Ontologie de l’image variable

L’image cinématographique envisage l’existence comme un destin. Le défilement est toujours le même, même s’il peut être interprété de façon différente par chacun. Le flux de la projection est une machine qui ne s’arrête pas et qui aliène le flux de la conscience.

Comment penser ce flux qui nous échappe et nous capture simultanément ? N’est-ce pas dans cette tension même entre l’immuabilité du programme et l’infinité des interprétations que se joue notre rapport contemporain à l’existence ? Le défilement mécanique des images nous confronte à une temporalité paradoxale : rigide dans sa structure et pourtant ouverte aux vagabondages de l’esprit qui la contemple. Cette dualité fondamentale nous invite à repenser notre condition à l’ère des flux numériques qui saturent notre quotidien.

Si l’image programmée ne comprend pas l’existence comme un pur chaos, c’est qu’il y a bien un ordre, le programme, mais celui-ci ne ferme pas la contingence. De sorte que l’image programmée articule la nécessité et la contingence sur deux plans différents qui se juxtaposent. Cette articulation, je la nomme variabilité. La programmation nous offre ainsi le spectacle fascinant d’un ordre qui contient en lui-même les germes de sa propre métamorphose : algorithmes rigoureux et résultats imprévisibles, code immuable et effets mouvants, structure mathématique et fluidité sensible.

La variation est l’effet esthétique provoqué par la variabilité : la perception de la perception comprend que l’ordre n’est pas fixé une bonne fois pour toutes. Quand nous reverrons l’œuvre, nous verrons autre chose, qui ressemblera peut-être à la fois précédente – il y a un programme – mais qui ne sera pas objectivement identique dans la suite des médias. Le regard attentif saisit cette différence dans la répétition, cette identité qui se dissout et se recompose à chaque manifestation : n’est-ce pas là l’essence même du vivant, cet équilibre précaire entre permanence et changement ?

Elle comprend donc l’existence comme variation, existence qui peut se répéter mais qui à chaque fois sera différente, tout en se ressemblant. La variable proprement dite est l’opération logique sous-jacente qui permet la variabilité sous la forme n+1. Cette formule si simple contient toute la complexité de notre rapport au monde : progression infinie et retour du même, avancée et circularité, nouveauté et réitération. Le temps lui-même se trouve reformulé par cette logique récursive qui fait de chaque instant un héritier du précédent et le creuset du suivant.

La variable est le fondement de la programmation. Ainsi l’existence et le monde sont programmés et ordonnés mais ils restent contingents en l’absence radicale d’une finalité de la programmation. Comment ne pas voir dans cette contingence programmée une métaphore puissante de notre condition contemporaine ? Nous évoluons dans des structures déterminées par des algorithmes invisibles, mais ces structures mêmes génèrent une imprévisibilité fondamentale : ordre et désordre s’entrelacent dans une danse complexe qui défie nos catégories traditionnelles.

Il faut comprendre comment la mathématique, qui semble être une entreprise de contrôle et de nécessité, peut être à la base d’une certaine contingence et comment celle-ci implique une redéfinition profonde des existentiaux. N’est-ce pas dans cette tension entre détermination et indétermination que se joue la possibilité même de notre liberté ?

L’image programmée porte une ontologie et une anthropologie. Elle nous place face à une certaine conception du monde et de l’être humain qui diffère et approfondit les conceptions antérieures. Elle nous révèle un être-au-monde caractérisé par la variabilité, où chaque instant répète et transforme simultanément ce qui l’a précédé. Dans ce flux perpétuel de variations programmées, l’humain se découvre lui-même comme une variable en perpétuelle redéfinition.