9ème Biennale d’Art contemporain de Melle

Internes (l’augmentation des choses)
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Visiter Les rêves du monde, biennale internationale d’art contemporain de Melle conçue par le Fonds Régional d’Art Contemporain Poitou-Charentes, c’est d’abord traverser les siècles en quelques pas d’un site d’exposition à l’autre. Vous parcourrez, par exemple, 400 ans et 90 mètres de l’église Saint Savinien à l’Hôtel de Ménoc, 500 ans et 200 mètres jusqu’à la médiathèque, 900 ans et 560 mètres vers l’église Saint Pierre, 700 ans et 200 mètres à destination du temple protestant !

Mieux ! Dans ces lieux et à l’extérieur, aux abords du chemin de la découverte, dans un vieux verger urbain, près d’un potager solidaire, dans le parc de la garenne, dans le kiosque… chaque œuvre contemporaine vous ouvre son monde singulier pour autant de voyages immobiles dans l’espace, dans le temps et ailleurs !

Avec les artistes et par leurs œuvres, vous plongerez dans la vie microscopique, observerez l’animation d’une place publique, complèterez des énigmes visuelles. Vous questionnerez l’exotisme et la diversité. Vous percevrez la poésie du quotidien transfiguré. Vous volerez au-dessus du Mont Blanc, naviguerez sur des mers inconnues ou entre de mystérieuses constellations. Vous réviserez votre géographie et vous quitterez la Terre. Vous marcherez sur la lune et approcherez du soleil sans vous brûler les ailes. Vous vous poserez sur Pluton. Rêveur, idéaliste, utopiste, sur Terre, vous penserez les mondes présents et concevrez d’extraordinaires futurs. Vous portez en vous tous les rêves du monde !

Pascale Gadon-Gonzàlez révèle la vitalité symbiotique des lichens, Ladislas Combeuil crée pour le kiosque des moucharabiehs aux motifs végétaux et Alain Bernardini compose dans et par les images des passages vers des ailleurs mystérieux ou oniriques. Tous trois stimulent le regard porté sur le quotidien moins banal qu’il ne parait et questionnent la qualité sensible des relations entre les êtres dans les lieux qu’ils habitent.

Les listes de noms de fruits oubliés de nos contrées, plantées telles des haies par Joël Auxenfans, ode à la biodiversité, forment de beaux poèmes aujourd’hui aussi tristement exotiques que les palmiers photographiés par Alain Fleig. Si le voyage sentimental proposé par Georges Touzenis vous séduit, que penserez-vous de l’artifice touristique documenté par Melanie Manchot ? Et la multitude bigarrée d’oiseaux figée par Gaëlle Leenhardt incarne-t-elle une diversité rêvée, un mémorial de l’extinction ou une prolifération cauchemardesque ?

Par la photographie, François Méchain tourne une table de cuisine en littoral pittoresque et Joachim Mogarra le sol du salon ou cinq poignées de neige en paysages africains. Le programme informatique et poétique de Fabien Zocco vous fait atterrir en des lieux mystérieux aux noms d’astres. Des peintures enfantines habitent le ciel photographié par Nicolas H Muller depuis le sommet du Mont Blanc. Protégés de la lueur du soleil levant de Mark Handforth, les carreaux de faïence de Thierry Mouillé mettent la lune à vos pieds. Ailleurs, la Terre, sombre forteresse pour Marianne Vitale, semble résister au suspens du soleil couchant de Carin Klonowski. Plus loin, la capsule de David Renaud vous dépose sur Pluton.

Kristina Solomoukha représente minutieusement des véhicules triviaux là où les grands navigateurs de la Renaissance représentaient approximativement les rivages explorés et Paolo Codeluppi tourne des globes noirs, jadis outils pédagogiques, en symboles d’ignorance. Heureusement, vous pourrez compter, pour vous orienter, sur l’atlas malicieux de Marcel Broodthaers ou sur la carte céleste apatride de Fayçal Baghriche !

La liberté malmenée évoquée par Marie-Ange Daudé, l’appel intemporel à construire le monde lancé par Michel Seuphor, les réagencements cartographiques d’Armelle Caron, ou encore le prototype pour une artificialisation solide et virtuelle de la surface de la Terre conçu par Grégory Chatonsky et Goliath Dyèvre ouvrent, avec Éric Tabuchi, les portes de l’utopie, sans garantie aucune que le résultat soit heureux…

« Je suis un rêve » : Ludovic Chemarin© s’est enflammé. L’artiste serait une chimère ? Refroidie, sa déclaration vous laisse à méditer, solitaire, cette autre inscription murale, par Marco Godinho, qui martèle à la manière d’un poète et d’un bâtisseur que chaque personne porte en elle tous les rêves du monde.

Alexandre Bohn,

Directeur du FRAC Poitou-Charentes,

Mai 2022.