La critique de la critique

C’est un rythme incessant, celui du réseau, des sentences sur Twitter et des discussions sur Facebook, non pas comme un simple appareillage technique, mais comme un univers complet dans lequel une guerre entre les esprits prend place.

La critique cède sa place à la critique de la critique. Certains s’enthousiasmaient du post-Internet parce qu’il rompait avec une certaine naïveté du numérique et avec son modernisme implicite qui rejouait le fantasme d’une relève de l’art contemporain, et qui finalement ne faisait que suivre le mot d’ordre de l’innovation en mettant en avant le nouveau. Par là même on mettait dans le même sac des pratiques différentes les unes des autres, on simplifiait le problème et on prenait le mot pour les choses. On identifiait les grandes installations totalisantes, les redites vides de l’art cinétique, avec des pratiques plus subtiles.

Puis, une fois l’enthousiasme passé, ce fut autour du post-Internet d’être critiqué. N’était-il pas une simple fétichisation de clichés, les formes se ressemblaient tant d’un artiste à l’autre ? Ne faisaient-ils pas circuler passivement des lieux communs sans aucune distance? Le marché ne s’était-il pas emparé rapidement de ce “style” en surface justement parce qu’il était complice du système de domination économique? Mais là encore, on oubliait les singularités, les différences entre des artistes singuliers et d’autres qui ne faisaient que suivre.

On a donc émis l’hypothèse que le post-digital permettait de relier ce qu’il peut y avoir de processuel dans le numérique (la génération, l’infinitude, etc.) et la recherche formelle du post-Internet. Par là on essaye d’abandonner un certain nombre de choses d’un côté comme de l’autre : le kitsch facile, les effets de style entendus, la grandiloquence et la répétition de l’art cinétique, une conception précritique de la perception, le spectacle total, l’immersion, etc.

Dans un cas comme dans l’autre, dans le numérique comme dans le digital, on regardera avec distance les mots que d’autres que nous ont élaborés. On les regardera comme des mots non comme des choses (on risquerait d’en faire des mots d’ordre). Dans un cas comme dans l’autre, on fera en sorte de mener une critique raisonnée des grégarités, de ceux qui suivent les mots d’ordre du marché et ceux des subventions publiques.

Cette critique n’a d’autre fin que de faire d’un sentiment intérieur une nécessité externe, et celle-ci est l’Histoire elle-même. Il s’agit donc de révélation : comment transformer une idée interne en nécessité extérieure ? Le rythme de cette avalanche de critiques s’emboîtant les unes dans les autres est le symptôme d’un rythme historique où le futur immédiat et le passé immédiat ne cessent de se chevaucher, de se différer.