L’ontologie est-elle mathématique ou informatique?

Une voie à explorer est la relation entre les mathématiques et l’informatique. En effet, si nous ne sommes pas convaincus de l’ontologie de Badiou et de son idée que les mathématiques sont l’ontologie, parce que nous y suspectons un discours d’autorité et finalement, malgré les affirmations du philosophe, une forme  de mathématique universelle, il faut bien avouer que ce rapprochement prend une tout autre signification si on pense que l’informatique est l’ontologie.

Cet autre rapprochement exige que l’on distingue nettement et subtilement mathématique et informatique. Il n’est pas question ici pour moi d’élaborer tous les arguments de ces distinctions mais simplement de remarquer que dans la plupart des cas on analyse l’informatique comme la simple mise en pratique machinique des mathématiques. Mon intuition est qu’entre les deux il y a un véritable saut, une différence radicale. L’informatique n’est pas la mathématique même si les apparences pourraient nous le faire croire. L’informatique est une mathématique dont le plan théorique est différent et c’est dans ces différences pour ainsi dire transcendantales que l’on pourra trouver la raison pour laquelle l’informatique est l’ontologie. Et ceci doit s’entendre en deux sens, un sens théorique hérité justement des mathématiques, et un sens pratique parce que dans les faits l’ordinateur transforme et produit réellement de la réalité. Alors que les mathématiques garde le projet d’une analyse de ce qui est (l’ontologie comme dévoilement, comme théorie), l’informatique quant à elle invente un autre projet consistant à produire de la réalité (l’ontologie comme création, comme machine). C’est pourquoi les mathématiques relèvent du champ virtuel tandis que l’informatique exprime l’univers des possibles. Il y a là une différence subtile mais fondamentale parce que si nous parvenons à démontrer que l’informatique et mathématique sont différentes au niveau structurel alors nous pourrons aussi comprendre deux significations différentes à l’ontologie, significations qu’il sera possible d’inscrire dans des moments de l’histoire différents : l’ontologie comme dévoilement et l’ontologie comme création.

L’enjeu de cette réflexion est bel et bien de comprendre le monde qui nous entoure et les objets techniques que nous manipulons, car en ce domaine il faut bien avouer que la réalité est en avance sur la pensée et que la réflexion théorique sur l’informatique est encore balbutiante et ne nous permet aucunement de saisir l’impact et pour ainsi dire la causalité de ce que nous sommes en train de faire et de qui par nous advient.

Différencier l’informatique des mathématiques c’est comprendre une transformation historique de l’épistémologie et de notre conception des sciences qui partant du désir de compréhension du monde environnant et de ses mystères devient une analyse numérique de celle-ci, que l’on peut comprendre comme une réduction unitaire et langagière, pour ensuite recomposer à partir de ce langage binaire supposé des fragments d’une réalité et qui n’existaient pas encore. À bien entendre cette transformation on comprend que c’est notre relation même au monde qui est en jeu et plus encore c’est la définition du sujet comme sujet de sa propre subjectivité, donc une certaine notion de la réflexivité, qui est transformée de fond en comble. L’informatique n’est pas la mathématique parce que le réductionnisme informatique est bien plus grand que la formalisation mathématique. Il faudrait sans doute se reporter à Hilbert pour comprendre la différence entre le numérique et le formel mathématique. Ce qui importe là est sans doute que la relation des mathématiques au possible et de l’informatique au possible est très différente et qu’ainsi c’est l’avenir même du monde, non pas comme un monde qui se donne ou qui se prend, mais comme un monde qui se produit et se reproduit, qui change d’horizon.
Ce projet de distinction entre mathématique et informatique n’est qu’un projet pour l’instant mais semble être une voie prometteuse pour comprendre les fondements de l’esthétique contemporaine parce que celle-ci doit analyser l’ontologie don est l’objet.