L’infiltration

L’eau laisse des traces. Il y a un combat permanent entre l’eau et le construit. Les bâtiments sont infiltrés par l’humidité qui abîme les murs, sape les fondations, effondre les structures. C’est un processus lent dans la profondeur des surfaces à laquelle se livre l’eau devenue invisible quant à ses causes et dont on ne voit que les effets (tâches et mollesse des murs, effritement des peintures), et c’est pourquoi on nomme cela l’humidité.

Ce conflit entre le construit et le liquide est ambivalent parce que le bâtiment a aussi besoin de l’eau, les tuyaux le distribuent dans les appartements, tandis que le toit reçoit les intempéries et en évacue l’excédent. Mais cette régulation est toujours fragile et incertaine, elle est l’instabilité de ce qui est construit et qui est sec (une maison humide est-elle pensable?), elle est ce qui pourra détruire tout construit. Le bâtiment a besoin d’une eau canalisée et localisée, codable et décodable c’est-à-dire que l’on peut ouvrir et fermer et qui est renfermée selon le plan de canalisation prévu par l’architecte. Le bâtiment craint l’eau incodable parce que diffuse, qui excède les tuyaux et les localités attribuées, qui se répand en profondeur et qui suinte en surface, dont  le plan change prenant des voies nouvelles en délaissant d’autres.

Sans doute l’eau est-elle moins la pureté du devenir sans nulle inscription que ne le croit Michel Serres dans sa magnifique Genèse (1983). Il y a en ce livre des moments magiques, une philosophie des nuées, des multiplicités, des tourbillons dont nous nous souviendrons longtemps. Il s’agit maintenant d’allier ce discours des flux à d’autres flux.