté des autres, mais comme des relations qui constituent ces objets pensés. Et cette genèse est aussi celle de ce que nous nommons le sujet. C’est-à-dire la voix qui énonce, qui prononce, qui peut s’écrire, donc s’inscrire par un logiciel de reconnaissance vocale.
La reconnaissance n’est pas une représentation exacte ou adéquate. La reconnaissance vient troubler le référent par une boucle, un feed-back permanent ou la cause devient l’effet et ou le fait devient la cause selon un flux et un reflux incessant. C’est en rentrant dans cette incapacité à distinguer ce qui est de pourrait être que la pensée peut débuter, qu’elle peut commencer à devenir sensible à elle.

(Texte réalisé sous reconnaissance vocale)