Les deux corps du jeu

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Il y a deux histoires fonctionnelles du corps dans un jeu vidéo. D’un côté, tous ces corps que l’on voit à l’écran, le sien bien sûr, cet avatar, mais aussi les autres, ennemis et amis qui tombent, meurent et disparaissent. Les corps sont placés dans l’espace et si parfois la tête me tourne et que je ne parviens plus à m’orienter, c’est qu’il faut que le corps retrouve sa place. Je suis coincé dans un coin-du-monde.

D’un autre côté, il y a le corps-geste, car finalement dans la plupart des jeux, passer une étape consiste à enchaîner une série de gestes avec plus ou moins de lâcheté. Il faudrait pouvoir faire abstraction des corps dramatiques de l’écran pour pouvoir ajuster ses gestes-interface de la façon la plus neutre et stable. La corrélation entre ces deux corps est contingente, elle correspond à une mise en scène qui produit une pression sur le corps du joueur : il palpite, sa respiration se coupe, reprend, soulagement et tension. Le geste est pris de court.

La singularité esthétique du jeu est cette corrélation entre deux éléments si différents : l’enchaînement des gestes (il ne s’agit pas d’un seul geste, mais d’une série, donc de ce qui se passe entre les gestes) et le vivant mortel des corps représentés, avec toute la différence entre mon avatar et les autres.

Tout se passe comme si la dramatisation des corps gênait cet autre corps, le corps-geste, le corps-fonctionnel. L’analyse de cette perturbation entre ce qui est à portée de main et ce qui est sous la main est au coeur d’une narratologie ludique.